Cass. crim., 21 septembre 2005, n° 04-86.154
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Chanut
Avocat général :
M. Mouton
Avocats :
SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Baraduc et Duhamel
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 321-1, alinéas 1, 2 et 3, 321-3, 321-9, 321-10, 441-1, alinéa 1, 441-11 du Code pénal, 6, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a déclaré Christiane X... coupable de recel de faux en écriture privée, en répression, l'a condamnée à une amende de 10 000 euros avec sursis et, sur l'action civile, l'a condamnée à payer à Eric Y... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs que, "la prévenue ne peut prétendre que le testament litigieux n'est pas de nature à altérer la vérité ; qu'en effet, il ne peut être considéré comme la confirmation de celui établi le 2 juillet 1972, ce qui, d'une part, le rendrait inutile, et d'autre part, s'avérerait inexact eu égard à l'irrégularité du premier testament, quant à sa forme, puisque sa date et les mentions "lu et approuvé" sont barrées et qu'il comporte des surcharges affectant de toute évidence sa validité ; qu'en outre, le document établi le 28 décembre 1989 par les frères du défunt en faveur de la prévenue était à lui seul insuffisant pour permettre à celle-ci de bénéficier de la succession, n'ayant pas la valeur d'une renonciation de leur part, au sens de l'article 784 du Code civil ; que si Eric Y... a écrit au juge d'instruction qu'il n'avait jamais établi un tel document, il en précise le contexte dans sa lettre : 'mes avocats ne m'ont pas encore remis la copie des documents recueillis, en particulier, celui que j'aurais signé le 28 décembre 1989. ils m'ont promis d'intervenir auprès de vous pour les obtenir afin que je puisse les examiner ' ; et à la présentation de cette pièce, lors d'une audition de partie civile, il reconnaissait en être l'auteur, déclarant : 'c'est en voyant ce document que j'ai compris avoir fait l'objet d'une manipulation car en fait je n'ai pas vu le testament de mon frère, sinon j'aurais immédiatement constaté que ce n'était pas son écriture' ; qu'on ne peut dans ces circonstances affirmer qu'il a menti sur ce point ; qu'en revanche, la prévenue qui prétend ne pas avoir eu en mains le testament litigieux, n'ayant fait que remettre au notaire un dossier constitué par ses beaux-frères, a déclaré aux policiers qui l'ont auditionnée sur commission rogatoire du juge d'instruction : 'je tiens à vous affirmer immédiatement que le document représentant le testament olographe figurant dans le dossier a été rempli et signé par mon mari Robert Y..., il ne s'agit pas d'un document faux ou rempli par une tierce personne' ; qu'un témoin, entendu dans les mêmes circonstances, a déclaré : 'au décès de Robert, Christiane Y... m'a dit qu'elle avait un testament olographe, non déposé chez un notaire elle m'a demandé quel notaire je lui conseillais, je lui ai répondu son notaire de famille .' ; qu'elle retirera toutefois le dossier à ce notaire pour le confier à un autre, en l'étude duquel elle s'est présentée avec Pierre Z... ; que les révélations que ce dernier a faites sur l'existence d'un faux se sont révélées fondées et qu'il n'a pu en être informé que par Christiane X... ; que la prévenue a fait citer devant les premiers juges, un témoin qui a déclaré que le testament trouvé lors de l'ouverture du coffre 'présentait une surcharge écrite mais pas de la main de Robert' ; qu'il s'agissait donc du document établi le 2 juillet 1972, ce qui, en tout état de cause, confirme que la partie civile n'avait pas connaissance du testament litigieux quand elle a établi le manuscrit en faveur de sa belle-soeur le 28 décembre 1989 ; que ces éléments démontrent que l'infraction est caractérisée dans tous ses éléments et qu'il convient de confirmer le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité" (arrêt p. 8, 9 et 10) ;
"et aux motifs adoptés qu' "il est établi, son avocat le reconnaît dans ses écritures, que le document remis au notaire n'est pas de la main du mari ; que le témoin cité à l'audience par la prévenue a confirmé sa présence lors de l'ouverture du coffre et avoir vu le document produit par la prévenue daté du 2 juillet 1972 ;
que le témoin n'a apporté aucun élément sur le testament litigieux qu'elle ne connaît pas ; qu'il est donc indéniable qu'un faux a été utilisé ; que dès lors, la prévenue ne peut soutenir de bonne foi qu'elle a remis, sans le voir, un document faux et manifestement écrit pour les circonstances de la cause" (jugement p. 8) ;
"1 ) alors que, d'une part, le recel est un délit de conséquence trouvant son support dans le délit principal, lequel doit dès lors être préalablement caractérisé, en tous ses éléments ;
qu'en l'espèce, le délit principal de faux en écriture privée n'était pas caractérisé puisque le testament olographe litigieux ne comportait aucune altération de la vérité, Robert Y... ayant toujours manifesté la volonté d'instituer son épouse légataire universel de ses biens, comme en attestaient les témoignages de proches et les termes de son projet de testament ; qu'en cet état, la cour d'appel ne pouvait légalement déclarer Christiane X... coupable de recel de faux en écriture privée ;
