Cass. com., 10 février 2015, n° 13-14.779
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Riffault-Silk
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Piwnica et Molinié
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, que la société Newedge Group (la société Newedge) et la société GFI Securities Ltd (la société GFI) ont l'une et l'autre pour objet le courtage d'instruments financiers ; que la société Newedge, reprochant à la société GFI d'avoir provoqué la désorganisation de son activité en débauchant un grand nombre de ses salariés, a été autorisée, par ordonnance sur requête, à faire procéder à un constat au siège de cette société ainsi que sur les outils de communication mis à la disposition de ses anciens salariés ; que l'ordonnance du juge des référés rejetant la demande de la société GFI tendant à la rétractation de cette autorisation a été partiellement confirmée par la cour d'appel ;
Sur le premier moyen, après avis de la chambre sociale :
Attendu que la société GFI fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de rétractation de l'ordonnance autorisant la mesure alors, selon le moyen :
1°/ que l'article 11 du règlement intérieur de la société Newedge précisait seulement que les conversations téléphoniques des négociateurs d'instrument financiers étaient enregistrées en application des articles 313-48 à 313-56 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers et pouvaient être écoutées dans le cadre de contrôles effectués dans les conditions fixées par la directive relative à ces enregistrements ; que la charte d'utilisation des moyens de communication électronique précisait, en son article 4.1 relatif aux courriers électroniques, que ceux-ci pouvaient être archivés et consultés par le « département Conformité », tandis que l'article 4.3 intitulé « collecte d'information » informait les utilisateurs sur le fait que les messages émis et reçus étaient conservés ainsi que les « traces » des activités des systèmes ; que le glossaire annexé à la charte précisait que les « moyens de communication électroniques » étaient « la messagerie électronique, les services d'accès internet, et les outils de travail en commun sur intranet », et que la messagerie électronique était le « service de transmission de messages géré par ordinateur » ; qu'en considérant cependant que ces dispositions s'appliquaient aux SMS envoyés ou reçus par les salariés sur leur téléphone mobile, dès lors qu'ils n'étaient pas marqués comme « personnels », la cour d'appel leur a conféré un champ d'application qu'elles n'avaient pas et a méconnu le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;
2°/ que la société GFI faisait valoir dans ses conclusions qu'il était impossible d'identifier comme « personnel » un SMS envoyé par un téléphone mobile, de tels messages ne comportant pas de champ « objet » ; qu'en énonçant cependant que tant les courriels que les SMS à caractère non marqué « personnel » étaient susceptibles de faire l'objet de recherches pour des motifs légitimes, sans répondre à ce moyen de nature à établir que ce critère n'était pas suffisant pour protéger le droit à la vie privée des salariés, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que l'enregistrement de SMS à l'insu tant de leur émetteur que de leur destinataire constitue un procédé déloyal rendant irrecevable leur production à titre de preuve ; que l'employeur ne peut dès lors prendre connaissance, à leur insu, de messages écrits émis par ses salariés ou reçus par eux grâce à un téléphone mobile mis à leur disposition pour leur travail ; qu'il n'était pas prétendu en l'espèce que la société Newedge aurait interdit à ses salariés d'utiliser leurs téléphones mobiles, en dehors des heures de travail et à des fins personnelles ; qu'en disant cependant licite la production par la société Newedge, à l'appui de ses demandes, de SMS échangés par ses salariés, avec d'autres salariés ou avec des tiers, et enregistrés à leur insu, y compris en dehors des lieux et horaires de travail, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 9 du code civil et 9 et 145 du code de procédure civile, ensemble le principe de la loyauté dans l'administration de la preuve ;
Mais attendu que les messages écrits ("short message service" ou SMS) envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme étant personnels ; qu'il en résulte que la production en justice des messages n'ayant pas été identifiés comme étant personnels par le salarié ne constitue pas un procédé déloyal au sens des articles 9 du code civil et 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales rendant irrecevable ce mode de preuve ; qu'ayant retenu que les SMS à caractère non marqué "personnel" émis et reçus sur du matériel appartenant à la société Newedge étaient susceptibles de faire l'objet de recherches pour des motifs légitimes et que l'utilisation de tels messages par l'employeur ne pouvait être assimilée à l'enregistrement d'une communication téléphonique privée effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante invoquée à la deuxième branche, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article L. 511-33 du code monétaire et financier, ensemble l'article 11 du code de procédure civile ;
Attendu que le secret professionnel institué par l'article L. 511-33 du code monétaire et financier constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ;
Attendu que pour rejeter la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête formée par la société GFI, l'arrêt retient que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et qu'en ordonnant la mise sous séquestre par l'huissier de justice de toutes les copies de documents ou de fichiers réalisés dans le cadre de la mission et en précisant qu'il ne pourrait être procédé à la mainlevée du séquestre que par voie de référé, c'est-à-dire contradictoirement, le juge de la requête a assuré la préservation du respect du secret bancaire ou du secret des affaires et de la confidentialité ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'empêchement légitime résultant du secret bancaire ne cesse pas du seul fait que l'établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n'est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n'a pas lui-même renoncé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme l'ordonnance rejetant la demande de rétractation de l'ordonnance en ses chefs de mission autorisant l'huissier de justice à rechercher et prendre copie d'éléments portant atteinte au secret bancaire, l'arrêt rendu le 10 janvier 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.