Cass. com., 6 septembre 2016, n° 14-29.518
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 24 septembre 2014), que la société Home médical service (la société HMS), titulaire de la marque verbale française « Securis » enregistrée sous le numéro 3153932 afin de désigner notamment des lits construits spécialement pour des soins médicaux et des barrières de protection de tels lits, a agi en contrefaçon de cette marque à l'encontre de la société Matifas, en lui reprochant de commercialiser, par l'intermédiaire de l'UGAP, centrale d'achat public, plusieurs types de lits médicalisés sous les dénominations Securis, Securis + et Securis ++ ; que la cour d'appel a accueilli cette demande ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Matifas fait grief à l'arrêt de dire qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon de marque alors, selon le moyen, que pour exclure tout risque de confusion du fait de l'usage du terme Securis, la société Matifas exposait que le contrat conclu avec l'UGAP l'avait été au terme d'une procédure d'appel d'offres à laquelle la société HMS n'avait pas soumissionné, lequel appel d'offres excluait par nature toute référence à la marque, conformément à ce que dispose l'article 6.IV du code des marchés publics ; qu'en s'abstenant de toute recherche sur ce point malgré l'invitation qui lui avait été faite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'ayant retenu qu'il n'est pas exact que l'utilisation des signes litigieux n'ait été qu'à destination du seul organisme UGAP, que le destinataire et utilisateur final est la collectivité, et que cette dernière peut être trompée sur l'origine des produits, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante portant sur la prétendue exclusion de tout risque de confusion en raison des conditions de conclusion du marché avec cet organisme, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Matifas fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société HMS la somme de 61 236 euros au titre de l'exploitation de la marque « Securis », celle de 5 000 euros au titre de l'atteinte à l'image de la marque ainsi que celle de 1 500 euros au titre de la reproduction sans son autorisation de sa marque sur tout support papier, et d'ordonner la publication à ses frais de la décision de condamnation alors, selon le moyen :
1°/ que l'article L. 716-14, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable à la cause antérieure à la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014, en ce qu'il dispose que le juge peut, sur demande de la partie lésée, « allouer à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte », sans prévoir aucune limite à cette somme forfaitaire, n'est pas compatible avec les dispositions précises et inconditionnelles de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, en ce qu'elles énoncent à l'article 13 de la directive que « les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s'est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l'atteinte », après avoir précisé dans son 26e considérant, à propos de cette disposition, que « le but est non pas d'introduire une obligation de prévoir des dommages-intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective » ; qu'en condamnant la société Matifas sur le fondement de l'article L. 716-14, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle, incompatible avec les dispositions précises et inconditionnelles de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, la cour d'appel a violé l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ensemble l'article 13 de la directive précitée et son 26e considérant ;
2°/ que l'abrogation de l'article L. 716-14, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle, qui sera prononcée par le Conseil constitutionnel après l'examen de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par mémoire distinct de la société Matifas, justifiera la cassation par voie de conséquence de l'arrêt attaqué, privé de fondement juridique ;
3°/ que pour fixer les dommages-intérêts, la juridiction peut, alternativement, soit prendre en considération les conséquences économiques négatives dont le manque à gagner subi par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte, soit, à la demande de la partie se prétendant lésée, allouer une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ; qu'en condamnant la société Matifas à payer à la fois la somme à laquelle aurait pu prétendre la société HMS si elle avait conclu un contrat de licence d'exploitation avec elle et l'atteinte à l'image de la marque ainsi que le préjudice né de la reproduction de la marque sur tout support papier, la cour d'appel a violé l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable à la cause ;
4°/ que les documents comptables émanant de l'UGAP établissent clairement et précisément que le chiffre d'affaires de 612 460,02 euros ne correspondait pas uniquement à des lits psychiatriques, mais à divers éléments d'équipement ne comportant pas la marque « Securis », tels des tables à manger, des fauteuils de repos ou des chaises actives (cf. la synthèse postes annexée au courrier du conseil de l'UGAP du 17 janvier 2013 confirmant page 2 que les lits psychiatriques ne sont concernés que par les lignes 3 à 8 (« lit psychiatrique hauteur fixe »), lignes 24 à 29 (« lit psychiatrique hauteur variable »), ligne 59-64 (« lit psychiatrique hauteur fixe »), ligne 80 à 85 (« lit psychiatrique hauteur variable ») de ce document) ; qu'en jugeant que le chiffre d'affaires de 612 360,02 euros réalisé avec l'UGAP « a été généré par la vente des lits psychiatriques ainsi que cela ressort des documents comptables émanant de l'UGAP », la cour d'appel a dénaturé lesdits documents, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
5°/ que, pour établir que le chiffre d'affaires de 612 360,06 euros ne correspondait qu'à hauteur de 281 708,52 euros à des lits marqués Securis, la société Matifas exposait que « les commandes passées par l'UGAP à Matifas n'ont pas porté exclusivement sur des lits mais ont également englobé divers accessoires/équipements et mobiliers de chambre », ainsi qu'il « ressort (…) des pièces versées aux débats et notamment des pièces adverses n° 42,57,59 » et du courrier du conseil de l'UGAP du 17 janvier 2013 rappelant que les « lots psychiatriques [ne] sont concernés [que] par les lignes 3 à 8 (« lit psychiatrique hauteur fixe »), lignes 24 à 29 (« lits psychiatriques hauteur variable »), lignes 59-64 (« lit psychiatrique hauteur fixe »), lignes 80 à 85 (« lit psychiatrique hauteur variable ») » (ibid.), que la lecture des autres lignes du document comptable annexé au courrier du conseil de l'UGAP confirmait qu'avaient également été vendus à cette dernière divers éléments d'équipement ne comportant pas la marque « Securis », tels des « tables à manger », des « fauteuils de repos » ou des « chaises actives », ce que confirmaient également les « factures versées aux débats par la concluante (…) Pièces n° 10 : factures de la société Matifas » ; qu'en jugeant que le chiffre d'affaires de 612 360,02 euros réalisé avec l'UGAP « a été généré par la vente des lits psychiatriques ainsi que cela ressort des documents comptables émanant de l'UGAP », sans analyser, même sommairement, les pièces produites aux débats, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, en sa rédaction applicable à la cause, se borne à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive n° 2004/48 CE du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 29 avril 2004, relative au respect des droits de la propriété intellectuelle ;
Attendu, en deuxième lieu, que la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique, 9 juillet 2015, QPC incidente au pourvoi n° 14-29.518) a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu, en outre, que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (17 mars 2016, C-99/15, Christian Liffers) que l'article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu'il permet à la personne lésée par une violation de son droit de propriété intellectuelle, qui réclame une indemnisation de son dommage matériel calculée, conformément au second alinéa, sous b), du paragraphe 1, de cet article, sur la base du montant des redevances ou des droits qui lui auraient été dus si le contrevenant lui avait demandé l'autorisation de faire usage du droit de propriété intellectuelle en cause, de réclamer de surcroît l'indemnisation de son préjudice moral telle qu'elle est prévue au paragraphe 1, second alinéa, sous a), du dit article ;
Et attendu, enfin, que sous le couvert de griefs de dénaturation et de défaut de motifs, le moyen ne tend, en ses deux dernières branches, qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur probante des pièces en débat ;
D'où il suit que le moyen, sans portée en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.