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Décisions

Cass. soc., 14 décembre 2016, n° 15-20.812

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frouin

Rapporteur :

Mme Wurtz

Avocat général :

Mme Robert

Avocats :

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray

Toulouse, du 30 avr. 2015

30 avril 2015


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Fédération nationale des personnels CGT des sociétés d'études de conseil et de prévention, le syndicat départemental CFTC CSFV 13 et le comité d'entreprise de l'UES Groupe Eurogiciel ont assigné devant le tribunal de grande instance, les sociétés employeurs de l'UES, notamment pour contester la mise en oeuvre de l'accord collectif du 22 juin 1999 qui instaure pour les salariés relevant du régime « réalisation de missions » une convention de forfait et pour décider que ce forfait était inopposable aux salariés ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés font grief à l'arrêt de décider que le tribunal de grande instance était la juridiction compétente, alors, selon le moyen, que seul le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur les litiges qui peuvent s'élever à l'occasion d'un contrat de travail entre un employeur et ses salariés, même s'il y a lieu d'interpréter une convention collective ; qu'en jugeant pourtant que le tribunal de grande instance était compétent pour « dire qu'une convention de forfait a été mise en oeuvre par l'employeur de manière irrégulière à l'égard de certains salariés », qu'elle est « inopposable à ces salariés » et que l'employeur doit « régulariser la situation de ces salariés », la cour d'appel, qui a ainsi reconnu au tribunal de grande instance le droit de statuer sur un litige concernant l'employeur et ses salariés à l'occasion de leur contrat de travail, a violé l'article L. 1411-1 du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel étant juridiction d'appel tant du conseil de prud'hommes que du tribunal de grande instance, ne saurait être accueilli le moyen qui, critiquant un chef de dispositif confirmant la compétence de ce tribunal, est sans portée ;

Sur le deuxième moyen, en tant qu'il vise la recevabilité de la demande des syndicats relative au constat de l'irrégularité de la mise en oeuvre de la convention de forfait en heures :

Attendu que les sociétés font grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande des syndicats relative au constat de l'irrégularité de la mise en oeuvre de la convention de forfait en heures, alors, selon le moyen, que ni un comité d'entreprise, ni un syndicat, hors action de substitution, ne sont recevables à demander la condamnation de l'employeur au profit de certains salariés de l'entreprise ; qu'en jugeant pourtant que le comité d'entreprise et les syndicats demandeurs, qui n'exerçaient pas l'action de substitution, étaient recevables à demander que la mise en oeuvre par l'employeur de la « convention de forfait » soit déclarée « inopposable aux salariés » de l'entreprise relevant des modalités « réalisation de mission » et à réclamer que l'employeur « régularise la situation de ces salariés , la cour d'appel a violé les articles 31 et 32 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 2132-3 du code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'action des syndicats tendait à l'application de dispositions d'un accord de branche relatives à la rémunération d'une catégorie de salariés et à la reconnaissance de l'irrégularité de la mise en oeuvre de ces dispositions en l'absence de formalisation d'une convention individuelle de forfait, en a exactement déduit la recevabilité de cette action en réparation d'un préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés font grief à l'arrêt de dire que la convention de forfait en heures sur une base hebdomadaire résultant de l'article 3 du chapitre II de l'accord étendu du 22 juin 1999, annexé à la convention collective nationale Syntec, a été mise en oeuvre, à l'égard des salariés relevant des modalités « réalisation de missions », de manière irrégulière, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une convention collective de branche peut prévoir une modulation du temps de travail sur l'année, les heures réalisées au-delà de la durée légale du travail se compensant avec les heures réalisées en deçà, cet accord pouvant également prévoir que la rémunération mensuelle des salariés concernés est indépendante de l'horaire réel et est calculée dans les conditions prévues par l'accord ; qu'en l'espèce, l'article 1er du chapitre III de l'accord de branche du 22 juin 1999 prévoyait une modulation du temps de travail sur l'année en ces termes : « Pour les salariés concernés par les modalités de réalisation de missions (chapitre II), les périodes de suractivité et les sous-activités se compensent à l'intérieur de la période de 12 mois de référence » ; que l'article 3 du chapitre II, quant à lui, prévoyait la rémunération mensuelle des salariés soumis à cette modulation, indépendamment de l'horaire réel, en instaurant une rémunération fixe mensuelle correspondant à un temps de travail théorique de 38,5 heures hebdomadaires ; qu'en jugeant pourtant que ces stipulations devaient s'analyser comme un « forfait en heures sur une base hebdomadaire » et non comme un accord de modulation, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1er du chapitre III de l'accord de branche précité du 22 juin 1999 ;

