Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-11.491
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a créé la société Cosmetol distribution, dont M. Y... est devenu associé à hauteur d'une part ; qu'elle a ensuite créé avec ce dernier la société Pharm'up dont ils étaient les cogérants ; qu'aux termes d'un traité d'apport de parts sociales du 27 novembre 2004, les époux Y...-X... ont apporté à la société Pharm'up la totalité des parts que chacun d'eux détenait dans la société Cosmetol distribution ; que le 17 juillet 2006, ils ont signé un document intitulé « acte de dissolution de la société en participation dénommée SEP Y...-X...- Cosmetol-Pharm'up », stipulant que l'actif de cette société (la SEP), constitué de 49 800 parts de la société Pharm'up, était réparti entre M. Y... et Mme X..., respectivement à hauteur de 55 % et 45 % de ces parts ; que le même jour, l'assemblée de la société Pharm'up a décidé que le capital de cette dernière serait réparti entre M. Y... et Mme X... à due proportion du partage des parts consécutif à la dissolution de la SEP, et les époux Y...-X... ont signé un autre acte, intitulé « reconnaissance de donation entre époux », aux termes duquel Mme X... a reconnu que M. Y... avait financé à hauteur de moitié l'acquisition de biens immobiliers qu'elle avait acquis en son nom propre, et qu'il aurait droit, lors de la liquidation de leurs intérêts matrimoniaux, à une somme d'argent égale à la moitié de la valeur de ces biens ; que le 18 juillet 2006, ils ont conclu deux transactions portant renonciation à toute contestation des actes de dissolution de la société en participation et de reconnaissance de donation entre époux ; que les assemblées des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution, qui se sont tenues les 16 et 17 novembre 2006, ont révoqué Mme X... de ses fonctions de gérante de chacune de ces sociétés ; que Mme X... a assigné M. Y..., ainsi que les sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution, en annulation des délibérations de l'assemblée du 17 juillet 2006, des transactions du 18 juillet 2006 et des délibérations des assemblées des 16 et 17 novembre 2006 ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts pour révocation injustifiée et abusive de ses fonctions de gérante de ces sociétés ; qu'ayant appris que M. Y... avait créé la société Pharma tropiques, exerçant une activité concurrente de celle des sociétés Cosmetol distribution et Pharm'up, Mme X... a obtenu, par ordonnance de référé, la désignation de M. Z...en qualité de mandataire ad hoc de ces sociétés ; que ce dernier ayant déposé un rapport de fin de mission, M. Y... et les sociétés Cosmetol distribution, Pharm'up et Pharma tropiques ont assigné Mme X... en nullité de ce rapport ; que Mme X... s'est opposée à cette prétention et a demandé reconventionnellement la nomination d'un administrateur chargé de gérer provisoirement ces trois sociétés ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de statuer au visa de ses conclusions en réplique et d'appel incident du 28 décembre 2012 alors, selon le moyen, qu'à peine de nullité de sa décision, le juge ne peut statuer que sur les dernières pièces et conclusions déposées par les parties ; que Mme X... a déposé des conclusions en réplique et d'appel incident en date du 28 décembre 2012, puis a déposé un nouveau jeu de conclusions le 24 mai 2013 complétant sa précédente argumentation, dans lesquelles elle avait modifié les moyens invoqués à l'appui de ses prétentions, et à l'appui desquelles étaient produites de nouvelles pièces ; qu'en statuant au seul visa des conclusions de Mme X... en date du 28 décembre 2012, et en se bornant à exposer les demandes formulées par Mme X... dans ces conclusions, non les prétentions et moyens contenus dans les dernières conclusions régulièrement déposées le 24 mai 2013, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en dépit du visa erroné des conclusions de Mme X..., la cour d'appel a statué sur toutes les prétentions de celle-ci, et au vu de tous les moyens formulés dans ses dernières conclusions, aucun défaut de réponse à un moyen n'étant invoqué ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la nomination d'un administrateur provisoire pour gérer les sociétés Pharm'up, Cosmetol distribution et Pharma tropiques alors, selon le moyen, que la désignation d'un administrateur provisoire peut être justifiée, non seulement en cas de paralysie du fonctionnement des organes sociaux, mais également en cas de d'atteinte grave à l'intérêt social ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir, en se prévalant notamment des conclusions du rapport établi le 24 juin 2010 par M. Z..., que M. Y..., gérant des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution, commettait des actes de concurrence déloyale à l'égard de ces sociétés par le biais de la société Pharma tropiques, laquelle utilisait la même ligne téléphonique que les sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution ; qu'elle faisait valoir que M. Y... poursuivait ses activités concurrentes par l'intermédiaire des sociétés Caraïbes Rec Val Ma et Cosmétique de France ; qu'elle soutenait également qu'il existait des flux financiers anormaux entre la société Pharma tropiques d'une part, et les sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution d'autre part, M. Y... s'abstenant notamment de recouvrer le compte client de la société Pharm'up ; que Mme X... soulignait que ces faits portaient une atteinte grave à l'intérêt social des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution, eu égard notamment au risque de transfert d'actifs de ces sociétés au profit des autres sociétés créées par M. Y... ; que pour rejeter la demande de désignation d'un administrateur provisoire, la cour d'appel, par motifs adoptés des premiers juges, a retenu que le rapport de M. Z..., ancien de deux ans, ne permettait plus de caractériser le dommage imminent ou l'existence d'un trouble manifestement illicite, les irrégularités constatées n'établissant pas la paralysie des organes de gestion ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher si les agissements de M. Y..., pour partie postérieurs au rapport de M. Z..., ne caractérisaient pas une atteinte grave à l'intérêt social des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution, quand bien même le fonctionnement de ces sociétés n'en serait pas affecté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-18 du code de commerce ;
