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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 4 janvier 2016, n° 13/05730

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

CA Bordeaux n° 13/05730

3 janvier 2016

La société d'Etudes et application de composants - SEAC G. frères exerce l'activité de fabrication de matériaux de construction en béton pour le bâtiment.

La société Clairsienne, maître de l'ouvrage, a confié à la société Cogea Gironde la construction d'un bâtiment situé à Sadirac (33670).

La société Cogea s'est rapprochée de la société SEAC G. frères pour lui passer commande de prédalles. Celles ci ont été livrées et ont donné lieu à l'émission de la facture N° 306042 du 15 juillet 2011 pour un montant de 4.365,56 euros dont la date de règlement était fixée au 20 septembre 2011.

La SEAC G. frères a consenti à la société Cogea Gironde un avoir d'un montant de 55.78 euros, la créance de la SEAC G. et frères s'élevant désormais à 4.309,78 euros.

Par lettres des 5 et 10 octobre 2011, la SEAC G. frères a mis en demeure la société Cogea Gironde d'avoir à payer cette créance.

Par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 12 octobre 2011, la société Cogea a été déclarée en liquidation judiciaire, et le 21 octobre suivant la SEAC G. frères a déclaré sa créance entre les mains de la SCP S.-B..

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 octobre 2011, elle a rappelé à la société Clairsienne les dispositions de l'article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975.

Par lettres des 8 novembre et 5 décembre 2011, la société Clairsienne a informé la SEAC G. frères qu'elle n'avait pas la possibilité légale d'intervenir dans les défauts de paiement de la société Cogea Gironde, qu'elle n'avait pas eu connaissance auparavant de son intervention en qualité de sous-traitant et qu'elle n'était plus débitrice de la société COGEA Gironde.

Le 21 décembre 2011, la société SEAC G. frères a fait assigner la société Clairsienne devant le tribunal de commerce de Bordeaux afin de la voir condamner au paiement de la somme de 4.956,25 euros.

Par jugement du 14 mai 2013, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Clairsienne,

- débouté la SEAC G. frères de toutes ses demandes,

- débouté la société Clairsienne de sa demande pour procédure abusive,

- condamné la SEAC à payer à la société Clairsienne la somme de 2.000 €uros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Le tribunal a notamment :

- rappelé l'article 1 de la loi N°75-1334 du 31 décembre 1975 dont il découle que ' la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie de l'exécution du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage',

- relevé qu'à l'appui de ses demandes, la SEAC G. frères n'apportait pas la preuve que les prestations exécutées avaient fait l'objet d'un contrat de sous-traitance de la part de la société COGEA Gironde,

- de même, la SEAC G. frères n'apportait pas la preuve que sa qualité de sous-traitant avait été agréée par la société Clairsienne,

- dit que la SEAC G. frères n'avait pas qualité pour invoquer les dispositions de la loi du 31 décembre 1975, faute de pouvoir être considérée comme sous-traitant, la livraison de marchandise sur un chantier, ne pouvant s'assimiler à une présence effective sur le dit chantier au sens de la loi décrite supra.

Par déclaration électronique du 27 septembre 2013, la SEAC G. frères a interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties

Par conclusions déposées par la voie électronique le 6 novembre 2015, auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société d'Etudes et applications de composants - SEAC G. frères demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses condamnations à l'encontre de la société SEAC G. frères,

- Le confirmer pour le surplus,

- Condamner la société Clairsienne à payer à la société SEAC G. frères la somme de 4.956,25 euros en réparation des préjudices financiers qu'elle subit du fait de la violation par la société Clairsienne de son obligation de mise en demeure de la société COGEA Gironde,

- Condamner la société Clairsienne à payer à la société SEAC G. frères la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la présente procédure.

La société SEAC fait notamment valoir :

- Sur la qualité de sous-traitant de la société SEAC G. frères : le fournisseur qui fabrique tout ou partie des éléments nécessaires à l'exécution du marché dont est chargé l'entrepreneur principal, est considéré comme un sous-traitant bénéficiant de la loi de 1975 dès lors qu'il n'a pu satisfaire la commande qu'après avoir effectué un travail spécifique en vertu d'indications particulières rendant impossible de substituer au produit commandé un autre équivalent ; La nature de sa prestation doit s'analyser, non comme une simple fourniture de matériaux, mais comme une activité de sous-traitance pour le compte de l'entrepreneur principal ;

