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Décisions

Cass. com., 14 décembre 1993, n° 92-21.225

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

Mme Loreau

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, Me Choucroy

Paris, du 1 déc. 1992

1 décembre 1992

Attendu selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, qu'à la fin de l'année 1989, la société Compagnie de navigation mixte (la CNM) et le groupe allemand Allianz ont convenu de développer en commun leurs activités d'assurance en France ; que les sociétés CNM, Allianz Europe Ltd et Reunione Adriatica di Sicurta Spa, ont décidé le 25 octobre 1990 de faire apport de leurs participations respectives dans les sociétés du groupe Via Rhin et Moselle à la société Allianz Ras Holding France, devenue ensuite Allianz Via Holding France ; qu'un traité de réassurance précédemment conclu entre les sociétés Allianz France Iardt, filiale d'Allianz Via Holding France, et Allianz AG, société mère de la société Allianz Europe Ltd et chef de file du groupe Allianz, a été résilié par les sociétés contractantes, avec effet au 1er janvier 1991 ; qu'invoquant l'absence d'information sur cette résiliation qui selon elle aurait engendré une perte importante (378 MF) répercutée dans les comptes consolidés d'Allianz Via Holding France, la CNM a demandé en référé le 3 juin 1992 la désignation d'un expert de gestion aux fins essentielles d'examiner les circonstances dans lesquelles le groupe Allianz avait retiré la couverture en réassurance d'Allianz France Iardt et ses conséquences sur les comptes consolidés d'Allianz Via Holding France ; qu'en outre, le conseil d'administration d'Allianz Via Iardt ayant approuvé le projet d'apport partiel d'actifs de cette société à Allianz France Iardt, la CNM a assigné en référé le 7 juillet 1992 lesdites sociétés ainsi que la société Allianz Via Holding France pour qu'il soit sursis à l'opération envisagée, dans l'attente de l'expertise de gestion sollicitée, dont l'objet a été étendu notamment, à l'examen des conditions dans lesquelles les transferts de portefeuilles entre les sociétés Allianz Via Iardt et Allianz France Iardt étaient intervenus, à la recherche d'éléments permettant d'apprécier si l'état de la comptabilité d'Allianz France IARDT permettait d'envisager l'apport partiel d'actifs litigieux et ne faisait pas courir des risques fiscaux, à l'estimation d'un immeuble appartenant à Allianz France IARDT lors des opérations d'apport à Allianz Via Holding France, ainsi qu'à la remise des états dits " APIS " (Allianz Planning Information System) permettant de suivre la marche du groupe par société et par branche d'activité ;

Sur le premier moyen pris en ses trois branches et sur le deuxième moyen pris en sa première branche, et réunis :

