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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 3 mai 2018, n° 17/02234

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Crédit du Nord (SA), Star Lease (SA)

Défendeur :

Lorydis (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Rohart-Messager, M. Bedouet

CA Paris n° 17/02234

2 mai 2018

Par contrat de crédit-bail en date du 27 novembre 2013, la société Starlease a donné en location à la société Lorydis 6 chambres froides et des réfrigérateurs domestiques, pour une durée de 60 mois, moyennant le paiement de loyers mensuels de 1.175,66 euros ht, la liste du matériel ayant été modifiée par avenant du 4 décembre 2013,

Par acte sous seing privé du 13 décembre 2013, le Crédit du Nord a consenti à la société Lorydis un prêt d'un montant de 80.000 euros, remboursable en 60 mensualités de 1.479,76 euros, afin de financer des travaux d'aménagement des locaux commerciaux exploités par la société Lorydis.

Lors de la cession de son droit au bail intervenue le 14 janvier 2015, la société Lorydis a racheté par anticipation le matériel loué, pour le céder à la société Mini Lp 28 et lui a également vendu les aménagements faisant partie du fonds de commerce.

La Société Mini Lp 28 lui a donc versé la somme totale de 180.000 euros TTC, somme qui a été séquestrée le même jour entre les mains du cabinet A.C.J.M.M. et autres, Scp d'avocats.

Le contrat de vente de biens mobiliers du 14 janvier 2015 précisait que le prix versé par la société Mini Lp 28 serait affecté à la société Starlease et au Crédit du Nord en remboursements respectifs du crédit-bail, ayant fait l'objet d'une inscription mobilière, et du prêt, ayant fait l'objet d'un nantissement.

C'est ainsi que les parties ont explicitement donné instruction au séquestre de régler avec le prix séquestré :

la somme de 69.150,06 euros au titre du remboursement anticipé du prêt consenti par le Crédit du Nord le 13 décembre 2013,

la somme de 68.142,90 euros au titre du rachat anticipé du crédit-bail en date du 27 novembre 2013 au profit de la société Starlease.

Le séquestre a procédé à ces deux règlements par chèques bancaires émis le 10 juin 2015, la société Lorydis percevant le reliquat de 42.707,04 euros par chèque émis le même jour.

Par jugement en date du 2 novembre 2015, le tribunal de commerce d'Évry a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la Sarl Lorydis, la Scp A., prise en la personne de Maitre A., étant désignée liquidateur judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 25 novembre 2014.

Lors des opérations de liquidation judiciaire Maitre A., es qualités, constatant le paiement le 10 juin 2015, c'est-à-dire pendant la période suspecte, d'une somme correspondant au remboursement anticipé du prêt consenti par le Crédit du Nord, et du rachat anticipé du crédit-bail et du paiement y afférant entre les mains de la société Starlease a, sur les dispositions de l'article L. 632-1 I 3° du code de commerce, assigné le cabinet A.C.J.M.M. et autres, Scp d'avocats, séquestre, la société Starlease et le Crédit du Nord en nullité de ces actes.

Par jugement en date du 9 janvier 2017, le tribunal de commerce d'Evry a pris acte du désistement d'instance et d'action à l'encontre du séquestre, déclaré nuls les remboursements effectués par le cabinet d'avocats, séquestre amiable, en application du contrat de vente de biens mobiliers signé par la société Lorydis, la société Mini Lp 28 et le cabinet d'avocat le 14 janvier 2015, condamné le Crédit du Nord au remboursement à la Scp A., es qualités, de la somme de 69.150,06 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2015, condamné la société Starlease au remboursement à la Scp A., es qualités, de la somme de 68.142,90 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2015, les a condamnés in solidum aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement était assorti de l'exécution provisoire.

La société Starlease a relevé appel de ce jugement le 2 février 2017 et la société Crédit du Nord en a interjeté appel le 31 janvier 2017. Une ordonnance de jonction a été rendue le 27 juin 2017.

Par conclusions signifiées le 26 avril 2017, le Crédit du Nord demande à la cour de :

réformer le jugement,

débouter Maitre A., es qualités, de ses demandes,

condamner Maitre A., es qualités, à la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire avec intérêts au taux légal à compter des premières écritures d'appelant,

condamner Maitre A., es qualités, à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonner que les dépens soient employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Par conclusions signifiées le 11 janvier 2018, la société Starlease demande à la cour de :

à titre principal, infirmer le jugement,

et statuant à nouveau, dire et juger que la créance de la société Starlease liée au rachat anticipé du matériel loué par la société Lorydis était échue,

en conséquence, débouter la Scp A., es qualités, de ses demandes,

à titre subsidiaire, dire et juger que l'annulation du paiement emporte nullité du rachat anticipé du matériel objet du contrat de crédit-bail,

condamner la Scp A., es qualités, à restituer le matériel objet du contrat de crédit-bail à la société Starlease ou au mandataire de son choix dans les 15 jours de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par matériel passé ce délai.

