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Décisions

CA Bordeaux, 2eme ch., 25 février 2016, n° 15/01800

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SA HAULOTTE GROUP, SAS SOUDACIER

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Robert CHELLE

Conseiller :

Chantal WAGENAAR

Avocats :

SCP MICHEL PUYBARAUD, SELARL LEXAVOUE BORDEAUX

CA Bordeaux n° 15/01800

24 février 2016

La société Soudacier, spécialisée dans la mécano-soudure, s'est déclarée le 6 mai 2011 en état de cessation des paiements. Le 11 mai suivant, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire, désigné la société Vincent Mequinion en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assistance et la société Laurent Mayon en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 12 octobre 2011, le tribunal de commerce de Bordeaux a ordonné la cession des actifs de la société mère de Soudacier, c'est à dire la société Oxymetal SAS qui bénéficiait elle-même d'une procédure collective, notamment les titres composant le capital de Soudacier.

Soudacier a alors présenté un plan de redressement par continuation, qui a été adopté par jugement du 18 avril 2012.

Enfin, par jugement du 13 mars 2013, le tribunal de commerce de Bordeaux a ' constaté la bonne exécution du plan de redressement de la société Soudacier '.

Il s'agit d'une décision prononcée sur la requête de la société Vincent Mequinion, commissaire à l'exécution du plan.

La société Haulotte a formé tierce opposition le 17 mai 2013 et a été déclarée irrecevable par jugement du tribunal de commerce en date du 17 décembre 2014. Elle a interjeté appel le 23 mars 2015.

Par dernières conclusions communiquées le 4 décembre 2015, la société Haulotte demande à la cour de :

' ' '

'Vu les excès de pouvoir,

Vu les articles 583 et 455 du Code de procédure civile,

Vu les articles L. 626-26, L.626-28, L. 641-9 et R. 626-46 du Code de commerce,

Vu le jugement du 18 avril 2012,

- ANNULER le jugement rendu le 17 décembre 2014 par le Tribunal de commerce de Bordeaux.

Statuant à nouveau,

- DÉCLARER la société OXYMETAL SAS irrecevable en ses demandes.

- RECEVOIR la société HAULOTTE GROUP en sa tierce opposition à l'encontre du jugement rendu le 13 mars 2013 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux constatant la bonne exécution du plan de redressement par la société SOUDACIER, et l'y déclarer bien fondée.

- RÉTRACTER le jugement rendu le 13 mars 2013.

- REJETER la requête aux fins de constatation de sortie du plan présentée par la SELARL Vincent MEQUINION, es qualités, le 25 février 2013.

- DEBOUTER la SELARL Vincent MEQUINION, la société OXYMETAL SAS et la SELARL Laurent MAYON de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

- CONDAMNER solidairement la SELARL Vincent MEQUINION, la société

OXYMETAL SAS et la SELARL Laurent MAYON à payer à HAULOTTE GROUP la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens'

L'appelante soutient que :

- le tribunal de commerce de Bordeaux a commis un excès de pouvoir en ne constatant pas que la société Mequinion ne rapportait pas la preuve de la bonne exécution du plan de redressement,

- le tribunal de commerce de Bordeaux a commis un autre excès de pouvoir en constatant la bonne exécution du plan de redressement alors que son jugement du 24 octobre 2012 démontre qu'il savait que les engagements fondamentaux du plan n'avaient pas été respectés puisque les débats avaient alors été rouverts en raison d'une modification substantielle de ce plan,

- le tribunal de commerce de Bordeaux a commis un autre excès de pouvoir en déclarant le 17 décembre 2014 que le plan était respecté alors qu'aucun jugement n'a été rendu auparavant pour autoriser la modification substantielle du plan,

- le tribunal de commerce a commis un excès de pouvoir en prononçant ce jugement sans audience préalable, ni débat contradictoire, ni publication,

- il appartenait donc au tribunal de commerce, saisi de la contestation de Haulotte, de constater d'office les excès de pouvoir qui avaient été commis par les juges ayant prononcé le jugement du 13 mars 2013 ; en s'abstenant de le faire, les juges qui ont prononcé le jugement du 17 décembre 2014 ont eux-mêmes commis les mêmes excès de pouvoir, ce qui justifie l'annulation de leur jugement,

- le jugement du 17 décembre 2014 doit encore être annulé en raison de la violation des dispositions des articles L.626-28 et L.626-26 du code de commerce,

- le jugement du 17 décembre 2014 doit encore être annulé en raison de l'absence de réponse aux moyens développés par Haulotte dans ses conclusions,

- le jugement du 17 décembre 2014 doit encore être annulé en raison de l'erreur d'appréciation sur la portée des dispositions de l'article R.626-50 du code de commerce,

- la tierce opposition d'Haulotte est recevable car le jugement du 13 mars 2013 n'est pas une mesure d'administration judiciaire,

