Cass. com., 18 juin 2002, n° 98-21.967
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
M. Métivet
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Bouzidi, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Rouen, 17 septembre 1998), que M. Y... et quatre autres personnes (les associés majoritaires) ont acquis en 1987, 60 % des actions de la société anonyme Casino de Dunkerque-Société fermière du casino de Malo-les-Bains (la société), qui se trouvait sans activité depuis le 30 juin 1980, le restant du capital étant détenu par la société Forges thermal, elle-même concessionnaire du casino de Forges-les-Eaux ; que la société Forges thermal s'est à deux reprises opposée à une augmentation de capital de la société ; que les actionnaires majoritaires, faisant valoir que cette opposition était constitutive d'un abus, l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que la société Forges thermal reproche à l'arrêt d'avoir fait droit à cette demande et de l'avoir condamnée à payer diverses sommes alors, selon le pourvoi :
1 ) que l'abus de minorité suppose caractérisée l'attitude du minoritaire contraire à l'intérêt général de la société en ce qu'elle aurait interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés ; qu'en affirmant que son refus n'a tenu qu'à son souci de limiter la concurrence pour les casinos dépendant du groupe auquel elle appartient et surtout de ne pas contrarier le projet qui était alors le sien d'ouvrir un nouveau casino dans la ville même de Dunkerque, la cour d'appel qui se réfère à l'ordonnance de non-lieu du 26 avril 1991, ordonnance indiquant "on peut supposer que cette attitude était guidée par son désir de conserver des disponibilités pour réaliser seule un autre projet de création d'un casino en centre ville, place de la République à Dunkerque qu'elle avait omis de signaler à ses coassociés dans sa plainte initiale" s'appropriant par là même ce motif, s'est prononcée par un motif hypothétique et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que l'abus de minorité suppose caractérisée l'attitude du minoritaire contraire à l'intérêt général de la société en ce qu'elle aurait interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés ; qu'en affirmant que son refus n'a tenu qu'à son souci de limiter la concurrence pour les casinos dépendant du groupe auquel elle appartient et surtout de ne pas contrarier le projet qui était alors le sien d'ouvrir un nouveau casino dans la ville même de Dunkerque, la cour d'appel qui précise par voie d'affirmation péremptoire qu'elle se réfère à l'ordonnance de non-lieu du 26 avril 1991 ordonnance indiquant "on peut supposer que cette attitude était guidée par son désir de conserver des disponibilités pour réaliser seule un autre projet de création d'un casino en centre ville, place de la République à Dunkerque" et qui ajoute la cour d'appel qui ajoute pour étayer cette affirmation composée de néophytes en matière d'exploitation de casinos, de prête-noms et de personnes à la réputation douteuse voulant profiter de la nouvelle législation autorisant les machines à sous "cf. Notamment: ordonnance de non-lieu 10 avril 1991", n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que l'abus de minorité suppose caractérisée l'attitude du minoritaire contraire à l'intérêt général de la société en ce qu'elle aurait interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés ; qu'elle faisait valoir qu'elle n'entendait pas prendre d'engagements supplémentaires avant d'avoir pu apprécier les qualités de la nouvelle équipe ; qu'en affirmant qu'un abus de minorité caractérisé a été réalisé par elle dans le souci d'acculer les actionnaires majoritaires, exposés à la ruine de l'investissement de pas moins de 1 MF auquel ils venaient de consentir pour acquérir leurs actions, à prendre seuls en charge les coûts et risque d'une opération dont elle n'aurait pas manqué de prétendre au partage des profits, en cas de succès, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'abus de minorité et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
4 ) qu'en retenant l'abus de minorité motif pris qu'elle a refusé de donner suite à plusieurs propositions des associés majoritaires, allant du renforcement de sa position au sein de la société, par sa présence au conseil d'administration, au rachat de ses actions pour un prix d'autant plus équitable qu'égal à celui payé par les intéressés pour leur participation majoritaire, la cour d'appel qui ne précise pas si le prix proposé était égal aux investissements réalisés par la société, de telle manière qu'il ne constituait pas une éviction en ce qui la concerne, n'a par là même pas caractérisé l'abus de minorité et privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
5 ) qu'elle faisait valoir que la société fermière du casino de Malo-les-Bains avait des capitaux propres légalement suffisants pour continuer son exploitation dès lors qu'il suffisait de réduire le capital pour absorber les pertes comptables résultant seulement de l'amortissement des immobilisations ; qu'en retenant l'abus de minorité par le fait qu'elle avait refusé de voter l'augmentation, condition de survie de la société, l'augmentation de capital proposée étant un préalable à la reprise effective des activités de la société interrompue depuis sept ans, la cour d'appel qui ne recherche pas si la réduction du capital, accompagnée d'apports en compte-courant n'était pas de nature à permettre cette réouverture, n'a pas caractérisé l'abus de minorité et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le refus par la société Forges thermal de voter l'augmentation de capital, condition de survie de la société, afin, d'un côté, de reconstituer ses fonds propres, la société ayant perdu les trois quarts de son capital et, d'un autre côté, de disposer des moyens nécessaires à la reprise de son activité interrompue depuis sept années, dans des conditions exigées par l'autorité municipale pour le renouvellement de la concession d'exploitation du casino, était contraire à l'intérêt social et n'avait eu pour but que d'acculer les actionnaires majoritaires à prendre seuls en charge les risques d'une opération dont elle aurait bénéficié en cas de succès et de ne pas contrarier son projet d'ouvrir elle-même un nouveau casino ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel qui, en faisant référence à une ordonnance de non-lieu n'en a pas adopté les motifs et qui n'a pas statué par un motif hypothétique, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que la deuxième branche du moyen est rédigée de telle façon qu'il n'est pas possible de savoir ce qui est reproché à la décision attaquée ;
D'où il suit que le moyen qui ne peut être accueilli en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que la société Forges thermal fait le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi :
