Livv
Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 15 janvier 2014, n° 13/03262

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mathi (SARL)

Défendeur :

Claus (ès qual.), Guyomard (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseillers :

Mme Schneider, Mme Roubertou

Avocat :

Me Cahn

TGI Strasbourg, du 26 juin 2013

26 juin 2013

Par un jugement du 25 juin 2012, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Mathi exploitant le fonds de commerce «'Le palais gourmand'» à Strasbourg. Par un jugement du 26 juin 2013, le tribunal a mis fin à la période d'observation et prononcé la liquidation judiciaire de la société débitrice.

La société Mathi a régulièrement interjeté appel de ce jugement. Elle demande à la Cour de prolonger les effets du redressement judiciaire, de lui donner acte de la présentation d'un plan de redressement judiciaire consistant en un règlement de la totalité du passif sur 10 ans et de constater l'accord de son banquier le CIC Est.

Au soutien de son appel, elle expose : la situation financière s'est améliorée depuis le mois d'avril 2013 ; son chiffre d’affaires a augmenté et est supérieur au seuil de rentabilité ; elle a procédé au licenciement de salariés, réduisant d'autant ses charges'; elle a présenté un projet de plan aux créanciers le 27 novembre 2013, prévoyant un règlement intégral du passif sur 10 ans'; la banque CIC Est s'est déclarée d'accord avec cet échéancier, qui prévoit pour elle des mensualités de 1914,02 € pour un capital s'élevant au 21 novembre 2013 à 190 243,51 € ; elle est à jour de ses loyers, tout en contestant une augmentation du loyer de 35 % intervenue en juin 2012 ainsi que certaines charges.

Me Guyomard, administrateur judiciaire, a informé la Cour de plusieurs dettes postérieures au jugement d'ouverture qui restent impayées. L'administrateur judiciaire ajoute': à défaut d'un plan de redressement par continuation, la liquidation judiciaire serait la seule solution'; il existe en outre un risque pour le plan en raison de procédures prud'homales en cours.

Me Claus, mandataire judiciaire, a été régulièrement assigné mais n'a pas constitué avocat ni

présenté d'observation.

Le rapport du juge commissaire, dont la formalité n'est pas requise devant la Cour, n'a pas été sollicité.

M. le Procureur général à qui l'affaire a été communiquée a requis en faveur de l'adoption du plan tout en faisant des réserves du fait de l'absence d'une comptabilité prévisionnelle suffisante.

Sur ce, la Cour,

Il résulte du rapport établi par l'administrateur judiciaire à l'issue de la période d'observation au mois de juin 2013 et des éléments postérieurs communiqués à hauteur d'appel que la société débitrice présente une situation financière commerciale assainie par rapport au début de la procédure de redressement judiciaire en juin 2012.

Plusieurs éléments sont à prendre en considération pour apprécier la pertinence du plan de redressement judiciaire proposé, en particulier l'importance du passif, la capacité de la société débitrice à poursuivre son activité en apurant son passif dans un délai réaliste, et les garanties offertes.

En ce qui concerne le passif échu et déclaré, il s'établit à 163 197,09 €, représentant principalement des dettes envers les organismes sociaux (50 103 €)et envers les fournisseurs (64 239,65 €) ainsi qu'un prêt bancaire nanti sur le fonds de commerce, pour lequel la banque a exprimé son accord avec un rééchelonnement de la dette.

À ce passif s'ajoutent les dettes postérieures à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire soit de juin 2012 à juin 2013, respectivement jusqu'à ce jour.

La société débitrice rencontre des difficultés pour faire face à ces dettes notamment envers l'URSSAF mais elle a pu réduire son endettement, passant de 12 943 € au mois de juin 2013 à 5 235 € au mois d'octobre 2013. D'autres organismes sociaux sont également impayés notamment AG2R ARRCO pour 11 626,28 € (hors pénalités et majorations).

Ces dettes nouvelles impayées liées à la poursuite d'activité sont imputables selon l'administrateur judiciaire à la rentabilité insuffisante du fonds, la société réalisant un CA de 18 000 € en moyenne par mois, soit moins que le seuil de rentabilité, estimé à 20 000 € par le gérant lui-même.

La société débitrice a cependant amélioré sa rentabilité au deuxième semestre 2013 grâce à la diminution des charges sociales résultant du licenciement économique de trois salariés (pour lesquels l'administrateur judiciaire a évoqué le risque lié aux actions prud'homales engagées).

Il ne sera pas tenu compte ici des dettes locatives dont le calcul des loyers et des charges est contesté par la société débitrice.

Par ailleurs, la société débitrice n'a aucun actif significatif : un matériel d'exploitation estimé à 10 915 €, des stocks valorisés à 10 056 €, peu de créances clients et un disponible en caisse insignifiant ; aussi le règlement total ou partiel du passif ne peut être envisagé que dans le cadre d'un plan d'apurement.