Attendu que la CNM fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable pour défaut de qualité la demande d'expertise de gestion sollicitée en tant qu'elle portait sur des opérations accomplies par Allianz France Iardt, alors selon le pourvoi, d'une part, que la circonstance selon laquelle une opération de gestion est réalisée par une filiale ne suffit pas à priver un actionnaire d'une société mère du droit de demander une expertise de gestion, l'opération de la filiale pouvant affecter la société mère ; qu'en énonçant que la qualité de CNM d'actionnaire de la société mère et non d'une filiale suffit à la priver de la faculté de demander une expertise de gestion, la cour d'appel a violé l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors d'autre part, que la mission d'un expert de gestion peut s'étendre, lorsque l'information des actionnaires d'une société anonyme le requiert, à d'autres sociétés liées à la première ; qu'en omettant de rechercher si la correcte information des actionnaires de la société Allianz Via Holding France ne supposait pas que des investigations soient menées au sein de certaines de ses filiales, susceptibles d'intéresser les actionnaires de la société mère, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors en outre, que s'agissant du projet d'apport partiel d'actifs d'Allianz Via IARDT, la CNM avait fait valoir dans ses écritures d'appel, que sa réalisation passait par une décision d'Allianz Via Holding France de voter, aux assemblées générales extraordinaires de ses filiales, en faveur de l'opération et qu'il y avait ainsi opération de gestion attribuable à la holding ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et privé sa décision de base légale au regard de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ; et alors enfin, que la réalisation d'un tel apport suppose non une délibération de l'assemblée générale des actionnaires de la société Allianz Via Holding France, mais une décision des organes de gestion de cette société de voter en faveur de l'opération au sein des assemblées générales des deux filiales concernées ; qu'en refusant néanmoins de constater l'accomplissement d'une opération de gestion dans la société Allianz Via Holding France, la cour d'appel a violé l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu en premier lieu, qu'en relevant que la CNM n'était actionnaire d'aucune des sociétés parties au contrat de réassurance, à savoir, Allianz France Iardt et Allianz AG, et en retenant que les répercussions de la résiliation dudit contrat sur les comptes consolidés d'Allianz Via Holding France, qui traduisaient au plan comptable la situation financière des sociétés entrant dans son périmètre de consolidation parmi lesquelles figurait Allianz Fance Iardt, étaient sans incidence sur l'étendue du droit de faire contrôler une opération de gestion réservé à l'actionnaire de la société qui a effectué cette opération, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu en second lieu, qu'il résulte de ses conclusions devant la cour d'appel que la CNM a fait valoir que " ces opérations (l'apport partiel d'actifs) procèdent bien d'actes de gestion de la holding commune Allianz Via Holding France dont la CNM est l'actionnaire minoritaire, car elles n'ont pu être engagées que parce qu'Allianz Via Iardt et Allianz France Iardt étaient toutes deux filiales de cette holding " et que cet apport partiel d'actifs, " qui devra être soumise à l'approbation des assemblées générales des deux filiales ",... " était une décision prise par Allianz Via Holding France et imposée par son actionnaire majoritaire allemand " ; que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions que leur caractère imprécis et hypothétique rendait inopérantes ;

Qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches :

Attendu que la CNM fait également grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande d'expertise tendant à l'estimation de l'immeuble appartenant à Allianz France Iardt, à la communication des états " APIS " et à l'appréciation de la fiabilité des comptes d'Allianz France Iardt, alors selon le pourvoi, d'une part, qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée par la CNM si une expertise était nécessaire quant à l'évaluation de l'immeuble appartenant à Allianz France Iardt sous l'angle des provisions à constituer sur les participations d'Allianz Via Holding France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors d'autre part, qu'en ne répondant pas aux conclusions de la CNM qui faisaient valoir qu'il était nécessaire de savoir si une nouvelle estimation de l'immeuble avait été faite, pour la constitution de provisions sur participations par la société Allianz Via Holding France, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors au surplus, que l'expertise de gestion constitue l'un des moyens par lesquels les actionnaires peuvent exercer leur droit à l'information ; qu'en renvoyant la CNM à mettre en oeuvre une " procédure appropriée ", pour obtenir la communication de documents dont il n'était pas contesté qu'ils étaient propres à l'organisation interne du groupe Allianz et n'avaient pas été établis pour satisfaire à des obligations légales ou réglementaires, la cour d'appel a violé l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ; et alors enfin, que si une demande d'expertise de gestion ne saurait tendre à remettre directement en cause la régularité et la sincérité des comptes sociaux, un expert peut être nommé en vue d'apprécier les conséquences comptables d'opérations de gestion déterminées ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt que la mission proposée par la CNM impliquait une telle appréciation ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a donc violé l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu en premier lieu, qu'en retenant que n'entrait pas dans les opérations d'une expertise de gestion la contestation de l'évaluation de l'immeuble appartenant à Allianz France Iardt calculée pour fixer la valeur des apports lors de la signature de la convention du 25 octobre 1990, opération étrangère à la gestion, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire une recherche que sa décision rendait inopérante, a répondu en les écartant aux conclusions invoquées ;

