CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 25 octobre 2016, n° 15/12922
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Bedouet
Par jugement du 20 juin 2013, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SA Moonscoop, ayant pour activité la production et la diffusion de programmes audiovisuels. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 24 janvier 2014, la Scp BTSG, prise en la personne de Maître G., étant désignée en qualité de liquidateur.
M.Joël V., se prévalant d'une transaction, a déclaré à titre chirographaire au passif de Moonscoop une créance de 940.000 US dollars correspondant selon le taux de change en vigueur au jour du jugement d'ouverture à 711.447,49 euros.
La société Skykids Consulting a effectué une déclaration identique pour cette créance.
Par deux ordonnances du 20 mai 2015, le juge-commissaire a rejeté en totalité ces déclarations, considérant d'une part que la créance alléguée avait fait l'objet de deux déclaration différentes, d'autre part, que les conditions d'autorisation de la transaction par les organes de direction de la société Moonscoop, sont sujettes à caution, en ce que cette convention réglementée aurait dû respecter le processus de validation légal et en ce que l'extrait du conseil de surveillance est contestable dans son principe et sa teneur.
M.V. et la société Skykids Consulting ont, le 17 juin 2015, respectivement relevé appel de l'ordonnance rejetant leur déclaration,
Les deux procédure ont été jointes par le conseiller de la mise en état le 6 octobre 2015.
Par conclusions communes signifiées le 11 février 2016, la société Skykids Consulting et M.V. demandent à la cour de les déclarer recevables et fondés en leurs prétentions, de débouter la Scp BTSG de l'ensemble de ses prétentions, d'infirmer en toutes leurs dispositions les deux ordonnances, statuant à nouveau d'admettre au passif de Moonscoop à titre chirographaire la créance conjointe qu'ils ont déclarée le 23 septembre 2013 pour un montant de 711.447,49 euros en principal, de condamner la Scp BTSG, ès qualités, à payer à Skykids Consulting et à M.V. 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses écritures signifiées le 4 décembre 2015, Moonscoop, prise en la personne de la Scp BTSG, en la personne de Maître G., conclut à la confirmation des ordonnances, au rejet de toutes les prétentions des appelants, en conséquence, au rejet de la créance déclarée par Skykids Consulting et M.V., de les condamner chacun à 2.500 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE
Skykids Consulting fait valoir qu'elle détient conjointement avec M.V. une créance à l'encontre de Moonscoop , au titre d'un accord transactionnel, signé les 27 et 28 mai 2013, revenant à Skykids Consulting pour 940.000 US Dollars ( soit 711.447,49 euros au jour du jugement d'ouverture), mettant fin à un litige indûment engagé par les représentant de Moonscoop. Ils soutiennent que la signature de cette transaction a bien été approuvée à l'unanimité par le conseil de surveillance de Moonscoop SA, organe compétent, que cette autorisation n'est aucunement sujette à caution, MM. V. et D., membres du conseil désignés par la société Animated Ventures, s'étant abstenus de prendre part au vote, que M.Christophe Di S. a d'ailleurs circularisé ce projet d'accord par mail du 25 mai 2013, ajoutant qu'aucune contestation sur le fondement de l'article L632-2 du code du commerce ne saurait prospérer dès lors que cette convention a permis à Moonscoop d'éviter d'être exposée à des sanctions pécuniaires beaucoup plus lourdes devant la juridiction américaine et n'a donné lieu à aucun paiement de la part de Moonscoop préalablement à l'ouverture de la procédure collective.
Tandis que Moonscoop et le liquidateur contestent, d'une part, la qualité à agir de M.V. en ce qu'il ne dispose d'aucun droit privatif sur cette somme et ne justifie pas d'un pouvoir spécial lui donnant le droit d'agir au nom de Skykids Consulting, bénéficiaire de cette indemnité, et, d'autre part, les conditions dans lesquelles cette convention réglementée a été validée, en ce que l'extrait du procès-verbal du conseil de surveillance n'est pas probant, n'étant pas certifié comme le prévoit l'article R 225-51 du code du commerce, en ce que cette convention aurait dû être soumise à un contrôle beaucoup plus strict que la simple validation par le conseil de surveillance conformément à l'article L 225-38 du code du commerce et en ce qu'elle a été signée un mois avant l'ouverture de la procédure collective alors que l'état de cessation des paiements était avéré et connu des signataires, en déduisant que cette convention sera déclarée nulle au visa de l'article L632-2 du même code.
L'article L 624-2 du code de commerce dispose « Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission. »
Il est acquis au débat que les deux déclarations de créance effectuées pour un montant de 711.447,49 euros en principal, ne concernent qu'une seule et même créance.
La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M.V. pour le compte de Skykids Consulting sera écartée dès lors que ces parties concluent ensemble à leur admission au titre de cette créance conjointe.
Il n'est pas contesté que dans le cadre d'une procédure judiciaire opposant Moonscoop à ses associés en Californie, le tribunal de Los Angeles a débouté Moonscoop de son action de 'cross complaint' et que les parties se sont alors rapprochées pour mettre un terme à leur litige.
Il est versé au débat un document rédigé en langue anglaise, dont les parties ne remettent pas en cause la traduction libre, intitulé 'settlement agreement and mutual releases' (accord transactionnel et de désistements mutuels) établi entre Skykids Consulting Corporation, Joël V., personne physique et pour le compte de Trustee V., Animated Ventures S.A, Financière Logique, Alex D., Moonscoop U.S.Holdings, société de droit américain et Moonscoop S.A société de droit français et portant la signature des intéressés le 27 ou 28 mai 2013.
