Cass. com., 3 février 2015, n° 13-28.164
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 octobre 2013), que la société Oterom holding (la société Oterom) a été constituée par la Caisse Nationale des Caisses d'épargne, aux droits de laquelle se trouve la société BPCE, et les sociétés Nexity, Maif et Macif (les investisseurs) dans le dessein de prendre le contrôle de la société Meilleurtaux ; qu'elle a, par acte du 21 septembre 2007, fait l'acquisition de la majorité du capital de cette société auprès de ses principaux actionnaires, dont M. X..., qui en était le fondateur et principal actionnaire ; que M. X...est devenu associé de la société Oterom par l'apport en nature du solde des actions qu'il détenait dans la société Meilleurtaux ; qu'un pacte d'actionnaires a été conclu le 30 juin 2008 entre les investisseurs et M. X..., prévoyant que ce dernier demeurerait président du conseil d'administration de la société Meilleurtaux, en charge de la direction générale, pour une période de trois exercices sociaux complets ; que ce pacte stipulait que, s'il était mis fin à ses fonctions de manière anticipée, M. X...disposerait de l'option de vendre aux investisseurs les titres de la société Oterom détenus par lui, les investisseurs s'engageant, en cas d'exercice de l'option de vente, à acquérir ces titres sur la base du prix de 41 euros par action, et qu'en cas de cessation anticipée de ses fonctions à la suite de sa révocation pour une " faute assimilable à la faute grave ou lourde au sens du droit social français ", M. X...ne disposerait pas de l'option de vente, seuls les investisseurs disposant alors d'une option d'achat sur la base d'un prix d'acquisition déterminé en fonction de la valeur de l'entreprise ; que le conseil d'administration de la société Meilleurtaux a, le 24 décembre 2008, révoqué M. X...de ses mandats de président du conseil d'administration et de directeur général pour faute grave ; que contestant avoir commis une " faute assimilable à la faute grave ou lourde au sens du droit social français ", M. X...a notifié aux investisseurs l'exercice de son option de vente de ses actions Oterom au prix de 41 euros l'action ; que les investisseurs lui ayant opposé un rejet de sa demande, M. X...les a assignés en paiement ; que la société Nexity participations est intervenue à l'instance ;
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que la faute grave au sens du droit social français est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits d'une gravité telle qu'elle justifie le départ immédiat de celui qui en est l'auteur de l'entreprise ; que, sauf réitération ou accumulation d'actes manifestant une attitude générale d'insubordination, ne constitue pas une faute grave, le simple fait, pour un salarié, même lorsqu'il est en charge d'importantes responsabilités, de n'avoir pas déféré, sur une très courte durée et dans un climat conflictuel, à certaines des obligations inhérentes à ses fonctions ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à constater que M. X...avait attendu entre une et deux semaines pour transmettre au conseil d'administration un business plan que celui-ci attendait de plusieurs mois, qu'il s'était concomitamment opposé à la réalisation d'un audit décidé par le conseil d'administration et que, informé de la volonté de celui-ci de le révoquer, il avait tardé à le réunir ; qu'en retenant néanmoins la faute en l'état de ces seuls faits, au demeurant commis sur une courte période, concomitante à la révocation de M. X...et marquée par un conflit violent avec les autres actionnaires, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que la faute grave n'est pas caractérisée lorsque les faits ont été commis dans un contexte conflictuel et alors que la pérennité des fonctions du salarié est menacée ; qu'en retenant l'existence d'une faute grave sans s'être intéressée, comme cela lui avait été pourtant demandé, au contexte dans lequel les faits qui lui étaient reprochés avaient été commis, lequel était caractérisé par une franche hostilité des nouveaux actionnaires à son endroit et par un climat de suspicion généralisée qui laissait supposer la volonté de ces derniers de mettre un terme à son mandat social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
3°/ qu'il appartient aux juges du fond d'identifier les pièces sur lesquelles ils fondent leur décision ; qu'en se bornant, sur le grief pris de la non transmission d'informations au conseil d'administration, à énoncer de manière générale que la réalité des faits invoqués à l'encontre de M. X...serait établie « par les documents produits » ou qu'elle résulterait « des pièces produites », sans préciser de quels documents ou de quelles pièces il s'agit, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que la faute grave, au sens du droit social français, étant celle qui justifie le départ immédiat du salarié de l'entreprise, suppose une réaction immédiate de l'employeur, lequel doit notamment mettre en oeuvre la procédure de licenciement dans un délai restreint après la commission des faits invoqués au soutien de la rupture du contrat ; qu'en l'espèce, il