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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 20 décembre 2018, n° 16/03467

CAEN

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Briand

Conseillers :

Mme Heijmeijer, Mme Gouarin

Avocats :

Me Balavoine, Me David, Me Besson

T. com. Caen, du 31 août 2016, n° 201501…

31 août 2016

EXPOSE DU LITIGE

La SARL SAE Normandie, dont les cotisations Urssaf et retraites faisaient l'objet de relances pour défaut de paiement, a vendu le 12-03-2015 son fonds de commerce de maintenance d'adoucisseurs d'eau auprès des clients particuliers, l'acte de cession prévoyant le séquestre du prix entre les mains de l'avocat rédacteur de l'acte.

A la suite d'un courrier de l'Urssaf du 01-04-2015, qui mentionnait le montant des cotisations impayées à cette date, puis d'un acte d'opposition délivré le 15-04-2015 à l'adresse du fonds vendu, le séquestre lui adressait le 27-04-2015 un chèque de règlement de 40 738,30 €.

Par jugement en date du 09-09-2015, le tribunal de commerce de Caen prononçait l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL SAE Normandie suite à la déclaration de cessation des paiements déposée par son gérant le 07-09-2015, et fixait la date de cessation des paiements au 09-03-2014.

La procédure a été ensuite convertie en liquidation judiciaire avec désignation de Maître L. en qualité de liquidateur.

La SARL AJIRE, administrateur de la société et le mandataire judiciaire, Maître L., étaient autorisés le 14-10-2015 à assigner l'Urssaf ainsi que les institutions de retraite Malakoff Médéric et la caisse Humanis Retraite ARRCO à bref délai afin d'obtenir l'annulation des oppositions sur le prix de vente du fonds de commerce et le remboursement des sommes payées par le séquestre.

Par jugement en date du 31-08-2016, le tribunal de commerce de CAEN faisait droit à ces demandes sur le fondement des articles L632-2 et suivants du code de commerce en ce qui concerne l'Urssaf et les sociétés Malakoff Médéric, l'opposition de la société Humanis étant validée.

Par déclaration en date du 21-09-2016,l'Urssaf a relevé appel de la décision la concernant, intimant Maître L. ès qualité de liquidateur et la Selarl AJIRE en qualité d'administrateur judiciaire de la SARL SAE Normandie.

Par conclusions en date du 18-04-2017, elle sollicite l'infirmation du jugement et le rejet des demandes du liquidateur comme étant irrecevables et à tout le moins mal fondées. Elle réclame le paiement de la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens étant pris en frais privilégiés de procédure collective.

Par conclusions en date du 16-02-2017, Maître L., ès qualité de liquidateur, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a annulé les oppositions de l'Urssaf et des sociétés Malakoff Médéric sur le prix de vente de fonds cédé le 12-03-2015 et condamné ces sociétés au remboursement de l'intégralité des sommes perçues, soit 40 738,30 € pour l'Urssaf.

Il réclame le paiement de la somme de 7 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La Selarl AJIRE, constituée sur la procédure par Maître B. suivant acte en date du 26-10-2016, ne développe pas de conclusions, celles en date du 16-02-2017 étant présentée uniquement pour Maître L..

Il est renvoyé à la lecture des conclusions pour le plus ample exposé des moyens.

L'ordonnance de clôture est en date du 04-04-2018

MOTIFS

- Sur l'existence d'une opposition formée sur le prix de vente

L'article L141-14 du code de commerce, dans sa rédaction applicable avant le 06-08-2015, dispose que dans les 10 jours suivant la dernière en date des publications visées à l'article L141-12, tout créancier du précédent propriétaire, que sa créance soit on non exigible, peut former au domicile élu, par simple acte extra judiciaire, opposition au paiement du prix. L'opposition, à peine de nullité, doit énoncer le chiffre et les causes de la créance et contient une élection de domicile dans le ressort de la situation du fonds.

L'article R141-2, dans a version antérieure au 14-03-2016, précise que la publication contient élection de domicile dans le ressort du tribunal de la situation de l'établissement principal (...).

Il s'en suit que le cessionnaire d'un fonds de commerce doit publier la cession du fonds et élire domicile dans le ressort du fonds vendu, l'opposition devant être formée au domicile élu par le cessionnaire mentionné dans cette publication.

Dans le cas présent, le jugement déféré a retenu que l'Urssaf avait fait opposition sur le prix de cession le 01-04-2015 mais le créancier fait valoir qu'il s'agit d'un simple courrier adressé au séquestre, de sorte que les dispositions de l'article L632-2 du code de commerce n'ont pas lieu de s'appliquer.

La publication de la cession du fonds appartenant à la SARL SAE Normandie, peu important qu'elle soit seulement partielle, effectuée par le cessionnaire au BODACC le 10-04-2015 portait la mention suivante en ce qui concerne les oppositions : pour la validité à l'adresse du fonds de commerce vendu et pour la correspondance chez le séquestre, Maître B., avocat à Marseille.

Par acte d'huissier en date du 15-04-2015, l'Urssaf a fait délivrer un acte d'opposition à l'adresse de la société cédante, correspondant au domicile élu par le cessionnaire, conformément aux prescriptions visées dans la publication du 10-04-2015.