Selon cet accord, qui a pour objet le règlement de l'affaire dite 'Skykids Consulting Corp.v. Moonscoop US Holdong,Inc. Et al. N° LC095914", les parties Moonscoop (soit les sociétés Moonscoop U.S et Moonscoop S.A) s'engagent à payer 975.000 US dollars comme suit:
- 5.000 US dollars lors de la signature de la transaction
- 970.000 US dollars au profit des 'parties Skykids' définies dans la convention comme étant M.V. et la société Skykids Consulting, payables en 48 mensualités égales et consécutives à compter du 1er septembre 2013, à charge pour la société Skykids Consulting de reverser à M.D. les 35.000 US dollars lui revenant.
Il est versé au débat un extrait du procès-verbal de réunion du conseil de surveillance de Moonscoop S.A en date du 21 mai 2013, signé par l'un de ses membres dont la signature n'est pas identifiable, approuvant dans sa 6ème délibération les conditions du protocole transactionnel mettant fin aux litiges et aux poursuites actuellement pendantes entre les sociétés Moonscoop US.Holding, Moonscoop S.A et Skykids sous réserve du respect de quatre conditions: un avis juridique sur la possibilité d'établir une telle transaction, un audit effectué par le directoire afin de vérifier la réalité de la somme de 970.000 dollars avancée, l'assurance qu'il n'y aura pas de double paiement entre les sommes concernées par le protocole et toute autre somme qui serait versée par toute autre entité concernant ce litige, et la signature d'un protocole validé par les conseils de la société assurant l'arrêt de toute procédure en cours impliquant les sociétés du groupe Moonscoop et interdiction d'engagement par les parties de quelque nouvelle procédure que ce soit dans l'affaire Skykids, le procès-verbal précisant qu'en raison du conflit d'intérêt dû à leurs liens avec la société Skykids, MM. Fabien D. et Joël V., membres du conseil de surveillance ( au nom d'Animated Ventures, associée de Moonscoop ) n'ont pas participé au vote de cette délibération.
N'est pas opérant le moyen pris de ce que les signatures de la transaction figurent sur deux pages distinctes, les 27 et 28 mai 2013, aucun élément ne permettant d'en déduire que les parties, se trouvant dans des pays différents, auraient approuvé des versions différentes sur les points intéressant le litige.
Quant à la réalité de la réunion du conseil de surveillance du 21 mai 2013 et de la délibération sur le projet de transaction, elle résulte d'un courriel de M.Benoît Di S. adressant la veille aux membres du conseil le projet de résolutions et d'un courriel de M.Christophe Di S., daté du 25 mai suivant, indiquant que le directoire s'est chargé suite au conseil de surveillance du 21 mai de préparer un projet de 'Settlement Agreement' dans l'optique de mettre une fin définitive aux litiges dits Skykids aux USA, que ce projet avait été validé par l'avocat américain de Moonscoop et que les demandes de modification de l'un des membres du conseil avaient été immédiatement répercutée. Ces éléments coïncident avec la signature de la convention après une dernière mise au point les 27 et 28 mai. Ainsi, le mail émanant du président du directoire permet de confirmer l'existence de cette délibération quand bien même l'extrait du procès-verbal de réunion n'est pas certifié par une autorité et il n'y a pas à cet égard de difficultés sérieuses.
S'agissant du moyen pris de la nullité de l'acte, il est constant que la date de cessation des paiements initialement fixée au 30 avril 2013, a été reportée au 31 janvier 2012 par le jugement du 17 septembre 2014, de sorte que la transaction a en définitive été signée au cours de la période suspecte.
Si l'article L632-2 du code du commerce selon lequel ' Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la date de cessation des paiements.[....]' permet au liquidateur d'agir en nullité des actes passés pendant la période suspecte, cette nullité, facultative, n'intervient pas de plein droit et requiert, à supposer que les conditions soient remplies, qu'elle soit judiciairement prononcée. Or, il n'entre pas dans les attributions de la cour, investie en appel des mêmes pouvoirs que le juge-commissaire, de se prononcer sur la nullité alléguée d'un acte intervenu en période suspecte, ni sur le non respect allégué des dispositions applicables aux conventions réglementées, étant observé qu'il n'est pas fait état à ce jour d'une action engagée.
Ainsi, il appartenait au juge-commissaire, au regard de cette contestation, non pas de rejeter la créance, mais de constater qu'elle excédait ses pouvoirs juridictionnels.
A ce constat, l'ordonnance sera infirmée, et, statuant à nouveau, le sursis à statuer sera ordonné, la société Moonscoop, représentée par son liquidateur, qui soulève la nullité de la transaction, étant invitée à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois prévu par l'article R624-5 du code de commerce à peine de forclusion.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque. Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS
Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M.V.,
Infirme les deux ordonnances du 20 mai 2015 ayant rejeté les déclarations de créance de M.V. et de la société Skykids Consulting,
Statuant à nouveau,
Invite Moonscoop représentée par son liquidateur à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois, à peine de forclusion,
Sursoit à statuer jusqu'à la décision à intervenir,
Ordonne la radiation de l'affaire qui pourra être rétablie sur justification de la levée de la cause de sursis,
Déboute toutes les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de procédure collective .