La société débitrice propose un plan prévoyant le paiement de la totalité de son passif sur 10 ans dont les premières annuités (2014 à 2018) sont réduites, passant de 1 à 7 %, et le principal est reporté pour l'essentiel sur les années ultérieures (2019 à 2023) pour des annuités passant de 15 % à 18 %.

Ce projet paraît réaliste malgré sa durée': d'une part, il prévoit des remboursements mensuels

modérés entre les mains du commissaire à l'exécution du plan'; d'autre part, il est assorti comme garantie de l'inaliénabilité du fonds de commerce, ce qui est de nature à pérenniser l'exploitation, étant relevé que la société débitrice est établie à proximité immédiate du Centre commercial des Halles à Strasbourg dans un lieu passant.

Le mandataire judiciaire a consulté les créanciers ayant déclaré leurs créances. Sur les 48 créanciers, seul un créancier s'y est opposé, UGRR ISRA, représentant une créance de 17 628,25 €. Une partie significative des créanciers (23 créanciers) enfin n'ont pas répondu.

Il est donc possible de considérer que malgré le risque des actions prud'homales en cours, le plan proposé est conforme aux intérêts des créanciers et qu'il est susceptible de permettre à la fois la poursuite de l'activité, le maintien des emplois concernés et un apurement du passif.

Au vu de ces éléments, il sera fait droit aux conclusions de l'appelante, selon les modalités fixées dans le dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

REFORME le jugement déféré,

Et, statuant à nouveau,

ARRÊTE le plan de redressement judiciaire par continuation au profit de la société Mathi Le palais gourmand,

DONNE acte aux créanciers qui se sont exprimé de leur accord sur les modalités du projet de plan présenté,

FIXE la durée du plan à 10 ans,

DIT que M. S., en sa qualité de gérant de la société Mathi Le palais gourmand, est tenu des engagements qu'il a pris,

DESIGNE Me Guyomard, en qualité de commissaire à l'exécution du plan,

DIT que les créances super privilégiées seront remboursées dès la notification du présent arrêt selon les dispositions de l'article L 626-20 I du code de commerce,

DIT que les créances d'un montant inférieur à 300 € seront remboursables dans les mêmes conditions selon les dispositions de l'article L 626-20 II du code de commerce,

DIT que les contrats de location de longue durée maintenus seront poursuivis et que les échéances impayées antérieures au jugement d'ouverture doivent être intégrées dans le paiement rééchelonné du passif, sauf accord des créanciers pour un report en fin de plan,

DIT que le prêt bancaire consenti par la banque CIC Est est remboursable seront des mensualités constantes sur 10 ans,

DIT que les autres créances privilégiées et chirographaires seront remboursées en intégralité sur 10 ans comme suit':

1er juin 2014 : 1 %

1er juin 2015 : 1 %

1er juin 2016 : 5 %

1er juin 2017 : 5 %

1er juin 2018 : 7 %

1er juin 2019 : 15 %

1er juin 2020 : 15 %

1er juin 2021 : 15 %

1er juin 2022 : 18 %

1er juin 2023 : 18 %

ENJOINT à la société Mathi Le palais gourmand de verser entre les mains du commissaire à l'exécution du plan les mensualités fixées par celui ci,

ENJOINT à la société Mathi Le palais gourmand de remettre au commissaire à l'exécution du plan ses comptes annuels chaque année dans un délai de six mois après la clôture de l'exercice,

DIT que les dettes de la période observation doivent être intégralement payées avant la première échéance du plan,

PRONONCE l'inaliénabilité du fonds de commerce de la société situé 2 Place Clément à Strasbourg pour la durée de l'exécution du plan,

DIT que cette mesure sera publiée par le commissaire à l'exécution du plan selon les modalités prévues par l'article R 626-25 du code de commerce,

RAPPELLE à la société Mathi Le palais gourmand que la résolution du plan pour inexécution de ses engagements peut être prononcée par le Tribunal de grande instance de Strasbourg à la demande de tout créancier, du commissaire à l'exécution du plan ou du ministère public, conformément à l'article L 626 27 du code de commerce,

MAINTIENT M. W., juge commissaire en fonctions jusqu'à la reddition définitive des comptes de Me Guyomard en sa qualité d'administrateur judiciaire et de Me Claus en sa qualité de mandataire judiciaire,

MAINTIENT Me Claus, mandataire judiciaire, dans ses fonctions le temps nécessaire à la vérification des créances,

MET les dépens à la charge de la société Mathi Le palais gourmand,

DIT qu'ils seront liquidés en frais privilégiées de la procédure de redressement judiciaire,

DIT que le contrôle de l'exécution du plan est assuré par Me Guyomard, commissaire à l'exécution du plan, sous la surveillance du Tribunal de grande instance de Strasbourg,

RENVOIE l'affaire à cette fin devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg,

ORDONNE les communications et les publicités légales prévues par l'article R 626-20 du code de commerce à la diligence du greffier.