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Décisions

CA Aix-en-Provence, 3e ch. A, 9 novembre 2017, n° 16/23241

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sinergies (SAS)

Défendeur :

Mistral (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Castanie

Conseillers :

Mme Mars, Mme Tanguy

TGI Draguignan, du 21 avr. 2015, n° 13/0…

21 avril 2015

La SCI Mistral, propriétaire d'un local commercial à Cogolin, a commandé, le 20 avril 2010, à la société Selene Energie, la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques sur la toiture de l'immeuble, avec dépose de la toiture amiantée existante, pour le prix de 319 946,02 €.

Le 18 octobre 2010, elle a accepté et signé la proposition technique et financière d'ERDF pour le raccordement de l'installation et a payé l'acompte de 2573,55 €, les travaux devant être effectués avant le 13 avril 2012 pour que la SCI puisse bénéficier du tarif préférentiel d'ERDF contenu dans cette proposition.

Le 3 février 2011, la société Selene Energie a sous-traité à la société Senergies les travaux de dépose de la toiture, avec plan de retrait avant désamiantage, gestion des déchets et tirage des câbles.

La SCI Mistral a contracté deux prêts d'un montant de 80 000 € et 325 000 € pour le financement de cette opération.

Le 4 mai 2011, l'inspection du travail a relevé des infractions d'hygiène et de sécurité entraînant l'arrêt des travaux et portant sur :

- l'absence de cohérence du plan de retrait amiante avec la réalité du site et le maintien de l'activité du locataire,

- l'absence de désignation par le maître de l'ouvrage d'un coordinateur de sécurité et de protection de la santé chargé de mettre en oeuvre un plan général de coordination en raison de l'intervention de plusieurs entreprises.

Le 6 février 2012, la société Senergies a reçu de la société SEDN le devis évaluant à 129 462,34 € la prestation désamiantage avec plan de retrait et de confinement compte tenu de l'occupation des lieux par le locataire.

Après infirmation, par arrêt du 14 février 2014, de l'ordonnance de référé du 17 août 2012 en ce qu'avait été ordonnée l'exécution des travaux par la société Selene Energie sous astreinte, la SCI Mistral a saisi le tribunal de grande instance de Draguignan qui, par jugement du 21 avril 2015 a :

- constaté que les travaux objet de l'étude du 20 avril 2011 n'ont pu être réalisés par suite de l'arrêt des travaux ordonnés par l'inspection du travail le 4 mai 2011 ;

- constaté que les travaux de désamiantage étaient soumis à la mise en place d'un plan de retrait qui n'a pas été élaboré par Selene Energie et son sous-traitant Senergies ;

- constaté que la SCI Mistral n'avait pas obtenu l'autorisation de son locataire commercial avant le début des travaux ;

- prononcé un partage de responsabilité dans le dommage subi par la SCI Mistral à savoir 40 % pour chaque entreprise et 20 % pour la SCI Mistral ;

- dit que Selene Energie et Senergies supporteront le paiement de la somme de (80 % de 385 288,54 € = 308.230,83 €/2 soit) 154 115 € ;

- fixé la créance de la SCI Mistral à la liquidation judiciaire de Selene Energie à la somme de 154.115 € ;

- condamné Selene Energie et Senergies au paiement de la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné Selene Energie et Senergies aux dépens.

Le 7 mai 2015, la société Senergies a relevé appel du jugement.

Maître de C. est intervenu volontairement à la procédure en qualité de mandataire judiciaire de la société Senergies, désigné par jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 9 septembre 2015 ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire de cette société.

Par conclusions remises au greffe le 27 janvier 2017, et auxquelles il y a lieu de se référer, la société Senergies et maître de C., pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société, demandent à la cour :

- vu l'article 1240 du code civil,

- de constater, et au besoin dire et juger que la SAS Senergies est un tiers au contrat entre la SCI Mistral et la SARL Selene Energie,

- de constater, et au besoin dire et juger que le préjudice dont se prévaut la SCI Mistral est en réalité né de sa relation avec son locataire des murs,

- de constater, et au besoin dire et juger que la SAS Senergies n'est fautive d'aucun préjudice vis-à-vis de la SCI Mistral,

- déclarer que la SCI Mistral n'est pas recevable ni bien fondée en sa demande d'intervention forcée de maître De C. en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Senergies,

- de déclarer que la SCI Mistral n'est pas recevable ni bien fondée à fixer au passif de la SAS Senergies une quelconque créance,

- de débouter la SCI Mistral de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- de condamner la SCI Mistral à payer la SAS Senergies un montant de 3000 € au titre de l'article 700, ainsi qu'aux entiers dépens.

La SCI Mistral, par conclusions remises au greffe le 24 février 2017, et auxquelles il y a lieu de se référer, demande à la cour :

- vu les dispositions des articles 1147 et suivants, 1184 et suivants, 1382 et suivants du code civil,

- de lui donner acte de ce qu'en l'état de la clôture de la liquidation judiciaire de la SARL Selenne Energie elle renonce à toutes ses demandes à son égard,

- de réformer partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan du 21 avril 2015 en ce qu'il a procédé à des partages de responsabilité et réduit le préjudice dont la réparation était demandée,

- de venir la SAS Senergies s'entendre déclarée débitrice à l'égard de la S.C.I. Mistral :

1. de la somme en principal de 1 071 178,77 € avec intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de la présente assignation lesdits intérêts devant être calculés avec anatocisme selon un rythme annuel ;

2. de la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

3. des dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2017.

