CA Versailles, 13e ch., 7 juillet 2020, n° 20/00518
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Sequoias Investment (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valay-Brière
Conseillers :
Mme Baumann, Mme Bonnet
Avocat :
AARPI JRF Avocats
Par acte du 12 novembre 2019, M. G., ancien salarié de la société Sequoias investment, créancier agissant en vertu d'une ordonnance de référé du 6 mai 2019 du président du conseil de prud'hommes de Nanterre, a assigné la société Sequoias investment devant le tribunal de commerce de Nanterre en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
Par jugement avant dire droit du 3 décembre 2019, le tribunal a ordonné une enquête sur la situation financière, économique et sociale de la société, commis M. D. en qualité de juge chargé de recueillir tous renseignements et dit que le juge commis se fera assister de maître L. de G..
Puis, par jugement avant dire droit du 14 janvier 2020, le tribunal a :
- pris acte du désistement d'instance et d'action du créancier assignant,
- pris acte des réquisitions du ministère public,
- ordonné qu'il soit procédé à une enquête sur la situation financière, économique et sociale ainsi que sur l'éventuel état de cessation des paiements à l'égard de la société Sequoias investment,
- commis M. D. en qualité de juge chargé de recueillir tous renseignements,
- dit que le juge commis se fera assister de maître L. de G..
Par déclaration du 27 janvier 2020, la société Sequoias investment a relevé appel-nullité de cette décision pour excès de pouvoir et violation des règles d'ordre public.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 14 mars 2020, elle demande à la cour de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes,
à titre principal,
- dire et juger que le demandeur, M. G., s'est désisté de son instance et de son action,
- dire et juger que ce désistement a été constaté par le tribunal de commerce de Nanterre,
- dire et juger qu'il a été mis fin à l'instance,
- dire et juger que le ministère public n'a pas saisi le tribunal de commerce de Nanterre d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire par requête dûment motivée,
- en conséquence, annuler le jugement ou subsidiairement, le réformer en toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que le rapport d'enquête de maître L. de G., ès qualités, transmis au ministère public et au tribunal de commerce de Nanterre, ne lui était toujours pas communiqué à l'audience du 14 janvier 2020,
- dire et juger que les règles du procès équitable et de la contradiction prévues par la CEDH ont été violées,
- en conséquence, annuler le jugement dont appel ou subsidiairement, le réformer en toutes ses dispositions,
en toutes hypothèses,
- réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
et, statuant à nouveau,
- dire et juger que M. G. s'est désisté de son instance et de son action à son encontre,
- dire et juger qu'il n'y a plus de demandeur,
- dire et juger que les réquisitions du ministère public demeuraient irrecevables,
- dire et juger qu'il n'y a lieu à l'ouverture de quelque enquête que ce soit,
- dire et juger irrecevable le ministère public en son avis daté du 6 avril 2020,
- débouter le ministère public de l'intégralité de ses demandes,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Après avoir rappelé les dispositions des articles L. 631-5 et R. 631-4 du code de commerce, la société appelante fait valoir que le ministère public n'est autorisé à saisir le tribunal, pour l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, que par voie de requête dûment motivée. Elle relève que le tribunal, après avoir constaté le désistement d'instance et d'action du créancier assignant, a toutefois considéré au vu des réquisitions que le ministère public avait basculé de partie jointe à partie principale en vue de l'ouverture d'une éventuelle procédure collective en contravention avec les dispositions d'ordre public et impératives du livre VI du code de commerce sur les règles de saisine du tribunal de la procédure, ce qui emporte la nullité du jugement dont appel et de l'enquête préalable qui lui est subséquente. Elle estime que le tribunal, qui n'était plus valablement saisi de la moindre demande en ayant constaté un désistement, ne pouvait que renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir, et qu'en faisant droit à la demande du ministère public sans aucune saisine régulière, il a manifestement commis un excès de pouvoir et/ou violé les règles de saisine des juridictions.
Dans son avis du 6 avril 2020, le ministère public demande à la cour de confirmer en tous points le jugement, lequel a, sur demande du parquet, décidé d'ordonner une enquête sur la situation financière de l'appelante, alors que le créancier assignant s'était désisté de sa demande d'ouverture d'une procédure collective. Il rappelle que le parquet, qui a une mission générale de protection de l'ordre public économique, même s'il n'est pas le demandeur, est toujours partie jointe dans les dossiers de cette nature et peut donc 'basculer' en partie principale à tout moment, même si le demandeur s'est désisté de son action. Il souligne que le tribunal a fait droit à la demande du parquet avant de constater le désistement du créancier assignant, et qu'il n'était donc pas dessaisi lorsqu'il a ordonné l'enquête.
La clôture est intervenue le 15 juin 2020.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Selon les articles L. 631-4 et L. 631-5 du code de commerce, le tribunal est saisi aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire soit par déclaration de cessation des paiements du débiteur, soit par requête du ministère public soit par assignation d'un créancier.
Selon l'article L. 621-1 alinéa 3 du code de commerce, le tribunal qui statue sur l'ouverture de la procédure peut, avant de statuer, commettre un juge pour recueillir tous renseignements sur la situation financière économique et sociale de l'entreprise et ce juge peut se faire assister de tout expert de son choix.
Conformément à l'article 545 du code de procédure civile et en l'absence de disposition dérogatoire dans le livre VI du code de commerce il ne peut être interjeté appel du jugement avant dire droit désignant un juge commis.
Il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir.
En l'espèce, il résulte des mentions du jugement et notamment de son dispositif que le créancier à l'origine de la saisine du tribunal s'est désisté de son instance et de son action ; par l'effet de ce désistement qui était parfait en l'absence de défense au fond de la société Sequoias investment et d'opposition du ministère public, désistement qui a emporté extinction de l'instance, le tribunal s'est trouvé dessaisi en sorte qu'il ne pouvait pas ordonner une enquête. Il s'ensuit qu'en statuant sur les seules réquisitions orales du ministère public, sans être valablement saisi par une requête conformément aux dispositions d'ordre public de l'article R. 631-4 du code de commerce, le tribunal a outrepassé ses pouvoirs juridictionnels et commis un excès de pouvoir.
L'appel-nullité de la société Sequoias investment doit donc être déclaré recevable et le jugement annulé sauf en ce qu'il a pris acte du désistement d'instance et d'action du créancier assignant.
Dès lors que l'irrégularité affecte la saisine de la juridiction, l'effet dévolutif de l'appel ne joue pas et il ne peut être fait application des dispositions de l'article R. 631-6 du code de commerce.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Déclare la société Sequoias investment recevable en son appel,
Annule le jugement du 14 janvier 2020 sauf en ce qu'il a pris acte du désistement d'instance et d'action du créancier assignant,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.