"2 ) alors que, d'autre part, le délit de faux n'est punissable qu'à la condition que l'altération de la vérité soit de nature à causer un préjudice ; que la rédaction d'un faux testament olographe au bénéfice de l'épouse du défunt, conforme aux volontés qu'il avait exprimées, de son vivant, et à un précédent testament olographe, ne cause aucun préjudice au frère de ce dernier qui avait été régulièrement écarté de la succession, à laquelle il avait d'ailleurs renoncé ; qu'en l'absence de préjudice subi par la partie civile, excluant le délit principal de faux, la cour d'appel ne pouvait déclarer Christiane X... coupable de recel de faux ;
"3 ) alors que, de troisième part, le recel suppose que son auteur bénéficie en connaissance de cause du produit d'un délit commis par un tiers ; que Christiane X..., qui pensait légitimement que le testament olographe, remis au notaire, matérialisait la volonté, clairement exprimée par son époux, à plusieurs reprises, en présence de tiers, ne pouvait avoir conscience de bénéficier du produit d'un délit ; qu'en retenant la prévenue dans les liens de la prévention du chef de recel de faux en écriture privée, sans autrement s'expliquer sur cette circonstance déterminante et exclusive du délit reproché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"4 ) alors qu'enfin, le délit de recel se prescrit à l'issue des trois années suivant le jour où le receleur s'est dessaisi du bien recelé entre les mains d'un tiers de bonne foi ; qu'en l'espèce, le délit de recel reproché à Christiane X... était prescrit au jour de la constitution de partie civile d'Eric Y... dès lors que plus de trois années s'étaient écoulées depuis la remise par la prévenue au notaire du testament olographe argué de faux ; qu'en conséquence, la cour d'appel ne pouvait retenir la demanderesse dans les liens de la prévention du chef du délit de recel de faux, couvert par la prescription" ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 321-1, alinéas 1, 2 et 3, 321-3, 321-9, 321-10, 441-1, alinéa 1, 441-11 du Code pénal, 6, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a déclaré Christiane X... coupable de recel d'usage de faux en écriture privée, en répression, l'a condamnée à une amende de 10 000 euros avec sursis et, sur l'action civile, l'a condamnée à payer à Eric Y... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
"1 ) alors que, d'une part, l'auteur d'un usage de faux ne peut être poursuivi et condamné du chef de recel d'usage de faux ;
que la cour d'appel ne pouvait retenir Christiane X... dans les liens de la prévention du chef de recel, pour avoir "bénéficié du produit du délit d'usage de faux, en l'espèce la succession", après avoir constaté que la prévenue avait fait usage du faux testament olographe pour recueillir l'intégralité de la succession de son époux, sans méconnaître le principe susvisé en violation des textes précités ;
"2 ) alors que, d'autre part, la prescription du délit d'usage de faux interdit que son auteur soit poursuivi et condamné du chef de recel d'usage de faux ; qu'ainsi, en présence de faits identiques, la cour d'appel ne pouvait légalement déclarer Christiane X... coupable de recel d'usage de faux, le délit d'usage de faux, pour lequel la demanderesse avait bénéficié d'un non-lieu, étant prescrit" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt, statuant sur l'action civile, a condamné Christiane X... à payer à Eric Y... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
"alors que, l'octroi de dommages-intérêts à la partie civile suppose que cette dernière ait subi un préjudice actuel et certain, en relation directe avec l'infraction ; qu'en l'espèce, Eric Y... n'ayant aucune vocation à recevoir la succession de son frère, même si le testament de 1989 était nul, en l'état d'un testament olographe du 2 juillet 1972, instituant Christiane X... légataire universel, le préjudice d'Eric Y... n'existait pas ; qu'en cet état, la cour d'appel ne pouvait légalement octroyer des dommages-intérêts à la partie civile" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Christiane X... a bénéficié de l'actif successoral de son époux, Robert Y..., après avoir déposé, le 9 février 1990, en l'étude Lourme, notaire, un testament olographe du 24 janvier 1988 la désignant comme légataire universelle, dont il est apparu qu'il n'avait été ni rédigé ni signé par Robert Y..., mais qu'il pouvait être imputé à son frère Claude ; que le 3 mars 1998, Eric Y..., autre frère du défunt, a porté plainte et s'est constitué partie civile des chefs de faux et usage, escroquerie, recel et de complicité de ces délits ;
Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable de recel de faux, l'arrêt attaqué prononce par les motifs propres et adoptés partiellement repris au premier moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que Christiane X... a bénéficié, en connaissance de cause, du produit du délit de faux, en l'espèce les biens de son époux défunt, la cour d'appel, qui a souverainement évalué l'indemnité réparatrice du préjudice direct et certain du frère du défunt constitué partie civile, a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.