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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 4 septembre 2017, n° 15/06589

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cassiopée (SARL)

Défendeur :

Bâtiments Génie Civil Charentais (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, M. Pettoello

Avocats :

Me Fonrouge, Me Weil, Me Taillard, Me Bourdeau

T. com. Angoulème, du 3 sept. 2015, n° 2…

3 septembre 2015

EXPOSE DU LITIGE :

La SARL Cassiopée est propriétaire d'un bâtiment situé rue de l'Auvert, ZAC des Montagnes, lieu-dit Richemarde à Champniers (16430) qu'elle a donné à bail commercial à la SARL Magasin 109 par acte du 11 mars 2009.

Une expertise judiciaire des locaux a été ordonnée le 14 décembre 2011 à la suite d'infiltrations. A la demande de l'expert, la société Marchesson a établi un devis pour le désamiantage de la couverture et du plafond suspendu pour un montant total de 94.432,72 euros TTC qui a été accepté et signé par la société Cassiopée le 09 octobre 2012.

Par contrat de sous traitance du 31 janvier 2013, la société Marchesson a confié à la SARL Bâtiments Génie Civil Charentais (la société BG2C) des travaux de dépose d'une couverture amiante ciment pour un prix de 41.568,19 euros. Le 28 mai 2013, la société BG2C a informé la société Marchesson de la nécessité d'un traitement des plafonds en raison de la présence de poussière d'amiante liée à la détérioration des plaques amiantées en couverture. La société Marchesson a adressé le 23 juillet 2013 à la société BG2C un bon de commande pour la dépose de laine de verre et de dalles de faux plafonds pour un prix de 93.617,71 euros, portant le coût total des travaux à la somme de 135.239,90 euros.

La société BG2C a perçu la somme de 50.000 euros. Par lettre du 11 décembre 2013, elle a mis en demeure la société Marchesson de payer le solde de sa créance.

Par jugement du 19 décembre 2013, le tribunal de commerce de d'Angoulême a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Marchesson qui a par la suite été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 02 octobre 2014.

Par exploit d'huissier en date du 13 août 2014, la société BG2C a assigné la société Cassiopée, en qualité de maître de l'ouvrage, devant le tribunal de commerce d'Angoulême pour demander sa condamnation à payer notamment la somme de 85.239,91 euros.

Par jugement contradictoire du 03 septembre 2015, le tribunal de commerce d'Angoulême a :

- condamné la société Cassiopée à payer à la société BG2C la somme de 85.239,90 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2013,

- rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par la société BG2C,

- condamné la société Cassiopée à payer à la société BG2C la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Cassiopée aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

Le tribunal a estimé que la société Cassiopée ne justifiait pas avoir accepté les conditions de paiement de la société BG2C et qu'elle avait ainsi engagé sa responsabilité quasi délictuelle pour n'avoir pas rempli ses obligations découlant de l'article 14 de loi n°75-1334 du 31 décembre 1975.

La société Cassiopée a relevé appel de la décision par déclaration du 23 octobre 2015.

Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 13 janvier 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

- débouter la société BG2C de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société BG2C à lui payer une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société BG2C aux entiers dépens.

La société Cassiopée fait notamment valoir que l'action en responsabilité engagée par la société BG2C est mal fondée car elle repose sur une prétendue faute consistant dans le fait de ne pas avoir accepté les conditions de paiement du sous-traitant sans mettre en demeure l'entrepreneur principal de fournir une caution, alors qu'elle a bel et bien accepté ces conditions prévoyant une délégation de paiement ; que l'action directe de la société BG2C est par ailleurs irrecevable en l'absence de mise en demeure préalable ; que la société BG2C ne dispose plus de droit sur les sommes objet de la provision transférée au Crédit Coopératif par l'effet de l'acceptation des lettres de change.

Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 03 mars 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société BG2C demande à la cour de :

- déclarer la société Cassiopée mal fondée en son appel et l'en débouter ;

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

- condamner la société Cassiopée à lui payer une indemnité de 5.000.00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP Annie Taillard.

La société BG2C allègue en substance que la société Marchesson lui a réglé une somme de 50.000 euros sur les 135.239,91 euros correspondant aux deux marchés de sous traitance qu'elle a exécutés à sa demande, laissant un solde de 85.239,91euros ; qu'elle serait bien fondée à exercer l'action directe contre la société Cassiopée, maître d'ouvrage, pour obtenir le paiement de cette somme sur le fondement des articles 11 à 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ; que cependant la société Cassiopée a commis une faute en omettant de mettre en demeure la société Marchesson de lui faire agréer ses conditions de paiement et de constituer la caution ou la délégation prévues par l'article 14-1 de ladite loi ; qu'elle a dès lors engagé sa responsabilité vis à vis d'elle, ce qui justifie sa demande de dommages et intérêts. Elle soutient que son action n'étant pas une action directe mais une action en responsabilité, elle ne nécessite pas de mise en demeure préalable.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2017.