Par conclusions signifiées le 11 janvier 2018, la Scp A., es qualités, demande à la cour de :

déclarer irrecevables les demandes formées par la société Starlease pour la première fois en cause d'appel,

à défaut l'en débouter,

confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré nuls les paiements effectués en période suspecte au profit de la société Starlease et du Crédit du Nord et les a condamné à rembourser les sommes perçues,

condamner in solidum la société Starlease et le Crédit du Nord à lui payer, es qualités, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner in solidum la société Starlease et le Crédit du Nord aux dépens.

L'affaire a fait l'objet d'une communication ministère public le 13 février 2017.

SUR CE ,

La Scp A., es qualités, fait valoir que les paiements effectués au titre de dettes non échues au bénéfice du Crédit du Nord et de la société Starlease, le 10 juin 2015, sont intervenus à une date se situant entre la date de cessation de paiements fixée au 25 novembre 2014 et la date d'ouverture de la liquidation judiciaire du 2 novembre 2015, c'est-à-dire pendant la période suspecte. Il considère qu'il s'agit de paiements effectués pour dettes non échues et demande donc la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé leur nullité et ordonné le remboursement.

Il résulte de l'article L. 632-1,I, 3° du code de commerce que sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les paiements, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement.

S'agissant du remboursement du prêt par anticipation du crédit qui avait été consenti par le Crédit du Nord, l'article 10-1 de ce contrat prévoyait que « en cas de cessation d'exploitation (...) toutes les sommes versées en exécution du présent prêt ainsi que tous les intérêts, commissions, frais et accessoires y afférant seront exigibles de plein droit par anticipation. » En l'espèce, il résulte de l'exposé des motifs de l'avenant au contrat de vente de biens mobiliers passé entre la société Lorydis et la société Mini LP 28 le 14 janvier 2015, que la société Lorydis avait cessé son activité et qu'elle était reprise par le repreneur des locaux donnés à bail.

Il s'ensuit que suite à cette cessation d'activité, le solde du prêt est devenu exigible, de sorte que le paiement intervenu l'a été pour une dette échue.

C'est en vain que le liquidateur judiciaire fait valoir qu'il ne pouvait y avoir aucune exigibilité sans mise en demeure préalable. À ce titre il soutient que le contrat de prêt prévoyait en son article 10.2 la possibilité d'une exigibilité anticipée des échéances du prêt, étant précisé qu'il était prévu que le prêteur informe l'emprunteur par recommandée avec demande d'avis de réception de ce qu'il prononce l'exigibilité du prêt. Cependant l'article 12 du contrat de prêt indiquait que, de son côté, l'emprunteur avait la possibilité de rembourser de façon anticipée les sommes dues au prêteur, sans qu'aucune mise en demeure préalable ne soit prévue. Tel était le cas en l'espèce, puisque la société Lorydis avait décidé de céder son droit au bail au profit d'un tiers et de lui vendre des aménagements financés par le prêt consenti par le Crédit du Nord avec les fonds ainsi reçus.

En effet, si la société Lorydis a procédé au paiement d'un montant de 69 150,06 euros au profit du Crédit du Nord, correspondant au prêt qui lui avait été consenti pour financer les travaux d'aménagement, de son côté la société Mini LP 28 lui a versé une somme de 85 000 euros hors-taxes soit 102 000 euros TTC, au titre des aménagements effectués dans les lieux loués, permettant d'effectuer ce remboursement, cette opération n'ayant pas appauvri la société Lorydis.

C'est donc à tort que les premiers juges ont annulé ce remboursement sur le fondement de l'article L. 632-1,I, 3° du code de commerce et le jugement sera donc infirmé de ce chef.

S'agissant du contrat de crédit-bail, la société Lorydis a procédé au rachat anticipé du bien donné à bail pour un montant de 68 142,90 euros, étant précisé que la société Mini LP 28 lui a racheté le bien objet du contrat de crédit-bail pour un montant de 78 000 euros, de sorte que l'opération ne s'analyse pas en un paiement pour dette non échue, mais en un rachat de matériel non visé par l'article L. 632-1,I,3° du code de commerce.

Dès lors, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé le remboursement effectué au profit de la société Starlease.

En conséquence, Me A., ès qualités, sera condamné à restituer tant à la société Crédit du Nord qu'à la société Starlease les sommes versées en raison de de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré, avec intérêts au taux légal à compter de la demande qui en a été faite, soit à compter des premières écritures de chacun des appelants.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Déboute Me A., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Lorydis de ses demandes,

Le condamne, es qualités, à restituer à la société Crédit du Nord et à la société Starlease les sommes perçues en raison de l'exécution provisoire attachée au jugement, avec intérêts au taux légal à compter de la demande qui lui en a été faite, soit à compter des premières écritures de chacun des appelants,

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective,

Rejette les demandes d'indemnité pour frais hors dépens.