CA Angers, ch. com. A, 2 février 2016, n° 15/00430
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Elevage Appro Service (SAS)
Défendeur :
Les Lilas (EARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Van Gampelaere
Conseillers :
Mme Monge, Mme Portmann
FAITS ET PROCEDURE
L'Earl des Lilas (l'EARL) a une activité d'exploitation agricole et notamment d'élevage. La société Elevage appro service (la société Elevage) est l'un de ses fournisseurs.
Le 20 décembre 2013, l'EARL a consenti à la société Elevage, dont certaines factures étaient impayées, un warrant qui fut inscrit le 12 mars 2014.
Le 28 février 2014, l'EARL a consenti à la société Elevage une cession de créance à hauteur d'une somme de 30 000 euros.
Par jugement du 3 avril 2014, le tribunal de grande instance du Mans a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'EARL sur déclaration de celle-ci, la date de cessation des paiements étant provisoirement fixée au 31 octobre 2013 et Me di M. étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.
La société Elevage, se réclamant du warrant consenti le 20 décembre 2013, a, le 27 mai 2014, déclaré sa créance à titre privilégié pour un montant de 65 666,26 euros entre les mains du mandataire judiciaire qui, le 18 septembre 2014, l'a informée du rejet de son privilège au motif que la prise du warrant était intervenue en période suspecte.
Par jugement du 29 janvier 2015, le tribunal, saisi par Me di M. ès qualités, a annulé la cession de créance consentie le 28 février 2014, condamné la société Elevage à rapporter la somme de 30 000 euros entre les mains du mandataire judiciaire, rejeté la demande de dommages et intérêts de celui-ci et condamné la société Elevage à payer à Me di M. ès qualités une indemnité de procédure de 2000 euros, le tout sous exécution provisoire, outre les dépens.
Selon déclaration adressée le 6 février 2015, la société Elevage a interjeté appel de cette décision intimant l'EARL et Me di M. ès qualités.
Par ordonnance du 26 février 2015, la présidente du tribunal a déchargé Me di M., admis à faire valoir ses droits à la retraite, de son mandat de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de l'EARL et a transféré ce mandat à compter du 1er avril 2015 à la selarl Guillaume L..
Le Ministère public, auquel l'affaire a été communiquée, l'a visée le 31 juillet 2015.
La société Elevage et la selarl Guillaume L., celle-ci intervenant volontairement à la procédure en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de l'EARL, ont conclu. L'EARL, assignée à comparaître en l'étude de l'huissier de justice, n'a pas constitué avocat.
Une ordonnance rendue le 26 octobre 2015 a clôturé la procédure.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Les dernières conclusions, respectivement déposées les 28 août 2015 pour la société Elevage et 3 juillet 2015 pour la selarl Guillaume L. ès qualités, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
La société Elevage demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de sa condamnation au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive, de l'infirmer à titre principal en ce qu'il a annulé la cession de créance que lui a consentie l'EARL le 28 février 2014 et l'a condamnée à rapporter la somme de 30 000 euros entre les mains du mandataire judiciaire, en tout état de cause, de dire que la condamnation à son encontre doit être réduite au montant qu'elle a effectivement perçu au titre de la cession de créance litigieuse et de condamner la selarl Guillaume L. ès qualités à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 euros, outre les entiers dépens.
Elle expose que son activité est le commerce de gros de céréales, tabac non manufacturé, semences et aliments pour bétail et qu'à ce titre il lui est arrivé d'approvisionner l'EARL. Elle explique que le 1er décembre 2013, n'ayant pas été payée de ses factures, elle a consenti à l'EARL un délai de paiement jusqu'au 15 août 2014 et que celle-ci, en contrepartie, lui a attribué un warrant sur 24 hectares de blé et 4 hectares 50 de triticale suivant convention signée le 20 décembre 2013, adressée au tribunal d'instance du Mans le 6 janvier 2014 et inscrit le 12 mars suivant. Elle précise que le 1er février 2014, elle a adressé à l'EARL une facture d'intérêts de retard et que celle-ci lui a consenti une cession de créance. Elle nie avoir eu connaissance de l'état de cessation des paiements de l'EARL et conteste que le mandataire judiciaire rapporte la preuve contraire. Elle fait valoir que la seule proximité dans le temps de l'opération critiquée et du jugement d'ouverture ne suffit pas à établir la connaissance par le créancier de la cessation des paiements du débiteur, pas plus que le défaut de paiement de ses factures. Elle rappelle qu'elle n'est qu'un fournisseur qui n'a pas accès aux comptes de sa cliente et estime que le seul fait qu'elle n'ait pas contesté le rejet de son privilège en septembre 2014 ne démontre pas sa connaissance de la cessation des paiements de l'EARL en février 2014.
