Cass. crim., 8 septembre 2015, n° 14-83.306
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par la société civile professionnelle Gadou et Chevallier pour M. A..., pris de la violation des articles 121-5, 312-10, 312-12 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action publique, déclaré M. A...coupable d'une tentative de chantage et l'a condamné à payer une amende de 3 000 euros, sur l'action civile, l'a condamné à payer à M. Y...la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que le chantage est le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteint à l'honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque ; que la tentative de ce délit est punissable ; que la menace de dénonciation auprès d'une autorité susceptible d'engager des poursuites fiscales est clairement établie ; qu'en l'espèce, les termes du courrier : " les pièces apportées dans le dossier ne correspondent en rien aux déclarations faites par votre client ou aux autorités fiscales et administratives, tant monégasques que françaises et américaines ", " le système Y...off-shore détaillées, trust, résidence fiscale de complaisance, ainsi que l'établissement de faux documents ", ne laissent aucun doute sur la nature de la dénonciation au cas où M. Y...n'obtempérait pas aux demandes de l'avocat de Mme X...; qu'il y a lieu de relever que les expressions utilisées sont associées au caractère incontournable d'un règlement amiable ; qu'en conséquence les termes utilisés dans cette lettre constituent une menace sans ambiguïté ; que la demande et les conditions de la remise de fonds dans un délai très bref, le courrier du 14 décembre 2009 réclamant le versement des sommes sur un compte CARPA avant Noël 2009, constituent le second élément du délit ; que la tentative de chantage n'a échoué que par la volonté de M. Y...et de son avocat de faire échec à cette demande ; qu'il importe peu en l'espèce que les irrégularités financières dénoncées dans le courrier soient une réalité ou n'aient aucun fondement ; que le prévenu soutient que l'avocat de M. Y..., intermédiaire entre celui-ci et M. A...était libre de ne pas retransmettre à son client le courrier du 14 décembre 2009, s'agissant en outre, d'une lettre confidentielle ; que dans une telle hypothèse, la loyauté de Maître Alain B... aurait pu être soulevée ; qu'en ce qui concerne ce courrier, la levée du secret professionnel entre avocats est permise lorsqu'une pièce révèle intrinsèquement la commission par l'avocat d'une infraction ; que la lettre du 14 décembre 2009, saisie en exécution d'une commission rogatoire d'un juge instruction, pouvait être appréhendée dès lors qu'elle constituait le corps ou l'instrument même du délit ; que d'ailleurs, au vu des pièces produites, il apparaît que préalablement à sa plainte, Maître B... a sollicité l'avis du conseil de l'ordre et du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris ; qu'au regard de toutes ces considérations et des éléments réunis, le délit de tentative de chantage est constitué ; qu'il convient en conséquence de confirmer la déclaration de culpabilité de ce chef de M. A...; que sur la peine, qu'il convient d'infirmer la décision du tribunal et de condamner M. A...à une peine d'amende de 3 000 euros ;
" 1°) alors que le chantage suppose une menace ; que le cour d'appel, en l'état des conclusions d'appel de M. A...faisant valoir qu'il s'agissait d'une demande en vue d'une transaction et non d'une menace dès lors que le juge tutélaire de Monaco était saisi depuis le 5 novembre 2009 du problème du lieu de résidence des enfants et de la part contributive, ne pouvait retenir la tentative de chantage sans déterminer si, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de la nécessité de fixer la patrimoine et les revenus de M. Y...pour évaluer la part contributive, il ne s'agissait pas d'une demande avec composition entre les parties et non d'une tentative de chantage ; qu'ainsi l'arrêt n'est pas légalement justifié ;
" 2°) alors que la menace doit précéder la révélation des faits ; que la cour d'appel, en l'état des conclusions d'appel de M. A...faisant valoir que les faits prétendument révélés résultaient de documents produits dans la procédure monégasque de sorte qu'ils avaient été révélés avant l'envoi de la lettre du 14 décembre 2009, ne pouvait retenir la tentative de chantage sans s'expliquer sur l'antériorité de la révélation des faits par rapport à la lettre précité ; que la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à l'occasion d'un litige opposant devant les juridictions monégasques Mme X...à M. Joseph Y...à propos de la garde de leurs deux enfants mineurs, M. A..., avocat de Mme X..., a adressé, le 14 décembre 2009, à l'avocat de M. Y...un courrier dans lequel il lui indiquait que les pièces figurant à son dossier ne correspondaient en rien aux déclarations faites par M. Y...aux autorités fiscales et administratives tant monégasques que françaises et américaines, et que les éléments de preuve portés à sa connaissance mettaient en évidence le système mis au point par celui-ci constitué, notamment, de faux documents, de sorte qu'un règlement amiable était incontournable entre les parties afin de prévenir les répercussions tant fiscales que pénales pour le père des deux enfants ; que M. A...ajoutait que, dans ces conditions, sa cliente demandait quatre millions d'euros pour chacune des deux enfants, outre deux millions pour elle-même, sommes à déposer à son compte Carpa avant Noël ; qu'à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. Y..., M. A...a été déclaré coupable de tentative de chantage ; que le prévenu, la partie civile et le procureur de la République ont relevé appel ;