Il en résulte que l'Urssaf a procédé à une opposition correspondant aux actes visés à l'article L632-2 du code de commerce sans pouvoir soutenir qu'il s'agissait d'une opération menée à l'aveugle, étant précisé qu'aucune dénonciation au cessionnaire n'avait lieu d'être, puisque l'opposition était précisément faite au domicile élu par lui.

Son courrier adressé au séquestre le 01-04-2015, et donc antérieurement à la publication de la cession au BODACC, visait seulement à obtenir la communication du domicile élu pour les oppositions au prix de vente du fonds qui devait se situer dans le ressort du tribunal de commerce du fonds vendu, soit à Bénouville (en réalité Démouvile).

Les termes mêmes de ce courrier démontrent que l'Urssaf connaissait parfaitement les formalités à accomplir, et qu'elle y a procédé après la publication du 10-04-2015.

Il ressort de ces éléments que l'Urssaf a émis une opposition sur le prix de vente du fonds de la SARL SAE Normandie par acte du 15-04-2015 et le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a analysé comme tel le courrier en date du 01-04-2015.

- Sur la nullité de l'opposition

L'article L632-2 du code de commerce dispose que les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.

Tout avis à tiers détenteur, toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulé lorsqu'il a été délivré ou pratiqué par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci.

Les dispositions légales exigent que le créancier ait eu connaissance de la cessation des paiements de la société débitrice, c'est à dire l'impossibilité pour celle-ci de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Dans le cas présent, il ressort du dossier que l'Urssaf a assigné la SARL SAE Normandie en redressement judiciaire par acte en date du 26-09-2014 au motif qu'elle était en état de cessation des paiements, faute d'avoir réglé la somme de 52 339,05 € au titre de ses cotisations.

L'affaire a fait l'objet de renvois pour permettre la mise en place d'un échéancier.

Par courrier en date du 18-12-2014, la créancière dénonçait cet échéancier pour défaut de paiement et rappelait que le montant restant dû était de 34 118,42 €.

Elle informait toutefois le tribunal de commerce de Caen de son désistement d'instance de la procédure collective par courrier du 17-03-2015, précisant que le dernier règlement de la somme de 6 807,12 € effectué le 06-03-2015 avait permis de solder les causes de l'assignation.

Ce courrier était envoyé 5 jours après la cession d'éléments d'actifs de la société débitrice au profit de la SARL Hygieau France, régularisée le 12-03-2015 moyennant le prix de 188 400 €.

Dés le 01-04-2016, l'Urssaf écrivait au séquestre que la société cédante restait redevable de la somme de 40 738,30 €, à parfaire.

Dans son opposition du 15-04-2015, elle portait à 76 187,89 € le montant qui lui était dû.

Au vu de ces éléments, l'appelante ne peut valablement soutenir que la situation de la société SAE Normandie avait évolué favorablement depuis son assignation du 26-09-2015, les causes de celle-ci étant soldées depuis le 06-03-2015.

En effet, les graves difficultés de trésorerie étaient manifestement récurrentes puisque le montant impayé des cotisations était encore plus élevé en avril 2015 qu'en septembre 2014, malgré les versements effectués par la débitrice.

Il en résulte que l'Urssaf ne pouvait ignorer la situation de cessation des paiements de sa débitrice et que le liquidateur est dans ces conditions bien fondé à solliciter la nullité de l'opposition.

- Sur le sort du paiement effectué par le séquestre

L'article L632-3 du code de commerce précise que les dispositions des articles L632-1 et L632-2 ne portent pas atteinte à la validité du paiement d'un chèque mais que dans ce cas, le mandataire judiciaire peut exercer une action en rapport contre le bénéficiaire du chèque s'il est établi qu'il avait connaissance de la cessation des paiements.

Dans le cas présent, le séquestre a payé à l'Urssaf la somme de 40 738,30 € par chèque CARPA en date du 27-04-2015, transmis par courrier du 15-05-2015.

L'Urssaf invoque un paiement effectué non par la société débitrice mais par un tiers en la personne de Maître B., ès qualités de séquestre amiable désignée par les parties au sein de l'acte de cession, de sorte que la demande de rapport ou de nullité ne saurait prospérer.

Cependant le courrier adressé le 15-05-2015 à l'appelante mentionne expressément que le séquestre procède au paiement ' à la demande de la société SAE Normandie'.

Ce faisant, il est avéré que Maître B. agissait en qualité de mandataire de la société débitrice, et non de tiers.

Il en résulte que le paiement litigieux est soumis à l'action en rapport visée à l'article L632-3 du code de commerce, qui seule permet de poursuivre le remboursement des sommes payées.

Il a été retenu ci-dessus que l'appelante connaissait la situation de cessation des paiements de sa débitrice de sorte que le liquidateur est bien fondé à solliciter la confirmation du jugement qui a condamné l'Urssaf au remboursement des sommes par elles perçues.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l'appel formé par l'Urssaf,

Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions qualifiant d'opposition le courrier du 01-04-2015 et prononçant son annulation.

Statuant à nouveau sur ces points,

Dit que l'Urssaf a formé opposition sur le prix de vente du fonds de commerce de la SARL SAE Normandie par acte d'huissier en date du 15-04-2015.

Prononce l'annulation de cette opposition.

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les dépens seront pris en frais privilégiés de procédure collective.