1 ) qu'elle faisait valoir que les majoritaires au lieu d'user d'une des voies de droit en vue d'imposer l'augmentation de capital litigieuse aux minoritaires, avaient irrégulièrement résilié le contrat de concession et transféré cette dernière à une société qu'ils avaient créée ;
qu'en ne recherchant pas si ce comportement ne démontrait pas que l'augmentation de capital n'était pas essentielle pour la société mais avait pour objet la satisfaction du seul intérêt des majoritaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2 ) que n'entre pas dans la compétence du conseil d'administration la résiliation de la concession de l'exploitation du casino constituant l'unique actif social, une telle décision compromettant l'objet social ; qu'elle faisait valoir la faute commise par les majoritaires qui, sans autorisation de l'assemblée générale des actionnaires avait procédé à la résiliation de la concession reprise dans une autre société dont ils étaient les animateurs ; qu'en retenant qu'il n'était pas établi que l'accord de l'assemblée générale extraordinaire ait été nécessaire, qu'en irait-il différemment il n'en résulterait pas moins que c'est l'abus de minorité, dont elle s'est rendue coupable, qui est à l'origine du préjudice exactement retenu par les premiers juges, soit la perte par les actionnaires majoritaires de l'essentiel de leur investissement, la cour d'appel qui ne précise pas en quoi cette décision irrégulière profitant à une société animée par les mêmes majoritaires n'avait eu aucun rôle causal dans la disparition de l'actif social n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 98 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 ;
3 ) que n'entre pas dans la compétence du conseil d'administration la résiliation de la concession de l'exploitation du casino constituant l'unique actif social, une telle décision compromettant l'objet social ; qu'en retenant que son obstruction systématique n'aurait pas manqué de se poursuivre, aboutissant à des conséquences plus graves pour la société, en l'état d'une inévitable résiliation de la concession à l'initiative de la municipalité, la cour d'appel s'est prononcée par un motif hypothétique en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 ) que n'entre pas dans la compétence du conseil d'administration la résiliation de la concession de l'exploitation du casino constituant l'unique actif social, une telle décision compromettant l'objet social ; qu'en affirmant que c'est tardivement qu'elle invoque ce moyen sans solliciter l'annulation des délibérations litigieuses, après avoir pris l'initiative de poursuites pénales sur un fondement différent (abus de biens sociaux) dont il est définitivement jugé qu'elles étaient infondées pour retenir l'abus de minorité, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant au regard des articles 98 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 ;
5 ) qu'elle faisait valoir que le préjudice allégué trouvait sa cause dans l'initiative prise par les majoritaires de dénoncer irrégulièrement et unilatéralement la convention de concession municipale qui constituait l'unique actif de la société ayant pour objet social l'exploitation de la concession du casino de Dunkerque Malo-les-Bains, la concession ayant d'ailleurs été reprise par une société dont ils étaient les animateurs ; qu'en ne recherchant pas si cette reprise de la concession par les majoritaires à travers une autre structure n'était pas la véritable cause de la décision irrégulière du conseil d'administration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la décision prise par le conseil d'administration de la société de résilier la concession accordée par la ville de Dunkerque pour l'exploitation d'un casino, ne résultait que de l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait, en raison du refus de la société Forges thermal d'accepter une augmentation de capital et de la situation de blocage qui en découlait, de payer les loyers dus au titre de ce contrat ; que la cour d'appel qui ne s'est pas prononcée par un motif hypothétique et qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations et appréciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, répondant aux conclusions de la société Forges thermal qui soutenait que la résiliation de la concession rendait la poursuite de l'objet social définitivement impossible, a retenu que cette circonstance n'était pas établie ; qu'elle a ainsi, faisant ressortir qu'il n'était pas démontré que l'exploitation de ladite concession correspondait à l'unique objet social de la société, légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Forges thermal fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi :
1 ) qu'elle faisait valoir la faute des majoritaires qui, au mépris des compétences de l'assemblée générale des actionnaires avait seule décidé de la résiliation de ce qui constituait l'objet social ; qu'elle faisait valoir que cette décision avait permis la reprise sans bourse délier par les majoritaires au sein d'une autre structure, de l'essentiel des actifs de la société ; qu'en ne se prononçant pas sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) qu'elle faisait valoir l'absence de préjudice dès lors que les majoritaires avaient irrégulièrement compromis l'objet social en résiliant la concession reprise par les mêmes majoritaires au sein d'une nouvelle structure ; qu'en ne recherchant pas s'il n'en résultait pas une absence de préjudice pour les majoritaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
3 ) qu'elle faisait valoir la faute des majoritaires qui au mépris des compétences de l'assemblée générale des actionnaires avait seule décidé de la résiliation de ce qui constituait l'objet social ; qu'elle faisait valoir que cette décision avait permis la reprise sans bourse délier des majoritaires au sein d'une autre structure, de l'essentiel des actifs de la société ; qu'en ne recherchant pas les conditions dans lesquelles les majoritaires, dans le cadre d'une nouvelle structure avait repris la concession ne démontrait l'absence de préjudice la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
4 ) qu'en fixant au montant de l'investissement les dommages-intérêts dus par elle, la cour d'appel qui ne prend pas en considération la reprise de l'actif social par les majoritaires animateurs de la société Dunkerque loisirs, nouvelle concessionnaire, non plus que le fait que la société était in bonis a par là même privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la résiliation de la concession n'était que la conséquence de l'abus de minorité qu'elle retient à la charge de la société Forges thermal, la cour d'appel, qui a apprécié souverainement le montant du préjudice en résultant pour les associés majoritaires, a, par une décision motivée, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.