2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire respecter et respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, le comité d'entreprise et les syndicats demandeurs n'avaient pas invoqué l'article 2 du chapitre III de l'accord de branche du 22 juin 1999 ni conclu à l'absence d'information des représentants du personnel requise par ce texte ; qu'en soulevant d'office l'application de ce texte et le prétendu défaut d'information des représentants du personnel, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, selon l'article L. 212-15-3 du code du travail, devenu les articles L. 3121-38 et L. 3121-40 de ce code, en sa rédaction applicable en la cause, les salariés ayant la qualité de cadre au sens des conventions collectives de branche ou du premier alinéa de l'article 4 de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et qui ne relèvent pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 doivent bénéficier d'une réduction effective de leur durée de travail, que la conclusion des conventions de forfait visées par ce texte doit être prévue notamment par une convention ou un accord collectif étendu et que la durée du travail peut être fixée par des conventions individuelles de forfait qui peuvent être établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle ;

Et attendu qu'ayant constaté l'absence de preuve d'un consentement individuel des salariés en cause, la cour d'appel, devant laquelle les parties s'opposaient sur l'application des dispositions de l'accord relatives soit à un régime de modulation, soit sur celui d'un forfait en heures au sens de l'accord du 22 juin 1999, a, sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le quatrième moyen, ci-après annexé :

Attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen qui manque en fait en sa troisième branche, ne tend pour le surplus qu'à contester le pouvoir souverain des juges du fond, qui n'ont pas modifié l'objet du litige, d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis ;

Mais sur le deuxième moyen, en tant qu'il vise la recevabilité des demandes des syndicats autres que celle relative au constat de l'irrégularité de la mise en oeuvre de la convention de forfait en heures :

Vu l'article 31 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 2132-3 du code du travail ;

Attendu que pour déclarer recevables les demandes des syndicats tendant d'abord à voir déclarer inopposable aux salariés la convention irrégulière de forfait en heures, ensuite à dire que le décompte de leur temps de travail et le paiement des heures supplémentaires doivent être effectués selon le droit commun et que les sociétés de l'UES groupe Eurogiciel doivent régulariser la situation de ces salariés en procédant, selon ce droit commun, au calcul des heures de travail effectivement réalisées par semaine par chacun d'eux, et, le cas échéant, en payant la rémunération majorée des heures supplémentaires accomplies au delà de 35 heures par semaine non compensées par des jours de repos, dans la limite de la prescription quinquennale, enfin à condamner ces sociétés au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que l'action ne tend pas au paiement de sommes déterminées au profit de personnes nommément désignées et que les syndicats ont un intérêt à agir dès lors qu'il est porté atteinte à l'intérêt collectif de la profession du fait de la violation des dispositions légales et conventionnelles impératives ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les demandes autres que celle relative au constat de l'irrégularité de la mise en oeuvre des dispositions conventionnelles relatives à la convention de forfait, n'avaient pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le deuxième moyen en tant qu'il vise la recevabilité des demandes du comité d'entreprise :

Vu les articles 31 et 329 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 2323-1 du code du travail ;

Attendu que pour déclarer recevables les demandes du comité d'entreprise de l'UES groupe Eurogiciel, l'arrêt retient que ce comité d'entreprise, dont les budgets dépendent de la masse salariale incluant les heures supplémentaires accomplies, a la capacité d'agir en vue de défendre ses intérêts propres et qu'il a donc droit de se joindre à l'action des syndicats ayant pour objet de faire juger que l'UES groupe Eurogiciel est redevable d'heures supplémentaires envers une catégorie de salariés ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le comité d'entreprise n'a pas qualité pour intenter une action ou intervenir dans une action tendant au respect ou à l'exécution de dispositions légales ou conventionnelles, cette action étant réservée aux organisations ou groupements définis à l'article L. 2231-1 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation relative au chef de dispositif relatif à la recevabilité de la demande du comité d'entreprise entraîne par voie de dépendance celle du chef de dispositif de l'arrêt ayant rejeté les demandes de ce comité ;

Vu l'article 627 du code de procédure civile et après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le cinquième moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il, d'abord déclare la juridiction de droit commun compétente, ensuite déclare recevables et fondées les demandes, tant de la fédération nationale des personnels CGT des sociétés de l'UES groupe Eurogiciel que du syndicat départemental CFTC CSFV-13, tendant à voir décider que la convention de forfait en heures sur la base hebdomadaire résultant de l'article 3 du chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 a été mise en oeuvre de manière irrégulière à l'égard des salariés relevant des modalités « réalisation de missions », l'arrêt rendu entre les parties le 30 avril 2015 par la cour d'appel de Toulouse ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi des chefs cassés relatifs à la recevabilité des demandes ;

Déclare irrecevables les demandes du comité d'entreprise de l'UES groupe Eurogiciel et celles des syndicats tendant d'abord à voir déclarer inopposable aux salariés la convention irrégulière de forfait en heures, ensuite à dire que le décompte de leur temps de travail et le paiement des heures supplémentaires doivent être effectués selon le droit commun et que les sociétés de l'UES groupe Eurogiciel doivent régulariser la situation de ces salariés en procédant, selon ce droit commun, au calcul des heures de travail effectivement réalisées par semaine par chacun d'eux, et, le cas échéant, en payant la rémunération majorée des heures supplémentaires accomplies au delà de 35 heures par semaine non compensées par des jours de repos, dans la limite de la prescription quinquennale ;

Renvoie pour le surplus les parties devant la cour d'appel de Bordeaux.