Subsidiairement, elle explique que la cession de créance ne portait que sur une somme de 30 000 euros qui ne saurait être dépassée. Elle s'oppose à tous dommages et intérêts au profit du mandataire et considère qu'elle n'a pas fait preuve de résistance abusive en s'abstenant de répondre à deux de ses courriers.
La selarl Guillaume L. ès qualités demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la cession de créance consentie le 28 février 2014 par l'EARL à la société Elevage et a condamné celle-ci au paiement de la somme de 30 000 euros, de la recevoir en son appel incident, de condamner la société Elevage au paiement d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et d'une indemnité de procédure de 5 000 euros, outre les entiers dépens.
Elle expose que l'EARL a une activité agricole notamment d'élevage et que la société Elevage est son fournisseur régulier. Elle fait valoir que le 28 février 2014, l'EARL avait laissé impayées vingt-quatre factures dont la plus ancienne datait du 28 février 2013. Elle précise que le 28 février 2014, l'EARL a cédé à la société Elevage sa créance au titre des aides couplées animales et végétales et découplées pour la récolte 2014 versées par l'Agence de service et de paiement (l'ASP) au titre de la Politique agricole commune. Elle ajoute que la société Elevage n'a élevé aucune contestation lorsque Me di M. ès qualités lui a appris le rejet de son privilège lié à un warrant inscrit en période suspecte. Elle se prévaut des dispositions de l'article L.632-2 du code de commerce dont elle estime que les conditions sont réunies, la société Elevage, en relations d'affaires habituelles avec l'EARL n'ignorant pas l'état de cessation des paiements de sa cliente. Elle indique qu'au titre de la cession de créance, la société Elevage a reçu deux versements de l'ASP de 16 522,90 euros pour celui du mois d'octobre 2014 et de 13 477,10 euros pour celui de décembre 2014 et que le jugement, assorti de l'exécution provisoire, a été exécuté.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu qu'il n'est pas contesté devant la cour qu'une cession par un agriculteur de la créance qu'il détient sur l'ASP constitue dans la Sarthe un mode de paiement communément admis, au sens de l'article L.632-1 du code de commerce, dans les relations d'affaires en milieu agricole ;
Attendu qu'aux termes de l'article L.632-2 du code de commerce, les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements ;
Qu'il incombe à celui qui poursuit l'annulation d'un acte visé à cet article de rapporter la preuve de ce que le créancier qui en est bénéficiaire avait connaissance, au moment de la conclusion de cet acte, de l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;
Attendu, en l'espèce, que la selarl Guillaume L. fait valoir qu'à la date de la cession de créance consentie par l'EARL à la société Elevage, cette dernière était créancière de vingt-huit factures impayées d'un montant total de 64 810,92 euros dont l'une était ancienne d'un an et qu'à l'annonce du rejet du privilège tiré du warrant agricole qu'elle avait fait inscrire, la société Elevage n'a pas protesté ;
Mais attendu, d'une part, que cette absence de réaction à l'annonce par le mandataire judiciaire, le 18 septembre 2014, de la non-prise en compte d'un warrant agricole inscrit en période suspecte, ne suffit pas à établir que la société Elevage ait su, le 28 février 2014, date à laquelle lui avait été consentie la cession de créance litigieuse à concurrence d'une somme de 30 000 euros, l'état de cessation des paiements de l'EARL ;
Et attendu, d'autre part, que la preuve de cette connaissance ne peut être tirée des seuls faits que des factures sont, même durablement, demeurées impayées et que la société Elevage a dressé des factures d'intérêts de retard, la qualité de fournisseur ne donnant pas une vision complète de la situation financière d'un client ;
Attendu que le jugement qui a annulé la cession de créance consentie le 28 février 2014 et condamné la société Elevage à rapporter la somme de 30 000 euros sera infirmé ;
Attendu que la résistance de la société Elevage n'étant pas abusive, le jugement qui a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par le mandataire judiciaire sera confirmé sur ce point ;
Attendu que la selarl Guillaume L. ès qualités succombant en cause d'appel, les entiers dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et par défaut,
INFIRME le jugement déféré SAUF en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par le mandataire judiciaire au redressement judiciaire de l'Earl des Lilas,
Et statuant à nouveau et y ajoutant,
DEBOUTE la selarl Guillaume L. en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de l'Earl des Lilas de sa demande tendant à l'annulation de la cession de créance consentie le 28 février 2014 par la débitrice à la société Elevage appro service et de sa demande subséquente en paiement entre ses mains de la somme de 30 000 euros,
DIT que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective,
DEBOUTE les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.