CA Rouen, ch. civ. et com., 9 novembre 2017, n° 16/01990
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Dur (ès qual.), Société Le Bâtiment Avance (SARL)
Défendeur :
Pascual (ès qual.), Terradom (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brylinski
Conseillers :
Mme Bertoux, Mme Mantion
Avocats :
Me Havelette, Me Dauge, Me Malki Bregaini
FAI TS ET PROCEDURE
Par jugement en date du 28 octobre 2014, le tribunal de commerce de Rouen a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Le Bâtiment Avance, Me Pascual étant nommée mandataire judiciaire.
Par lettre du 13 novembre 2014, Me Pascual a informé la SARL Terradom qu'une créance de 38 909,79 € à titre chirographaire avait été déclarée par la société Le Bâtiment Avance, lui demandant de lui adresser sa déclaration de créance, sous peine de forclusion, dans les deux mois, à compter de la publication au BODACC.
Par lettre du 27 juillet 2015, Me Pascual a informé la SARL Terradom de son obligation de proposer au juge commissaire le rejet total de sa créance en raison de l'absence de justificatifs lui permettant de vérifier l'existence et le montant de la créance.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 31 juillet 2015, la SARL Terradom a envoyé à Me Pascual une copie du contrat de sous-traitance conclu entre la société Le Bâtiment Avance et la SARL Terradom ainsi que de l'ensemble des factures transmises à la société Le Bâtiment Avance.
Par ordonnance en date du 14 avril 2016, le juge commissaire du tribunal de commerce de Rouen a :
admis la SARL Terradom au passif de la SARL Le Bâtiment Avance pour la somme de 38. 909,79 € à titre chirographaire ; dit que le greffier notifiera la présente aux parties et qu'il en fera mention sur l'état des créances ; passé les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
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La SARL Le Bâtiment Avance ainsi que Me Dür (SELARL FHB), en sa qualité d'administrateur judiciaire ont interjeté appel et, aux termes de leurs dernières écritures en date du 04 mai 2017, Me Dür concluant également en qualité de commissaire à l'exécution du plan, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel de la société Le Bâtiment Avance et Me Dür ;
- dire et juger que l'ordonnance du juge commissaire est entachée d'irrégularité du fait de la non comparution de la SARL Terradom lors de l'audience du juge commissaire et prononcer si nécessaire la nullité de l'ordonnance ;
- en tout état de cause, réformer l'ordonnance rendue ;
- dire et juger que faute de déclaration de créance au passif de la société Le Bâtiment Avance, la SARL Terradom ne peut être admise dans les répartitions ;
- en tout état de cause, débouter la SARL Terradom de sa demande d'admission, faute de pièces justificatives ;
- condamner la SARL Terradom au paiement des entiers dépens.
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La SARL Terradom, aux termes de ses dernières écritures en date du 14 avril 2017, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, au visa notamment de l'article 1315 du code civil et des articles L. 622-20, L. 622-24, L. 622-25 et L. 622-6 du code de commerce, de :
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge commissaire le 14 avril 2016 en ce qu'elle a :
* admis la SARL Terradom au passif de la société Le Bâtiment Avance pour la somme de 38 909,69 € à titre chirographaire ;
* dit que le greffier notifiera la présente aux parties et en fera mention sur l'état des créances ;
*passé les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
En conséquence :
- débouter la société Le Bâtiment Avance et Me Dür administrateur judiciaire de leurs demandes;
- dire et juger que la créance de la SARL Terradom a valablement été déclarée;
- condamner la société Le Bâtiment Avance aux entiers dépens de première instance et d'appel, à la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
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Me Béatrice Pascual, intimée en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL Le Bâtiment Avance, qui a reçu signification de la déclaration d'appel et des conclusions par acte délivré autrement qu'à personne, n'a pas constitué avocat.