Mais attendu que la désignation judiciaire d'un administrateur
provisoire d'une société est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de celle-ci et la menaçant d'un péril imminent ; qu'ayant, par motifs adoptés, souverainement estimé que les irrégularités relevées dans le rapport de M. Z...ne caractérisaient pas une paralysie des organes de gestion, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer une recherche que ses appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 1351 du code civil ;
Attendu que pour accueillir la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'une transaction, l'arrêt relève que, saisie d'une action en responsabilité engagée par Mme X... contre l'avocat commun des époux Y...-X..., la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 15 mars 2011, considéré que l'acte de reconnaissance de donation entre époux constituait une contrepartie à l'acte de dissolution de la société en participation, tous deux signés par les époux le 17 juillet 2006, que les actes signés par eux les 17 et 18 juillet 2006 n'étaient aucunement déséquilibrés et que, préservant les intérêts de chacune des parties, ils formaient un tout indissociable ; qu'il en déduit que l'autorité de la chose jugée tirée de l'existence de cette décision s'oppose au prononcé de la nullité de la transaction ;
Qu'en statuant ainsi, alors que ni M. Y... ni les sociétés Pharm'up, Cosmetol distribution et Pharma tropiques n'étaient parties à l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 15 mars 2011, de sorte que cet arrêt n'avait pas autorité de la chose jugée à l'égard des parties au litige dont elle était saisie, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches :
Vu l'article L. 223-25 du code de commerce ;
Attendu que pour rejeter les demandes de dommages-intérêts de Mme X... au titre de la révocation injustifiée de ses fonctions de gérante des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution, l'arrêt, après avoir constaté que la séparation des époux avait entraîné des bouleversements tant dans la gestion que dans l'évolution économique de ces sociétés, ce qui risquait d'entraîner le blocage de leur fonctionnement pour des motifs personnels, relève qu'afin d'organiser leurs intérêts économiques, M. Y... et Mme X... se sont accordés en 2006 sur des arrangements financiers que cette dernière entend remettre en cause en dépit de la transaction intervenue entre eux, revêtue de la chose jugée, en vertu de laquelle elle s'est désistée de tous droits et actions relatives, notamment, à la répartition des parts sociales ; qu'il ajoute qu'à la suite de ces arrangements financiers, M. Y..., devenu associé majoritaire des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution avec l'accord de Mme X..., a, lors des assemblées des 16 et 17 novembre 2006, mis au vote une résolution tendant à ce qu'il soit mis fin à la cogérance en raison de la situation économique de ces sociétés et de la nécessité de renforcer leur trésorerie ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un juste motif de révocation de Mme X... de ses fonctions de cogérante des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution à la date à laquelle il a été procédé au vote, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur ce moyen, pris en sa cinquième branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour dire que la révocation de Mme X... de ses fonctions de gérante des sociétés Pharm'up et Cosmetol distribution n'était pas fautive, l'arrêt relève que les assemblées de ces sociétés se sont déroulées en présence d'un huissier de justice désigné par le tribunal à la requête de Mme X..., et que les procès-verbaux de ces assemblées n'ont relevé aucune irrégularité ; qu'il ajoute que le droit du gérant associé majoritaire de révoquer le cogérant ne peut être contesté ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si Mme X... avait eu connaissance des motifs de sa révocation et si elle avait pu présenter ses observations avant qu'il fût procédé au vote, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur ce moyen, pris en sa septième branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu qu'en se déterminant comme elle a fait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les circonstances ayant entouré la révocation de Mme X... de ses fonctions de cogérante de la société Cosmetol distribution, telles que constatées dans le procès-verbal de l'assemblée du 17 novembre 2006, n'avaient pas été vexatoires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'action en nullité du rapport de fin de mission établi par M. Z..., rejette la demande d'inopposabilité de l'ordonnance de référé du 31 octobre 2008 à M. Y... et aux sociétés Pharm'up, Cosmetol distribution et Pharma tropiques et rejette la demande de nomination d'un administrateur provisoire, l'arrêt rendu le 25 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.