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Décisions

Cass. com., 11 mai 1999, n° 98-11.392

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

Mme Aubert

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Defrénois et Levis, SCP Lesourd, Me Spinosi

Pau, du 16 déc. 1997

16 décembre 1997

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 16 décembre 1997), que, par jugement du 27 mai 1997, le Tribunal a arrêté le plan de cession des actifs de la société Salmona et des sociétés auxquelles la procédure de redressement judiciaire ouverte le 31 juillet 1996 avait été étendue, au profit de la société Viviers de France (le cessionnaire), M. Y... étant nommé commissaire à l'exécution du plan ; que la société Euraqua, les sociétés Gabriel X... et Aqualande mer, qui participent au capital de la société Euraqua dont l'offre n'a pas été retenue (le candidat repreneur évincé), ont formé un appel nullité contre ce jugement ;

Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :

Attendu que les défendeurs invoquent, d'un côté, que le pourvoi est irrecevable contre les arrêts statuant sur un plan de cession, de l'autre côté, qu'il est irrecevable de la part du candidat repreneur évincé qui n'a pas la qualité de partie à l'instance ;

Mais attendu que le candidat repreneur évincé a formé un pourvoi contre l'arrêt qui a déclaré son appel nullité irrecevable et qui l'a condamné au paiement de dommages-intérêts ;

Que son pourvoi est recevable ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le candidat repreneur évincé fait grief à l'arrêt d'avoir été rendu au regard de conclusions écrites déposées par le ministère public, sans que celles-ci aient été mises à sa disposition ou lui aient été communiquées, alors, selon le pourvoi, que le ministère public qui choisit de déposer des conclusions écrites doit respecter les droits de la défense et le principe de la contradiction en les communiquant aux parties ou en les mettant à leur disposition préalablement à l'audience, dans un délai suffisant pour leur permettre d'y répondre utilement ; que ces droits et principe n'ayant pas été respectés en l'espèce, l'arrêt, qui mentionne l'existence de conclusions écrites déposées par le ministère public, a été rendu en violation des droits de la défense, de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que le ministère public, qui intervient en qualité de partie jointe, a la faculté, en application de l'article 431 du nouveau Code de procédure civile, de faire connaître ses conclusions, soit par écrit, soit oralement à l'audience ; que lorsqu'il choisit de déposer des conclusions écrites, aucune disposition ne lui impose de les communiquer aux parties avant l'audience ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que le candidat repreneur évincé fait encore grief à l'arrêt d'avoir déclaré son appel nullité irrecevable, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le tribunal a énoncé, dans le jugement entrepris, d'un côté, qu'il avait, par l'intermédiaire de son conseil, déposé une note aux fins notamment de voir " prononcer la nullité de l'offre de la société Viviers de France en raison (...) de la date d'expiration de l'offre rendant celle-ci caduque " et, de l'autre côté, que le moyen soulevé par lui, tiré de ce que l'offre de cette dernière société avait été présentée tardivement n'était pas fondé (jugement p. 14 et 26) ; qu'il en résulte que le tribunal s'était considéré comme valablement saisi par la note susvisée à laquelle il a cru devoir répondre et par laquelle il était intervenu volontairement à l'instance, admettant, par là-même, la recevabilité de cette intervention ; que la cour d'appel, qui n'a pas réformé le jugement entrepris, ne pouvait, dès lors, lui dénier la qualité de partie au procès, sans violer les articles 4, 30 et 31 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que l'article 61 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, il avait acquis la qualité de partie du fait de son intervention devant le Tribunal par voie de " conclusions ", quand bien même la recevabilité de cette intervention aurait pu être discutée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 4 et 31 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que l'article 61 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que le candidat repreneur dont l'offre n'a pas été retenue n'a pas de prétention à faire valoir, au sens des articles 4 et 31 du nouveau Code de procédure civile, quelles qu'aient pu être les modalités de son intervention devant le Tribunal ; que l'arrêt lui dénie donc à bon droit la qualité de partie pour faire appel ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Attendu que le candidat repreneur évincé fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamné ainsi que ses associés à payer à la société Viviers de France la somme de 3 225 375 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices commercial, technique et financier, ainsi que celle de 20 000 francs en réparation de son préjudice pour procédure abusive et de les avoir également condamnés solidairement à payer une somme de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts à M. Y..., ès qualités, alors, selon le pourvoi, que l'exercice d'un recours ne peut donner lieu au paiement de dommages-intérêts que si un abus de droit a été caractérisé ; qu'un recours déclaré irrecevable ne peut être jugé abusif de ce fait que s'il était manifestement irrecevable ; que la cour d'appel, qui a admis qu'une partie de la doctrine, fût-elle minoritaire, admettait la recevabilité du recours litigieux, a constaté qu'en l'espèce, l'appelant avait déposé des conclusions devant le Tribunal et n'a pas précisé que l'appel nullité aurait été manifestement irrecevable, ne pouvait, dès lors, statuer comme elle l'a fait, sans violer l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu que le candidat à la reprise, qui était le concurrent du cessionnaire, n'avait pas de prétention à faire valoir et a commis une faute en exerçant néanmoins un recours que la jurisprudence déclare irrecevable et dont il doit réparation au cessionnaire et au mandataire de justice de l'entreprise cédée ; qu'ainsi, elle a légalement justifié sa décision ; que le moyen est sans fondement ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1382 du Code civil :

Attendu que la réparation du dommage ne peut excéder le montant du préjudice ;

Attendu que pour condamner solidairement le candidat repreneur évincé, en la personne des sociétés Euraqua, Gabriel X... et Aqualande mer, à payer à la société Viviers de France la somme de 3 225 375 francs en réparation de ses préjudices commercial, technique et financier ainsi que la somme de 20 000 francs en réparation de son préjudice pour procédure abusive, l'arrêt retient que le recours exercé par le candidat repreneur évincé a causé un préjudice au cessionnaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice causé par l'abus du droit d'agir en justice ne peut être réparé deux fois, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné les société Euraqua, Gabriel X... et Aqualande mer à payer solidairement à la société Viviers de France les sommes de 3 225 375 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices commercial, technique et financier et 20 000 francs en réparation de son préjudice pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 16 décembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.