DISCUSSION
- sur la nullité de l'ordonnance faute de comparution de la société Terradom
La société Le Bâtiment Avance et Me Dür es-qualités font valoir que l'ordonnance du juge-commissaire est entachée d'irrégularité du fait de la non-comparution de la société Terradom lors de l'audience du juge-commissaire, la procédure initiée devenant caduque dans ce cas en l'absence de demande en application de l'article 468 du code de procédure civile.
Mais les créanciers du débiteur en redressement judiciaire n'ayant aucune diligence à accomplir une fois effectuée leurs déclarations de créances, les opérations de vérification des créances incombant au mandataire judiciaire agissant comme représentant des créanciers, et la direction de la procédure de contestation de créance lui échappant, la caducité de la citation prévue à l'article 468 du code de procédure civile n'est pas applicable en cas de défaut de comparution du créancier déclarant à l'audience du juge-commissaire, saisi par le mandataire judiciaire de la contestation de sa créance ; dès lors l'ordonnance du juge-commissaire entreprise n'est entachée d'aucune irrégularité du fait de la non comparution de la SARL Terradom, créancier, lors de l'audience du juge-commissaire saisi de la contestation de sa créance.
Il convient, en conséquence, de débouter la société Le Bâtiment Avance et Me Dür es-qualités de leur demande de nullité de l'ordonnance déférée.
- sur l'absence de déclaration de créances
La société Le Bâtiment Avance fait valoir que la SARL Terradom n'a formalisé aucune déclaration de créance ni aucune demande d'admission de créance ; qu'aucune disposition du code de commerce relative aux procédures collectives ne permet de considérer que l'inscription d'un créancier sur la liste des créanciers joints à la déclaration de cessation des paiements de l'article R. 631-1 du code de commerce permettrait de substituer la déclaration de créances de ce même créancier; que cette liste, pas plus que celle de l'article L. 622-6 du code de commerce, ne peut se substituer à une déclaration de créance.
La SARL Terradom réplique que lorsque le débiteur porte une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé une déclaration de créance; qu'à ce sujet, l'article L.622-6 alinéa 2 dispose que ' le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours.'; que de plus, la déclaration faite par le débiteur peut être ratifiée à tout moment par le créancier avant que le juge commissaire ne statue sur sa recevabilité; qu'enfin, selon les dispositions du 1er alinéa de l'article L. 622-25 du code de commerce, la déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances. Elle précise la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie; qu'en l'espèce, la société Le Bâtiment Avance a inscrit la société Terradom sur la liste de ses créanciers pour une somme de 38.909,79 € TTC à titre chirographaire; que la société Terradom a apporté, dans le délai imparti, une réponse au mandataire judiciaire suite à la proposition de rejet de sa créance; que la réponse adressée le 31 juillet 2015 par la société Terradom à Me Pascual est intervenue avant que le juge-commissaire ne statue sur la recevabilité de la créance et respecte le formalisme prévu pour une déclaration de créance.
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Selon l'article L. 622-6 du code de commerce, ' Dès l'ouverture de la procédure, ...le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours il est partie.'
L'article L. 622-24 alinéa 3 du code de commerce, prévoit que 'lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa.
L'article L. 622-25 dispose que 'La déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances. Elle précise la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement as sortie.'
Aux termes de l'article R. 622-24, ' le délai de déclaration fixé en application de l'article L. 622-26 est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC. Le même délai est applicable à l'information prévue par le troisème alinéa de l'article L. 622-24.'
L'article R. 622-5 dispose que ' La liste des créanciers établie par le débiteur conformément à l'article L. 622-6 comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie. Elle comporte l'objet des principaux contrats en cours.
Dans les huit jours qui suivent le jugement d'ouverture, le débiteur remet la liste à l'administrateur et au mandataire judiciaire. Celui-ci la dépose au greffe.
Pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 622-24, la déclaration faite par le débiteur, dans le délai fixé par le premier alinéa de l'article R. 622-24, doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 622-25 et, le cas échéant, ceux prévus par le 2º de l'article R. 622-23.'