MOTIFS :

La mise en oeuvre de la responsabilité du sous-traitant envers le maître d'ouvrage suppose la preuve de la faute du sous-traitant.

Il apparaît des lettres du ministère du travail du 5 mai et du 21 novembre 2011 que l'inexécution par la société Selene Energie de ses obligations résultant du contrat de fourniture et pose de panneaux photovoltaïques du 20 avril 2010 est liée à l'arrêt des travaux pour absence de plan de retrait prenant en compte la présence d'un locataire dans les lieux et pour absence de désignation d'un coordinateur de sécurité et de protection de la santé, le coût de la prestation de désamiantage s'élevant à la somme de 129.462,34 € suivant devis de la société Désamiantage et Enveloppe du Bâtiment.

La société Senergies soutient qu'il ne lui appartenait pas de prendre les diligences nécessaires à la bonne exécution de la prestation, et notamment de prévoir le plan de retrait et qu'elle a été empêchée d'exécuter les travaux par le locataire qui s'y est opposé.

Il ressort du devis du 3 février 2011 que le contrat de sous-traitance comprenait les travaux de dépose de la toiture amiantée existante incluant le plan de retrait et la société Senergie reconnaît qu'elle a elle-même contracté avec la société SEDN ayant un agrément désamiantage pour établir le plan de retrait. Par une visite sur les lieux, elle pouvait aisément se convaincre de la présence d'un locataire et il lui appartenait de s'assurer de l'absence de celui-ci durant les travaux ou de tirer toutes les conséquences de la présence du locataire, notamment quant au plan de retrait. En effet contrairement à ses allégations, la société Senergies ne rapporte pas la preuve que le locataire se serait engagé à quitter les lieux durant les travaux ni qu'elle aurait averti la SCI Mistral des difficultés liées à la présence du locataire. C'est donc à tort que le premier juge a retenu la responsabilité de la SCI Mistral.

Les travaux ont été interrompus en raison du non-respect par la société Senergies des obligations légales et réglementaires applicables en matière d'hygiène et sécurité alors qu'il lui appartenait en tant que professionnel, de déterminer à l'avance les conditions dans lesquelles les travaux devaient être exécutés.

La société Senergies prétend qu'elle ignorait que l'exécution des travaux étaient soumise à une date butoir au-delà de laquelle le maître d'ouvrage ne pourrait plus bénéficier du tarif préférentiel d'ERDF rendant l'opération rentable.

Les mails échangés dès juin 2011 entre Selene Energie et Senergies montrent que cette dernière était pleinement informée de l'urgence à réaliser les travaux et des contraintes de délai et qu'elle n'a pas respecté cette obligation pour les raisons qui lui appartenaient et que la SCI Mistral attribue au refus de la société Senergies de prendre en charge le coût supplémentaire résultant de son imprévision.

La faute de la société Senergies consistant dans le non-respect des obligations légales et réglementaires applicables en matière d'hygiène et de sécurité a conduit à l'interruption des travaux et au dépassement du délai impératif d'exécution des travaux. Cette faute a causé un préjudice à la SCI Mistral qui a perdu le bénéfice du tarif préférentiel d'ERDF rendant rentable son projet.

La SCI Mistral prétend sans l'établir que les panneaux photo-voltaïques seraient inutilisables et donc dénués de toute valeur. Il n'est cependant pas établi qu'elle ne puisse utiliser ces panneaux dans le cadre d'un projet ultérieur d'installation de production photovoltaïque avec raccordement au réseau public de distribution d'électricité, à des conditions similaires à celles proposées par ERDF. Compte tenu de cet élément et des pièces produites par la SCI Mistral sur la production d'électricité, d'une part la demande en paiement de la somme de 264 620,61 € au titre de l'investissement dans la fourniture de matériel sera rejetée, et d'autre part, eu égard de la proposition technique et financière d'ERDF, la cour possède les éléments d'appréciation pour fixer à 150 000 € le manque à gagner de la SCI Mistral sur cette opération de production et vente d'électricité.

La SCI Mistral a contracté deux prêts pour financer l'opération qui n'a pu être menée à bien. La société Senergies sera condamnée à ce titre à lui payer les frais d'acte notarié de 5444,16 €, les assurances des prêts, soit 9976,32 €, les intérêts d'emprunt du prêt principal à payer jusqu'à l'échéance du prêt, soit 90 248,06 € et les intérêts d'emprunt du prêt relais TVA de 889,62 €.

La créance de la SCI Mistral à l'encontre de la société Senergies sera donc fixée à la somme de 255.668,54 €.

En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement. En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel.

Aucune considération d'équité ne commande qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement déféré en ce qui concerne le partage de responsabilité et les condamnations prononcées contre la société Senergies à l'exception des frais irrépétibles et des dépens ;

Statuant à nouveau ;

FIXE à 255 668,54 € le montant de la créance de la SCI Mistral à l'encontre de la société Senergies, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

DEBOUTE la SCI Mistral de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Senergies aux dépens qui pourront être recouvrés contre elle conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.