Attendu que, pour confirmer le jugement déféré, les juges du second degré prononcent par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui établissent l'existence d'une menace de dénoncer des infractions fiscales étrangères, par leur nature même, à un litige entre particuliers, en vue d'obtenir un prétendu règlement amiable, la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle, caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit de tentative de chantage dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par la société civile professionnelle Gadou et Chevallier pour Mme X..., pris de la violation des articles 311-1 du code pénal, 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action civile, dit que l'infraction de vol à l'encontre de Mme X...était constituée et l'a condamnée à payer à M. Y...la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs qu'en l'absence d'appel du ministère public sur les dispositions pénales du jugement déféré concernant Mme X..., la décision de relaxe prononcée en sa faveur est devenue définitive ; qu'il appartient cependant à la cour saisie par l'appel de la partie civile de rechercher si les faits dénoncés par celle-ci étaient établis et constitutifs d'une infraction susceptible d'avoir entraîné un préjudice dont Mme X...pourrait être tenue responsable et, en conséquence, condamnée à indemniser la partie civile ; que l'infraction de complicité de chantage n'est pas établie à l'encontre de Mme X...; qu'en ce qui concerne le vol de documents reproché par M. Y...à son ex-concubine et pour lequel la relaxe au pénal est définitive, le témoignage de Mme Z...est suffisamment précis pour attester une volonté chez Mme X...de subtiliser des documents appartenant à M. Y..., dès lors que la remise des pièces s'est effectuée à Ramatuelle où se trouvait le bureau personnel de celui-ci ; que Mme X...convient qu'elle ait pu copier un certain nombre de documents en précisant néanmoins que ceux-ci la concernaient directement, en tout cas qu'elle pouvait y avoir légalement accès, d'une part parce qu'elle était la concubine de M. Y...et d'autre part parce qu'il s'agissait, soit de copies de relevés de compte commun, soit de copies de relevés de comptes sur lesquels étaient mis de l'argent qui relevait des intérêts du couple ; que Mme X...a également admis avoir pris au-delà de ce qui concernait son couple mais que comme M. Y...payait sur divers comptes les dépenses du couple il lui fallait tous ces documents pour justifier les dépenses dans le cadre de la procédure pour ses enfants et de celle en cours pour un appartement de sa société Babylone ; que Me B... a communiqué au juge d'instruction un certain nombre de pièces appartenant à M. Y...et ayant été entre les mains de Mme X...: un document de la Bayshore Bank & Trust de janvier 2007, de relevés du portefeuille de la Senc Volterra à la banque Martin Maurel Sella à Monaco, une offre d'achat de M. Y...d'un appartement à Monaco en date du 30 mai 2006, des relevés de compte bancaire de la banque Martin Maurel pour les années 2007-2009 concernant une société Audacious Ventures Corporation domiciliée chez M. Y...; que Mme X...n'a donné aucune explication crédible sur la détention de toutes ses pièces qui ne pouvaient la concerner d'une façon ou d'une autre, étant précisé qu'aucun lien matrimonial n'ayant lié les anciens concubins, M. Y...n'avait aucune obligation matérielle envers elle ; que le fait par la partie civile d'avoir pu régler certaines dépenses communes ou personnelles sur ces comptes n'autorisait nullement Mme X...à les subtiliser ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que le vol de documents par Mme X...est caractérisé ;
" 1°) alors que le simple propos d'un témoin selon lequel Mme X...lui aurait confié des copies de documents dans un sac à dos appartenant à M. Y...pour les cacher est inopérant à établir la volonté de Madame de subtiliser des documents à Monsieur d'autant que le témoin n'a pas pris connaissance des documents dont le contenu n'est pas même indiqué ; qu'ainsi l'arrêt n'est pas légalement justifié ;
" 2°) alors que la communication par l'avocat de M. Y...d'un certain nombre de pièces appartenant à ce dernier et l'affirmation que ces pièces auraient été entre les mains de Mme X...sont indifférentes à établir que lesdites pièces auraient été subtilisées par celle-ci de sorte que la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors que la cour d'appel ne pouvait dire Mme X...coupable de vol sans indiquer quels étaient les documents qui auraient été « subtilisés » par Mme X..." ;
Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel a dit que l'infraction de vol était constituée à l'encontre de la demanderesse, les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que, statuant sur le seul appel de la partie civile, elle a, sans insuffisance ni contradiction, établi, à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, l'existence d'une faute civile à l'origine du préjudice de la partie civile, dont elle a souverainement apprécié les modalités de la réparation ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille quinze ;