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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 11 mai 2017, n° 16/01562

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dür (ès qual.), Lesueur TP (SARL)

Défendeur :

Pascual (ès qual.), Société Mantoise D'exploitation De Matériaux (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farina

Conseillers :

Mme Aublin-Michel, Mme Bertoux

Avocats :

Me Havelette, Me Selegny, Me Gillot

T. com. Rouen, du 17 mars 2016, n° 2015 …

17 mars 2016

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 24 octobre 2016 le tribunal de commerce de Rouen a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL Lesueur TP ; la selarl FHB en la personne de Me Cécile Dur était nommée administrateur judiciaire et Me Béatrice Pascual mandataire judiciaire.

Ce jugement a été publié au Bodacc le 11 novembre 2014.

Par courrier en date du 29 juin 2015 Me Pascual es qualités a écrit à la société Smem que :

- la SARL Lesueur TP l'avait inscrite sur la liste de ses créanciers pour un montant de 14 908, 48 euros,

- dans le cadre de la vérification du passif, le rejet de cette créance allait toutefois être proposé au juge commissaire, faute de justificatifs.

Par courrier du 28 juillet 2015 la SNC SMEM lui a adressé des justificatifs de sa créance.

Par ordonnance réputée contradictoire du 17 mars 2016 le tribunal de commerce de Rouen a :

- admis la SNC SMEM au passif de la SARL Lesueur TP pour la somme de 13 161,23 € à titre chirographaire

- rejeté le surplus de sa demande d'admission,

- passé les dépens en frais privilégiés de la procédure collective

Me Cécile Dur es qualités et la SARL Lesueur TP ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions expressément visées en date du 12 décembre 2016 elles demandent à la cour de:

- dire que le juge commissaire a statué ultra petita faute de déclaration de créance régulière et de comparution de la société SMEM

- en tout état de cause réformer l'ordonnance,

- dire que faute de déclaration de créance au passif de la société Lesueur TP la société SMEM ne peut être admise dans les répartitions

- débouter la société SMEM de sa demande d'admission faute de pièces justificatives

- la condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières écritures expressément visées en date du 12 juillet 2016 Me Pascual es qualités de mandataire judiciaire de la société Lesueur TP demande à la cour de confirmer la décision déférée et de condamner la SARL Lesueur TP aux dépens ainsi qu' au paiement de la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Régulièrement assignée par acte du 2 juin 2016 la SNC Smem n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2017.

SUR CE

Sur l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 12 mars 2014 d'où résultent les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 du code de commerce

Attendu que M Dur es qualités et la société Lesueur TP font valoir que :

- l'ordonnance du 12 mars 2014 d'où provient le texte de l'article 622-24 alinéa 3 n'a pas été ratifiée,

- le projet de loi établi par le Sénat à la suite de la demande de ratification de l’ordonnance supprime l'alinéa 3 de l'article L. 622-24, en sorte que,si la ratification intervient dans ces conditions, l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 n'aura eu qu'un statut réglementaire,

- en effet, tant qu'un texte issu d'une ordonnance n'est pas ratifié, il conserve un statut de règlement, et il ne peut en conséquence, avoir une valeur équivalente aux lois précédentes.

- il s'en déduit que l'ordonnance du 12 mars 2014 n'a pas modifié les dispositions de la loi.

Maître Pascual répond principalement que :

- l'ordonnance du 12 mars 2014 est entrée en vigueur le 1er juillet 2014,

- applicable à toutes les procédures collectives ouvertes à compter de cette date, elle améliore le sort des créanciers sans priver le débiteur de son droit de contester le principe ou le montant de la créance,

- dans la mesure où ses dispositions ne contredisent pas celles, maintenues, de la loi dite de sauvegarde des entreprises, elle ne saurait être privée, de ses effets légaux ;

Attendu cela exposé, que les dispositions d'une ordonnance non encore ratifiée peuvent utilement déroger à d'autres dispositions législatives, l'absence de ratification étant sans influence sur l'application de ce texte (CE 6 déc. 2013, nº 357249) ;

Que le fait que l'ordonnance du 12 mars 2014 n'ait pas encore été ratifiée n'est donc pas utilement invoqué par les appelantes ;

Sur l'excès de pouvoir

Attendu que les appelantes font valoir que :

- l'article L. 622-24 du code de commerce pose le principe de la déclaration de créances du créancier dans le délai légal;

- en l'absence de déclaration de créances par la société Smem ni de demande d'admission de la part de celle-ci, ni encore de comparution à l'audience, le juge-commissaire ne pouvait être saisi ;

- en statuant dans ces conditions le juge-commissaire a excédé ses pouvoirs ;

Attendu que l'intimée réplique que :

- il n'est pas justifié ni même allégué que, compte tenu de l'absence du créancier à l'audience, la société Lesueur TP ait demandé au juge-commissaire de prononcer la caducité de la déclaration de créances ;