Par application combinée des dispositions ci-dessus rappelées, le fait pour le débiteur d'avoir porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, dans le délai prévu à l'article R. 622-24 du code de commerce, vaut déclaration de créance au sens de l'article L. 622-24 alinéa 3 du code de commerce dès lors qu'elle comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile du créancier concerné, ainsi que les mentions exigées par les dispositions de l'article L. 622-25 alinéa 1 que le créancier indique à l'occasion de sa déclaration de créance.
En l'espèce, il est constant que la SARL Terradom n'a pas procédé elle-même à la déclaration de sa créance entre les mains du mandataire.
Il appartient, en conséquence, à la SARL Terradom, de rapporter la preuve que la déclaration a été régularisée par le débiteur conformément aux dispositions légales ci-dessus rappelées, et notamment s'agissant des mentions exigées par l'article R. 622-25.
Dans sa lettre du 13 novembre 2014, Me Pascual invite la SARL Terradom à produire sa créance, précisant que 'la créance déclarée par le débiteur à hauteur de 38.909,79 € à titre chirographaire'.
Il est versé aux débats par la société Terradom un document intitulé 'Synthèse de la procédure de la contestation' qui, selon elle, aurait été dressée par Me Pascual et transmis au juge-commissaire, lequel indique que 'A l'ouverture de la procédure, la SARL Le Bâtiment Avance a inscrit sur la liste de ses créanciers la société Terradom pour un montant de 38.909,79 € à titre chirographaire.'
Ce document fait état d'une liste de créanciers qui, au vu des termes employés, 'A l'ouverture de la procédure', serait celle prévue à l'article L. 622-6 du code de commerce.
Toutefois, outre le fait que rien ne permet de considérer que ce rapport de synthèse émane de Me Pascual, ni qu'il a été communiqué au juge-commissaire, lequel n'y fait pas référence dans sa décision, l'ordonnance fait état de 'la liste des créanciers remise lors du dépôt du dossier de demande d'ouverture de la procédure', soit celle visée à l'article R.631-1 du code de commerce, qui est 'un état chiffré des créances et des dettes avec l'indication selon le cas, du nom ou de la dénomination et du domicile ou siège des créanciers', fourni donc antérieurement au redressement judiciaire, et qui ne correspond pas à la liste prévue à l'article L.622-6 à remettre au mandataire judiciaire à l'ouverture de la procédure collective.
Force est de constater qu'aucune des listes des créanciers établies par le débiteur n'est versée aux débats.
En tout état de cause, celle remise lors du dépôt du dossier de demande d'ouverture de la procédure ne peut valoir déclaration de créance par le débiteur pour le compte de son créancier, et l'absence de production de la liste visée par l'article L. 622-6 ne permet pas à la cour de vérifier qu'outre l'inscription de la SARL Terradom sur la liste des créanciers, les mentions prévues à l'article R. 622-5 y sont portées pour valoir déclaration de créance pour le compte de la SARL Terradom, le fait que la SARL Terradom ait répondu au mandataire judiciaire dans le délai prescrit par l'article L. 622-27 du code de commerce en adressant ses factures non soldées et le contrat de sous-traitance signé par les deux parties, est sans incidence dans la mesure où il n'est justifié d'aucune déclaration de créance conforme aux dispositions légales.
Dès lors, faute de justifier de sa déclaration de créance au passif de la société Le Bâtiment Avance, il convient de débouter la SARL Terradom de sa demande d'admission de la créance de 38.909,79 € à titre chirographaire; l'ordonnance entreprise sera infirmée.
La SARL Terradom qui succombe en cause d'appel sera condamnée au dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt par défaut,
Déboute la société Le Bâtiment Avance et Me Dür es-qualités de leur demande de nullité de l'ordonnance déférée;
Infirme l'ordonnance entreprise;
et statuant à nouveau,
Déboute la SARL Terradom de sa demande d'admission de sa créance aun passif de la SARL Le Bâtiment Avance pour la somme de 38.909,79 € à titre chirographaire;
Condamne la SARL Terradom aux dépens de première instance et d'appel.