- la tierce opposition d'Haulotte a été formée dans les délais ; en effet, le délai pour former tierce opposition n'a pu courir car le jugement du 13 mars 2013 n'a pas été publié au BODACC alors pourtant que, par sa nature, il aurait dû être publié dans le Bulletin ; ce jugement n'a pas non plus été notifié aux tiers dont il affectait les droits et obligations, or d'une part Haulotte est potentiellement créancière de Soudacier, d'autre part elle se voir opposer ce jugement dans les autres procédures qui l'opposent à Soudacier ou à Oxymétal,

- Haulotte a qualité et intérêt à agir pour former tierce opposition ; elle est potentiellement créancière d'une somme de 368.951,07 euros qui dépend d'un procès en cours contre Soudacier devant la cour d'appel de Paris ; il s'agirait alors d'une créance de restitution, née postérieurement au jugement d'ouverture, qui n'a pas à être déclarée au passif de Soudacier,

- l'intérêt à agir n'est pas réservé aux seuls créanciers du plan,

- les demandes d'Oxymétal sont irrecevables car seul le liquidateur de Soudacier a désormais compétence pour représenter la débitrice, désormais en liquidation.

' ' '

Par dernières écritures communiquées le 16 novembre 2015, la société Soudacier , représentée par son président la société Oxymétal, demande à la cour de :

'Vu les articles 455, 537 et 564 du Code de procédure civile

Vu les articles L. 626-28, L. 641-9 et R. 661-2, R. 662-1 du Code de commerce,

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 17 décembre 2014 en

toutes ses dispositions ;

- Débouter HAULOTTE GROUP de toutes ses demandes, fins et prétentions;

- Condamner la société HAULOTTE GROUP à payer à Maître MAYON, en qualité de liquidateur judiciaire de SOUDACIER la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- La condamner aux entiers dépens'

La société Soudacier fait valoir que :

- elle a été contrainte de régulariser une nouvelle déclaration de cessation des paiements le 26 avril 2013, soit un mois après le jugement par lequel le tribunal de commerce constate la bonne exécution du plan ; la procédure de liquidation a été ouverte le 6 mai 2013, Haulotte y a d'ailleurs formé une tierce opposition qui a été rejetée tant en première instance qu'en appel,

- les demandes de Soudacier, représentée par Oxymétal, sont recevables puisque le prononcé de la liquidation judiciaire ne dessaisit le débiteur que pour l'administration et la disposition de ses biens ainsi qu'en ce qui concerne les droits et actions concernant son patrimoine ; le débiteur est recevable à exercer ses droits propres en particulier en matière de recours,

- l'appelante soumet à la cour des prétentions nouvelles relatives à un excès de pouvoir qui aurait été commis dans le jugement du 13 mars 2013 ; elle demandait en effet en première instance la rétractation de ce jugement, elle en demande aujourd'hui la nullité, ces demandes sont donc irrecevables ; de plus, ce jugement du 13 mars 2013 n'est pas la décision frappée d'appel,

- si par extraordinaire la cour retient que ces demandes nouvelles sont recevables, elle devra les rejeter car les moyens soutenus portent en réalité non sur un excès de pouvoir mais sur la violation de règles de procédure,

- Haulotte interprète mal les termes du jugement du 24 octobre 2012 par lequel le tribunal de commerce rouvre les débats,

- il n'y a pas eu de modification substantielle du plan ; Soudacier a réglé ses créanciers de façon plus favorable que ce qui lui était imposé par le plan, ce qui n'est pas considéré par la Cour de cassation comme une modification substantielle devant recevoir une autorisation judiciaire préalable,

- le tribunal de commerce n'avait pas à répondre aux moyens de fond développés par Haulotte puisqu'il l'a déclarée irrecevable en sa tierce opposition,

- selon la jurisprudence, l'erreur de droit n'est pas constitutive d'un excès de pouvoir et ne peut donc pas permettre de justifier un appel-nullité ; par conséquent, le moyen selon lequel le tribunal aurait commis une erreur d'appréciation sur la portée de l'article R.626-50 est inopérant pour obtenir la nullité du jugement,

- conformément à la doctrine, le jugement constatant la bonne exécution du plan est une mesure d'administration judiciaire ; il ne pouvait donc faire l'objet d'aucun recours, en vertu des dispositions de l'article 537 du code de procédure civile,

- si par extraordinaire la cour considère que ce jugement n'est pas une mesure d'administration judiciaire, elle ne pourra que considérer qu'Haulotte était irrecevable pour deux motifs : elle n'a pas exercé sa tierce opposition dans le délai imparti et elle ne démontre pas son intérêt à agir,

- le jugement constatant la bonne exécution du plan n'est pas soumis à publication, de sorte qu'Haulotte ne disposait que du délai de dix jours prévu par l'article R.661-2 du code de commerce pour exercer son recours,

- ce jugement n'avait pas vocation à être notifié à l'appelante, étant en outre relevé que l'on cherche en vain en quoi il lui ferait un tel grief qu'il aurait dû lui être notifié,

- Haulotte n'établit pas qu'elle aurait un intérêt personnel, direct et légitime à former tierce opposition puisqu'elle n'établit pas à quel titre ce jugement constatant la bonne exécution du plan porterait atteinte à ses droits,

- seul le créancier du plan impayé peut former tierce opposition au jugement constatant la parfaite exécution du plan ; or Haulotte n'a déclaré aucune créance au redressement judiciaire de Soudacier.