Attendu en second lieu, qu'en retenant que la demande de communication des états " APIS " ne pouvait relever d'une expertise de gestion, mais devait faire l'objet d'une procédure appropriée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu enfin, qu'ayant relevé que la demande d'expertise avait pour objet d'apprécier la fiabilité des comptes d'Allianz France Iardt et ses conséquences sur les comptes de la holding au regard de la modification des conditions de réassurance et des calculs des provisions techniques, la cour d'appel en a déduit que cette demande tendait à remettre en cause la régularité et la sincérité des comptes consolidés ou sociaux ; qu'en décidant qu'une telle demande n'était pas recevable, elle a légalement justifié sa décision ;

Qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la CNM fait encore grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables et non fondées ses demandes tendant, à titre principal, à faire surseoir à l'opération d'apport partiel d'actifs et, à titre subsidiaire, à obtenir la nomination d'un administrateur chargé de surveiller le déroulement de cette opération, alors selon le pourvoi, d'une part, que le refus par la cour d'appel d'ordonner une expertise de gestion n'est pas légalement justifié (supra, premier et deuxième moyens) ; que la cassation de l'arrêt du chef de l'expertise entraînera l'annulation par voie de conséquence du chef de sursis à l'apport partiel d'actifs conformément à l'article 625 du nouveau Code de procédure civile ; alors d'autre part, que l'absence de participation directe de la société CNM dans les sociétés Allianz Via Iardt et Allianz France Iardt ne la privait pas, par elle-même, de qualité pour solliciter les mesures litigieuses ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1832 du Code civil et 873 du nouveau Code de procédure civile ; alors en outre, qu'en s'abstenant de rechercher si la réalisation de l'opération projetée entre Alianz Via Iardt et Allianz France Iardt n'aurait pas pour effet de créer une situation irréversible, empêchant de tirer les conséquences d'une éventuelle annulation de l'apport partiel d'actifs consenti par la CNM en octobre-décembre 1990, annulation qu'elle s'était réservée de solliciter du juge compétent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ; et alors enfin, qu'en s'abstenant de rechercher si, en réalisant l'apport partiel d'actifs litigieux dans une situation de désordre comptable, les sociétés Allianz Via Iardt et Allianz France Iardt ne s'exposaient pas à un risque fiscal grave, dont la concrétisation retentirait nécessairement sur Allianz Via Holding France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu en premier lieu, que les premier et deuxième moyens étant rejetés, le moyen est sans fondement en sa première branche ;

Attendu en second lieu, que l'arrêt retient que la CNM n'étant pas actionnaire des sociétés Allianz Via Iardt et Allianz France Iardt, aucun différend ne pouvait naître à ce titre du fait de l'apport partiel d'actifs décidées entre ces deux sociétés ; qu'en outre, la réalisation de ce projet n'était pas de nature à compromettre l'action engagée par la CNM pour obtenir réparation du préjudice que les prétendues manoeuvres dolosives de son coassocié majoritaire dans Allianz Via Holding France lui aurait causé, qu'indépendamment de l'absence de qualité de la CNM pour agir, l'allégation d'un dommage résultant du désordre allégué de la comptabilité d'Allianz France Iardt était injustifiée dans la mesure où les comptes de cette dernière avaient été certifiés et approuvés ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a décidé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer le sursis demandé ; que la cour d'appel qui a fait les recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ;

Qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la CNM au paiement de 50 000 francs envers la société Allianz Via Holding France sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : (sans intérêt) ;

Mais sur le quatrième moyen en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la CNM au paiement de dommages-intérêts envers la société Allianz Via Holding France :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que pour condamner la CNM à payer à la société Allianz Via Holding France la somme de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel retient que la CNM avait introduit une demande d'expertise de gestion à propos d'une opération qui échappait à son contrôle étant donné les conditions d'application de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 qu'elle ne pouvait ignorer, qu'elle l'avait maintenue pour la voir étendue à d'autres opérations de façon tout aussi contestable et pour créer rétrospectivement un climat de suspicion sur une négociation entre partenaires professionnels et avertis ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser la faute de la CNM, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la CNM au paiement envers la société Allianz Via Holding France la somme de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 1er décembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.