- l'article 468 du code de procédure civile, initialement invoqué par les appelantes, et relatif aux conséquences de la non comparution d'un demandeur, n'est pas applicable à la procédure de vérification des créances, celle-ci obéissant à des règles dérogatoires du droit commun,

- le juge commissaire est saisi par la lettre recommandée adressée au mandataire judiciaire ( et non au juge directement) et la convocation du créancier n'est requise que si le désaccord entre le débiteur et le mandataire ou le créancier subsiste à l'issue du délai de 30 jours imparti au créancier pour répondre à la contestation;

- le défaut de comparution du créancier est sans incidence sur la réalité du respect du contradictoire lequel est assuré par la procédure écrite visée aux articles R. 624-1 et suivants du code de commerce ;

Attendu, cela exposé, les articles L. 622-27 et R. 624-1 et suivants du code de commerce organisent en matière de vérification et d'admission des créances une procédure particulière ;

Attendu qu'en application de ces dispositions, le juge commissaire est saisi par la lettre recommandée adressée par le créancier au mandataire judiciaire et le créancier est convoqué en cas de maintien de désaccord à l'issue d'un délai de 30 jours imparti au créancier pour répondre à la contestation ;

Que dès lors que la lettre recommandée et la convocation susvisées ont été régulièrement adressées le juge-commissaire, même à défaut de comparution du créancier, peut statuer sur la contestation ;

Que les dispositions de l'article 468 du code de procédure civile, (que les appelantes n'invoquent plus dans leurs dernières écritures) ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le juge-commissaire en matière d'admission de créances ;

Attendu qu'il est constant en l'espèce que par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 juin 2015 Me Béatrice Pascual es qualités agissant au visa de l'article L. 622-24 du code de commerce a fait connaître au créancier qu'elle contestait la créance déclarée, selon elle, par la SARL Lesueur TP pour le compte de la société Smem ;

Que par courrier du 28 juillet 2015 soit dans le délai légal de 30 jours, le créancier a adressé des pièces justificatives à la société Lesueur TP;

Que les parties ont été convoquées à l'audience du 21 janvier 2016 ;

Attendu que régulièrement saisi de la contestation de la créance, et nonobstant l'absence de la société SMEM, le juge-commissaire n'a pas excédé ses pouvoirs en statuant sur l'admission de créance ;

Que le moyen pris d'un excès de pouvoir n'est donc pas fondé ;

Sur le moyen pris de l'absence d'effet déclaratif attaché au document invoqué par le mandataire judiciaire comme constituant une déclaration de créance

Attendu que Me Dur es qualités et la SARL Lesueur TP font valoir essentiellement que :

- la liste que Me Pascual es qualités présente comme étant une déclaration de créance pour le compte de la société Smem est un document comptable intitulé « balance tiers fournisseurs »,

- ce document édité le 22 octobre 2014, soit avant l'ouverture de la procédure collective n'a pas été remis par la SARL Lesueur TP à Me Pascual es qualités,

- il a été annexé par la SARL Lesueur TP à sa déclaration d'état de cessation des paiements;

- la SARL Lesueur TP n'a donc pas porté de créance à la connaissance de Me Pascual es qualités,

- le juge commissaire a considéré à tort que la liste des créances jointe par la SARL Lesueur TP à sa déclaration d'état de cessation des paiements vaut déclaration de créance pour le compte de la société Smem;

- aucune disposition du code de commerce relative aux procédures collectives ne permet en effet de considérer que l'inscription d'un créancier sur la liste jointe à la déclaration de cessation des paiements de l'article R 631-1 du code de commerce vaudrait déclaration de la créance de ce même créancier;

- en conséquence la liste visée par Me Pascual es qualités, n'a aucun effet juridique sur les déclarations de créance,

- il en de même en général des listes visées aux articles L. 622-24 al 3 et L. 622-6 du code de commerce;

- la liste prévue à l'article L. 622-24 alinéa 3 ne vaut pas déclaration de créances;

- elle a simplement vocation à être déposée au greffe et non à servir de fondement à la vérification du passif;

- toute déclaration de créance équivaut en effet à une demande en justice;

- il est donc nécessaire que le créancier manifeste sa volonté via une déclaration de créances, ce principe étant d'ordre public interne et international;

- en outre l'article L. 622-24 al 3 prévoit que : la déclaration de créance par le débiteur est temporaire car les termes « tant que » supposent que dans tous les cas la déclaration de créances prévue au premier alinéa soit régularisée par le créancier;

- à cet égard la loi nouvelle maintient la procédure de relevé de forclusion, ce qui signifie que le créancier doit toujours agir ;

- le créancier ne peut être substitué par le débiteur alors même que leurs intérêts sont divergents;

- en outre la déclaration de créances doit être suffisamment précise et conforme aux dispositions de l'article R. 622-5 ;

- à ce titre elle doit comporter l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture; tel n'est pas le cas de la liste annexée à la déclaration de créance ;