' ' '

Par dernières conclusions communiquées le 30 juin 2015, la société Laurent Mayon

demande à la cour de :

'- Dire et juger l'appel de la société HAULOTTE GROUP mal fondé,

- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce du 17 décembre 2014 en toutes ses dispositions,

- Condamner la société HAULOTTE GROUP à payer à la SELARL LAURENT MAYON es qualités la somme de 4.000€ sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure'

La société Mayon explique que :

- il convient de s'interroger sur l'intérêt légitime de la société Haulotte à former tierce opposition au jugement ayant constaté l'exécution du plan dès lors que cette société n'apparaît pas sur la liste des créanciers,

- sur le bien fondé de cette tierce opposition, la société Mayon es qualités précise que, à la suite du prononcé de la liquidation judiciaire de Soudacier, elle n'a pas reçu de déclaration des créanciers portés sur l'état déposé le 25 juillet 2012 qui réitéreraient leurs demandes initiales.

' ' '

Par mention au dossier en date du 10 août 2015, le ministère public tend à la confirmation du jugement frappé d'appel.

SUR CE :

Attendu que la cour doit observer au préalable que l'appelante tend, au dispositif de ses écritures, à l'annulation du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 17 décembre 2014, ce qui est conforme aux dispositions de l'article 542 du code de procédure civile relatives à l'appel, voie de recours générale ; que, bien que donnant aux différents moyens qu'elle développe la qualification 'd'excès de pouvoir', ce qui ce serait de nature à faire examiner l'appel dans le cadre particulier des conditions de l'appel-nullité, ces moyens, tels qu'ils seront ci-après examinés, sont en réalité la discussion des motifs du jugement frappé d'appel, non des conditions dans lesquelles ce jugement a été prononcé ;

1. Sur la nature du jugement du 13 mars 2013

Attendu que la loi du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des entreprises réglemente en deux étapes la clôture, par extinction du passif exigible, de la procédure de redressement ;

Que, par application des dispositions de l'article R.626-42 du code de commerce, la procédure fait l'objet d'une ordonnance de clôture rendue par le président du tribunal de commerce après dépôt au greffe des comptes-rendus de fin de mission des mandataires de justice ; que l'article R.626-42 prévoit expressément en son deuxième alinéa qu'il s'agit d'une mesure d'administration judiciaire non susceptible de recours ;

Que, de plus, par application des dispositions de l'article L.626-28 du code de commerce, à la requête du commissaire à l'exécution du plan, du débiteur ou de tout intéressé, le tribunal de commerce constate que l'exécution du plan est achevée lorsqu'il est établi que les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus ;

Qu'il s'agit alors d'un jugement, décision juridictionnelle susceptible de recours, donc de tierce opposition, conformément à l'article 585 du code de procédure civile ;

2. Sur la recevabilité de la tierce opposition de la société Haulotte

Attendu que l'article 583 du code de procédure civile dispose : ' Est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ' ;

Attendu que l'appelante explique que son intérêt personnel, direct et légitime à s'opposer au jugement constatant la bonne exécution du plan de Soudacier repose sur sa qualité de créancière, ce en considération des multiples procédures qui l'ont opposée à la société Soudacier ;

Que l'intérêt à agir d'Haulotte doit être apprécié au 17 mai 2013, c'est-à-dire à la date à laquelle cette société a formé opposition au jugement constatant l'exécution du plan ;

Que la cour observe que, à cette date, la société Haulotte avait fait l'objet de deux condamnations à payer des dommages et intérêts à la société Soudacier, la première le 15 mars 2011 par le tribunal de commerce de Bourges pour un montant de près de trois millions d'euros, la deuxième le 23 février 2012 par la cour d'appel de Bourges pour un montant ramené à 1.568.100 euros ; que, sur pourvoi d'Haulotte, la Cour de cassation a certes cassé partiellement la décision de la cour d'appel de Bourges, non sur le principe de la responsabilité contractuelle d'Haulotte qu'elle a d'ailleurs examinée, mais sur les éléments de détermination du préjudice subi par Soudacier ;

Que la qualité de créancière d'Haulotte à l'égard de Soudacier n'est donc pas établie, de sorte que son intérêt à agir ne l'est pas non plus ;

Que la cour confirmera en conséquence le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a déclaré la société Haulotte irrecevable en sa tierce opposition et l'a condamnée à payer une indemnité de procédure aux mandataires judiciaires, ainsi que les dépens ;

Attendu que l'appelante, partie succombante, sera condamnée au paiement des dépens de la procédure d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire en dernier ressort,

CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement prononcé le 17 décembre 2014 par le tribunal de commerce de Bordeaux.

Y ajoutant,

VU l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Haulotte Group à payer à la société Laurent Mayon, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Soudacier, la somme de 4.000 euros de ce chef.

CONDAMNE la société Haulotte Group à payer les dépens de l'appel.