- Sur la faute de la société Clairsienne : il est incontestable que cette dernière, bien qu'ayant connaissance de la présence de la société SEAC G. frères sur le chantier, s'est abstenue de mettre en demeure la société COGEA Gironde de faire accepter la société SEAC en qualité de sous-traitant; le moment de la connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier ne peut être limité par les juges ;

- Sur les conséquences de la faute commise par la société Clairsienne: le maître de l'ouvrage fautif doit payer au sous-traitant ce que ce dernier aurait obtenu si l'entrepreneur principal avait été cautionné, c'est-à-dire la totalité de ce que lui doit l'entrepreneur principal ; le lien de causalité est incontestable, c'est l'absence de diligence de la société Clairsienne, alors même qu'elle profite aujourd'hui des matériaux spécifiques livrés et impayés, qui est à l'origine du préjudice économique subi par la société SEAC G. frères qu'elle doit donc indemniser ; Ce préjudice économique résulte, d'une part, de la perte de chance d'être directement payée par le maître de l'ouvrage si elle avait été valablement acceptée, et, d'autre part, sur l'impossibilité de faire valoir la majoration de retard intégrée dans les conditions générales de vente figurant au verso des bons de livraison et des factures de la société SEAC G. frères ;

- Sur la fin de non-recevoir : il ressort de l'article 31 du code de procédure civile que l'existence, en la personne de celui qui élève une prétention d'un intérêt personnel et légitime, lui donne qualité pour agir aux fins d'obtenir un jugement ; il ne peut être sérieusement contesté que l'action introduite par la société SEAC G. frères tend à la défense de son intérêt personnel ; elle a donc incontestablement qualité pour agir ; enfin, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration du bien-fondé de l'action ;

- Sur la demande de dommages et intérêts de la société pour procédure abusive: l'argumentation développée par la société Clairsienne ne peut avoir pour effet d'interdire à la société SEAC G. frères de poursuivre la procédure en appel, qui constitue la manifestation de son droit élémentaire d'ester en justice.

Par conclusions déposées par la voie électronique le 23 mai 2014, auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Clairsienne demande à la Cour de :

A titre principal :

- Constater que la société SEAC G. frères ne justifie pas de sa qualité de sous-traitant ;

- La déclarer, en conséquence, irrecevable en toutes ses demandes dirigées contre la société Clairsienne, pour défaut de qualité à agir ;

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bordeaux du 14 mai 2013.

A titre subsidiaire :

- Constater que la SEAC G. frères n'a jamais été acceptée en qualité de sous-traitant sur le chantier de la [...] ;

- Débouter la SEAC G. frères de l'ensemble de ces demandes à l'encontre de la société Clairsienne ;

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bordeaux du 14 mai 2013.

Y ajoutant,

- Condamner la SEAC G. frères à payer la somme de 2.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, outre celle de

4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner aux entiers dépens.

La société Clairsienne fait notamment valoir :

- A titre principal, sur l'irrecevabilité des demandes de la SEAC G. frères : sur la prétendue qualité de sous-traitant : la société SEAC G. frères n'a pas qualité pour invoquer les dispositions de la loi du 31 décembre 1975, faute de pouvoir être considérée comme sous-traitant sur ce chantier, il s'ensuit qu'elle est irrecevable en sa demande ;

- A titre subsidiaire, sur le fond :

1) sur l'absence de faute de la société Clairsienne : la Cour de cassation a jugé que le maître de l'ouvrage qui n'a eu connaissance de la présence d'un sous-traitant qu'après le redressement judiciaire de l'entrepreneur principal, n'était plus en mesure de mettre en demeure ce dernier de lui présenter son sous-traitant aux fins d'acceptation et d'agrément de ses conditions de paiement ; dès lors, la société Clairsienne ne pouvait plus mettre utilement en demeure l'entrepreneur principal car elle ne disposait d'aucun moyen de contrainte susceptible d'échapper à la règle de la suspension des poursuites individuelles ; c'est à tort que la société SEAC G. frères, fournisseur non agréé comme sous-traitant, invoque les dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ; Et qui plus est, à supposer que ce dernier soit applicable, la SEAC G. frères ne caractérise aucune faute commise par la société Clairsienne en exécution des obligations imposées par ledit article;

2) sur l'absence de lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage: la lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 décembre 2011 démontre qu'avant le jugement déclaratif du 12 octobre 2011 et la demande de la société G. frères, la société Clairsienne avait fait établir l'abandon de chantier de Cogea Gironde ; cette dernière n'a dès lors pas respecté ses obligations contractuelles ; enfin, le maître de l'ouvrage n'est éventuellement tenu à l'égard du sous-traitant que dans la mesure où il reste devoir des sommes à l'entrepreneur principal ; les demandes de la SEAC G. frères sont, à tous égards, non fondées ;