résulte des motifs de l'arrêt attaqué que le conseil d'administration a décidé de la réalisation d'un audit le 2 octobre 2008, que M. X..., qui contestait à la fois le périmètre de cet audit et l'expert désigné à cet effet, a d'abord refusé de signer l'ordre de mission, que cet audit avait finalement pu avoir commencé le 13 novembre suivant, à la suite d'une nouvelle réunion du conseil d'administration et enfin que le conseil d'administration a décidé, le 11 décembre 2008, de se prévaloir du refus initial de M. X...pour invoquer la faute grave ; qu'en retenant la faute grave quand elle a ainsi relevé que le conseil d'administration avait attendu plus de deux mois pour sanctionner le refus de M. X...et ce, alors que l'audit avait déjà commencé depuis un mois, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que le conseil d'administration n'avait pas réagi dans un délai suffisamment restreint pour pouvoir se prévaloir utilement de la faute grave, et a violé l'article 1134 du code civil ;
5°/ que dans ses conclusions d'appel, M. X...faisait valoir que le grief pris d'une entrave à sa révocation était irrecevable pour ne pas avoir été soumis au comité de stratégie alors qu'il s'agissait d'une exigence prévue par le pacte d'actionnaires ; que la cour d'appel, qui a jugé que celui-ci justifiait la faute grave sans répondre à ce moyen des conclusions d'appel de M. X..., a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ que, partant, en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans la mesure où le comité a été réuni en violation de l'article 9 du pacte d'associés et de l'article 6 de la charte de gouvernance ;
7°/ qu'une privation de propriété, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, constitue une atteinte excessive au droit de propriété ; qu'en retenant l'existence d'une faute grave quand une telle qualification avait pour conséquence de permettre l'application de l'article 9. 2. 1 du pacte d'actionnaires, lequel autorisait le rachat de la société Meilleurtaux au prix, manifestement spoliateur, d'un euro, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de ses conclusions ni de l'arrêt que M. X...ait soutenu devant la cour d'appel que le prix de rachat des actions du dirigeant révoqué pour faute grave revêtait un caractère spoliateur, contraire à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir énoncé qu'il résulte des dispositions de l'article L. 225-51 du code de commerce que le président du conseil d'administration est tenu de communiquer à chaque administrateur tous les documents nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions et doit s'assurer que les administrateurs sont en mesure de remplir leur mission, l'arrêt retient, d'abord, que les administrateurs ayant, lors d'une réunion du 2 octobre 2008, décidé une mesure d'audit ayant pour principal objet de rechercher des solutions dans l'intérêt de la société qui enregistrait de lourdes pertes, M. X...s'est opposé illégitimement, pendant plusieurs semaines, à l'exécution de cette décision régulièrement adoptée par le conseil d'administration, ensuite, que la transmission aux administrateurs, par M. X..., du business plan le 10 décembre 2008 au soir, soit la veille du conseil d'administration, est gravement fautive de la part de ce dirigeant, qui disposait de ce document depuis plusieurs jours, le retard injustifié apporté à la transmission d'informations capitales ayant privé les administrateurs de la faculté de déterminer les orientations stratégiques à prendre pour remédier à la situation très dégradée dans laquelle se trouvait la société ; qu'il relève encore que les agissements de M. X...ont mis gravement en cause le fonctionnement de la société Meilleurtaux en entravant les travaux et les décisions du conseil d'administration, enfin, que ce dernier a envisagé de sanctionner le refus opposé par M. X...à la mise en oeuvre de la mesure d'audit dès le 11 décembre 2008, soit le jour même où le conseil avait effectué le constat de la non transmission fautive d'informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, desquelles elle a pu déduire que de tels agissements caractérisaient de la part de M. X...des manquements particulièrement graves aux obligations inhérentes à ses mandats de président et directeur général, rendant impossible son maintien dans ses fonctions et justifiant sa révocation pour faute grave, et que le conseil d'administration avait réagi avec diligence pour sanctionner un ensemble d'agissements que leur accumulation rendait gravement fautifs, la cour d'appel, qui a précisé le contenu des pièces et documents qu'elle détenait, et qui n'était pas tenue de répondre à un moyen que ses constatations rendaient inopérant, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et vu l'article 462 du code de procédure civile ;
Vu la requête en rectification d'erreur matérielle présentée par la société Maif ;
Attendu que par suite d'une erreur matérielle, l'arrêt fait mention, en page 2, de la société Filia-Maif et non de la société Maif ;
Attendu qu'il y a lieu de réparer cette erreur ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.