MOTIFS :

sur la demande principale :

Aux termes des dispositions de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975, « à peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1275 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant. »

Selon l'article 14-1 de même loi, « pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics :

- le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ;

- si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution. »

L'action directe n'est offerte qu'au sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître d'ouvrage. Si l'une ou l'autre de ces conditions cumulatives vient à manquer, l'action directe est irrecevable. Bien que cette double acceptation doive en principe être expresse, il est admis qu'elle puisse être tacite à condition cependant de démontrer la volonté non équivoque du maître d'ouvrage.

L'appelante, pour s'opposer à la demande, soutient qu'elle a accepté la société BG2C en qualité de sous-traitant dans l'attestation de son gérant, en date du 17 avril 2013 ; que cette attestation comporte la reconnaissance de la possession du contrat de sous traitance, prévoyant un paiement direct du sous-traitant ou une délégation de paiement par le maître de l'ouvrage. Elle en conclut que la société BG2C bénéficiait donc d'une action directe qui est cependant désormais irrecevable pour deux motifs, imputables à l'intimée seule :

l'absence d'envoi préalable de la mise en demeure prévue aux articles 12 et 13 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1975 ;

la tardiveté de l'assignation, délivrée le 13 août 2014, alors que les lettres de change émises

par la société Marchesson en règlement des factures couvrant notamment les travaux de désamiantage sous traités à la société BG2C, à échéance au 30 novembre 2013, avaient été préalablement acceptées par elle et remises au Crédit Coopératif, de sorte que la société BG2C ne dispose plus d'aucun droit sur les sommes objet de la provision transférée au Crédit Coopératif par l'effet de l'acceptation des lettres de change.

Aux termes d'une attestation sur l'honneur du 17 avril 2013, le gérant de la société Cassiopée a déclaré :

- « avoir accepté tout en ayant été préalablement informé par la société Marchesson, avec qui nous avons régularisé le marché n°3024 relatif à la réfection de la toiture du bâtiment sis 151 rue de l'Aubert Richemarde à Champniers et ce conformément aux instructions de l'expert judiciaire Monsieur P. désigné par la Cour, que celle-ci sous traiterait le lot de désamiantage à la société BG2C » ;

- reconnaître « être en possession des différentes informations relatives à la société BG2C tels que : [']

contrat de sous traitance ['] ».

L'article 3 du contrat de sous traitance conclu le 31 janvier 2013 entre les sociétés Marchesson et BG2C, intitulé « conditions de paiement », stipule :

« Les travaux confiés à l'entreprise sous-traitante lui seront payés :

- En paiement direct ou en délégation de paiement par le maître d'ouvrage.

Les conditions de paiement seront les suivantes : 30 jours nets - Facture établie en deux exemplaires et reçue le 31 du mois ».

Il ressort de ces documents que la société Cassiopée a accepté la société BG2C en qualité de sous-traitant et qu'elle a été informée des modalités de paiement. C'est à bon droit cependant que l'intimée oppose que même si le contrat de sous traitance, prévoyant un paiement direct du sous-traitant ou une délégation de paiement par le maître de l'ouvrage, lui a été remis, le seul silence du maître de l'ouvrage sur les conditions de paiement du sous-traitant proposées dans le contrat de sous traitance, dont il reconnaît avoir connaissance, mais auquel il n'est pas partie, ne suffit pas à emporter leur acceptation, et que la preuve de cette acceptation est même clairement contredite par le fait que la société Cassiopée a accepté des lettres de change de l'entreprise principale (la société Marchesson) y compris pour des travaux ayant fait l'objet de la sous traitance, ce qui est totalement incompatible avec l'acceptation de la délégation de paiement dont se prévaut la société Cassiopée.

Il convient de relever par ailleurs que le contrat de sous traitance est en tout état de cause ambigu, puisqu'il prévoit le règlement « en paiement direct ou en délégation de paiement par le maître d'ouvrage ». Or il appartient au maître d'ouvrage de veiller à l'efficacité des mesures qu'il met en oeuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge par l'article 14-1. L'appelante devait donc soit s'assurer que la société Marchesson, entrepreneur principal, avait accepté la délégation de paiement au profit du sous-traitant, soit exiger d'elle qu'elle justifie avoir fourni la caution. Non seulement elle s'en est abstenue, mais elle a accepté des lettres de change de l'entreprise principale y compris pour des travaux ayant fait l'objet de la sous traitance ainsi qu'exposé supra. Sa carence, qui prive la société BG2C de la possibilité d'obtenir une garantie de paiement de ses travaux, est constitutive d'une faute génératrice d'un préjudice qui s'établit au montant de la partie impayée de ses travaux, soit la somme de 85.239,90 euros correspondant au solde restant dû à la société BG2C.

Le jugement qui a condamné la société Cassiopée au paiement de cette somme sera donc confirmé.

sur les demandes accessoires :

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société BG2C les sommes exposées par elle dans le cadre de la procédure d'appel et non comprises dans les dépens. La société Cassiopée sera condamnée à lui payer, outre l'indemnité mise à sa charge en première instance, la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante sera condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce d'Angoulême en date du 03 septembre 2015

Condamne la société Cassiopée à payer à la société BG2C la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel

Condamne la société Cassiopée aux dépens de l'appel.