- Sur la procédure abusive : connaissance prise de l'argumentation qui lui avait été opposée par la concluante, la SEAC G. frères ne pouvait entretenir aucun espoir de voir sa cause prospérer devant la Cour, même si elle obtient satisfaction sur le terrain de sa qualification contestée de sous-traitant; la saisir de la Cour constitue, dans ces conditions, un abus de droit.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2015 et l'affaire a été plaidée le 23 novembre 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non recevoir soulevée par la société Clairsienne pour défaut de qualité :

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen du fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

La société Clairsienne, soutenant que la Société SEAC G. Frère n'a pas la qualité de sous- traitant, conclut à l'irrecevabilité de sa demande.

Or, outre que l'appelante dispose d'un intérêt personnel à agir pour obtenir le règlement des sommes qu'elle réclame, il est évident que son action repose sur l'examen de la question de fond liée à sa qualité de sous traitant, ce qui exclut l'application des dispositions susvisées.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société Clairsienne.

Sur la qualité de sous-traitant de la société SEAC G. Frères:

Il résulte du bon de livraison en date du 8 juillet 2011 et de la facture établie par la société SEAC G. Frères en date du 15 juillet 2011 que cette dernière a livré à la société Cogea Gironde des prédalles en béton de longueur ou de surface variable pour un montant total de 4 365,56 €uros.

L'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 dispose que la sous traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage.

Est assimilé au sous traitant le fournisseur qui fabrique tout ou partie des éléments nécessaires à l'exécution du marché dont est chargée l'entreprise principale, dès lors qu'il n'a pu satisfaire la commande qu'après avoir effectué un travail spécifique en vertu d'indications particulières rendant impossible de substituer au produit commandé un autre équivalent, étant précisé que la qualité de sous traitant n'est pas subordonnée à l'intervention de l'entreprise sur le chantier.

Pour qu'il y ait sous traitance, il faut donc un contrat d'entreprise ayant pour objet, d'une part l'exécution totale ou partielle du contrat principal et d'autre part, une prestation non compatible avec une production en série ou nécessitant un savoir-faire spécifique.

En l'espèce, si la société SEAC G. Frères produit un contrat de sous traitance établi entre elle-même et la société Cogea Gironde pour la fabrication et la livraison de prédalles béton armé destinées aux travaux engagés par la société Clairsienne, maître de l'ouvrage, la cour constate que ce contrat, établi le 14 avril 2011, n'est signé par aucune des parties et ne peut donc déduire de ce seul document l'existence de la qualité de sous traitant de la société SEAC G. Frères.

Il résulte des courriers Socotec en date des 13 avril 2005 et 15 juillet 2009 produits par la société appelante que les prédalles en béton livrées par la société appelante sont fabriquées en vue d'une utilisation spécifique dans un chantier déterminé en prenant en compte des critères géométriques, de charge de chantier et d'emplacement dans l'ouvrage où elles doivent être mises en oeuvre.

Cependant, cette adaptation réalisée pour chaque commande en fonction de mesures précises n'implique pas pour autant une technique de fabrication spécifique à cette commande, rendant impossible la substitution d'un produit équivalent et n'est pas incompatible avec une production en série normalisée.

Il ressort en outre de l'exemplaire de contrat de sous-traitance remis à la société Cogea Gironde par la société SEAC Guiraut Frères que cette dernière n'est pas assurée pour sa responsabilité décennale et qu'elle se réserve la propriété des marchandises jusqu'à leur complet paiement ce qui confirme qu'elle est bien un simple fabriquant de matériaux de construction et qu'elle ne peut donc se prévaloir des dispositions de la loi sur la sous traitance à l'égard de la société Clairsienne.

Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la société SEAC G. Frères de ses demandes.

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive :

S'il peut être reproché à d'avoir engagé une procédure judiciaire qui n'était pas fondée, pour autant, la société Clairsienne ne démontre pas qu'il en soit résulté pour elle un préjudice spécifique.

C'est donc avec raison que les premiers juges l'ont déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

L'équité commande d'allouer à l'intimée une indemnité de 4000 €uros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Succombant, l'appelante, supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré.

Y ajoutant,

Condamne la société SEAC G. Frères à payer à la société Clairsienne une indemnité de 4000 €uros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société SEAC G. Frères aux dépens d'appel.