Attendu que l'intimée réplique essentiellement que :

- depuis la réforme issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 la déclaration de créances ne s'analyse plus en une demande en justice, les 2ème et 3ème alinéas du nouvel article L. 622-24 du code de commerce étant désormais incompatibles avec une telle qualification;

- selon l' alinéa 3 l'apposition par le débiteur d'une créance sur la liste qu'il remet au mandataire judiciaire vaut déclaration de créances pour le compte du créancier;

- il en est ainsi que le créancier déclare ou non lui même la créance ;

- en l'occurrence la SARL Lesueur TP a remis à Me Pascual es qualités la liste de ses créanciers,

- Me Pascual es qualités après « circularisation » a déposé au greffe « la liste des créanciers avisés » ;

- la société Smem figure sur la liste ainsi remise pour des montants de 11 297, 05 euros et 3 611, 48 euros ;

- la déclaration du débiteur pour le compte du créancier constitue le maximum auquel le créancier pourra prétendre en cas de répartition;

- si la déclaration adressée par le débiteur pour le compte de son créancier omet un privilège ou minimise le montant de la créance, le créancier devra procéder lui-même à une déclaration de créances, dans le délai légal de deux mois à compter de la publication au Bodacc, pour rectifier la nature ou le montant de la créance déclarée pour son compte et pour substituer sa propre déclaration à celle de son débiteur;

- exiger une ratification du créancier dans le délai légal de déclaration, de la déclaration faite pour son compte par le débiteur, reviendrait à priver la réforme de tout intérêt;

Attendu, cela exposé, que selon les dispositions de l'article L. 622 alinéa 1er « A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans les délais fixés par décret en Conseil d'Etat » ;

Que l'article L. 622-24 alinéa 3 du code de commerce dispose que « lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créances prévue au premier alinéa » ;

Attendu que selon l'article R. 622-5 alinéa 3 du même code « Pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 622-24 toute déclaration faite par le débiteur, dans le délai fixé par le premier alinéa de l'article R. 622-24, doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 622-25 et, le cas échéant, ceux prévus par le 2º de l'article R. 622-23 ;

Attendu que de la rédaction des articles L. 622-24 alinéa 3 et R. 622-5 du code de commerce en particulier des termes « porté à la connaissance » et « toute déclaration faite par le débiteur », il résulte que la présomption prévue par l'article L. 622-24 alinéa 3 ne s'applique qu'aux créances dont le mandataire a eu connaissance par le débiteur ;

Qu'à cet égard la déclaration de cessation des paiements et les documents comptables qui, en application de l'article R. 631-1 du code de commerce, y sont joints ne sauraient produire un effet déclaratif au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 susvisé ;

Que ces documents sont en effet déposés au greffe alors que le mandataire judiciaire n'est pas encore désigné, l'objectif étant d'informer le tribunal qui doit statuer sur l'ouverture de procédure ;

Qu'il appartient au mandataire judiciaire qui, au visa de l'article L. 622-24 alinéa 3, invoque une déclaration de créance du débiteur d'établir qu'il a eu connaissance de cette créance par le débiteur ;

Qu'à défaut, les créances invoquées au visa de ce texte ne peuvent être prises en compte dans le passif ;

Attendu en l'espèce qu'au soutien de ses affirmations Me Béatrice Pascual es qualités expose que : « la SARL Lesueur TP lui a remis la liste de ses créanciers » ;

Qu'elle produit à ce titre aux débats un document comptable édité le 22 octobre 2014 intitulé « balance des tiers fournisseurs » ;

Que ce document est antérieur à l'ouverture de la procédure collective ;

Que la SARL Lesueur TP conteste l'avoir remis au mandataire judiciaire ; qu'elle expose que ce document comptable était annexé à la déclaration d'état de cessation des paiements ;

Qu'il n'est produit aucun élément de preuve de nature à établir que la balance des tiers fournisseurs, ait été communiqués au mandataire judiciaire par le débiteur ;

Que dans ce contexte, il n'est pas démontré que le débiteur ait porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, au sens de l'article L. 622-24 alinéa 3 du code de commerce ;

Attendu qu'aux termes de l'article L. 622-26 du code de commerce "à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24 les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes... "

Qu'en conséquence, faute de déclaration de créance au passif de la société Lesueur TP, la société SMEM ne peut être admise au passif ;

Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à l'intimée la charge de ses frais irrépétibles et non compris dans les dépens.

Sur les dépens

Attendu que Me Pascual es qualités qui succombe en ses prétentions, au sens de l'article 696 du code de procédure civile sera tenue aux dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant contradictoirement par décision mise à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance entreprise.

Et statuant à nouveau,

Dit que faute de déclaration de créances au passif de la société Lesueur TP la société SMEM ne peut être admise dans les répartitions,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Me Pascual es qualités aux dépens de première instance et d'appel.