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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 30 novembre 2017, n° 16/4823

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Thenney (SA)

Défendeur :

Selarl FHB (ès qual.), Selarl Bernard Beuzeboc (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Briand

Conseillers :

Mme Heijmeijer, Mme Gouarin

Avocats :

Me Balavoine, Me Piro, Me Lejard, Me Percheron, Me Mottais, Me Dartois, Me Puech, Me Ligeon

T. com. Lisieux, du 21 déc. 2016

21 décembre 2016

EXPOSE DU LITIGE

Sur assignation de la MSA côtes normandes qui se déclarait créancière d'une somme de 433 200,11 € au titre de cotisations impayées le tribunal de commerce de Lisieux a, par jugement du 17 décembre 2014, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SA Le Thenney qui exploite un haras au manoir du Thenney à Saint Pierre sur Azif, en désignant la SELARL FHB prise en la personne de Mme Cécile D. en qualité d'administrateur judiciaire (ci-après l'administrateur judiciaire) et la SELARL Bernard B. prise en la personne de M. B. en qualité de mandataire judiciaire (ci-après le mandataire judiciaire).

Par quatre jugements distincts du 21 décembre 2016 le tribunal de commerce de Lisieux a :

- rejeté 'le projet de plan de redressement par voie d'apurement du passif de la SA Haras le Thenney et la demande de désintéressement des créanciers',

- rejeté le plan de cession déposé par M.Jacob A.,

- rejeté le plan de redressement par d'apurement du passif présentée par M.Jacob A.,

- adopté le plan de redressement de la SA le Thenney 'dans les termes de la proposition élaborée par M. David S. déposée au greffe'.

Le 30 décembre 2016 la SA le Thenney a relevé appel du jugement rejetant son 'projet de plan de redressement par voie d'apurement du passif de la SA Haras le Thenney et la demande de désintéressement des créanciers'. Cet appel a été enrôlé sous le numéro RG 16/04823.

Dans le cadre de cet appel :

Dans des conclusions n°2 remises au greffe le 31 août 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés le mandataire judiciaire demande à la cour de prendre acte qu'il s'en rapporte à sa sagesse tant sur la demande de sursis à statuer que sur les demandes au fond, statuer ce que de droit quant aux dépens dont il demande l'emploi en frais privilégiés de la procédure collective.

Dans des conclusions remises au greffe le 21 septembre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés l'administrateur judiciaire demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les propositions d'apurement du passif sur 9 ans, telles que présentées par la SA le Thenney et la demande de clôture pour extinction du passif par la débitrice, dire que les frais de la présente instance seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

Dans des conclusions n°5 remises au greffe le 12 octobre 2017 la SA le Thenney demande à la cour de :

- ordonner le sursis à statuer dans l'attente d'une décision irrévocable au fond statuant sur la validité des cessions d'actions de la société Le Thenney intervenues entre, d'une part, la société Hyppokrène AG et la société L. Fiduciaria SA le 26 avril 2016, puis d'autre part entre la société L. Fiduciaria SA et la société Cambon exécutive le 12 janvier 2017,

- à titre subsidiaire infirmer le jugement déféré, statuant à nouveau constater que la SA le Thenney dispose de sommes suffisantes pour régler son passif, renvoyer par conséquent l'affaire devant le tribunal de commerce de Lisieux aux fins de clôture de la procédure dans les conditions prévues par l'article L 631-16 du code de commerce,

- à titre subsidiaire constater que le projet de plan de redressement présenté par la SA le Thenny est sérieux, renvoyer par conséquent l'affaire devant le tribunal de commerce de Lisieux aux fins d'adoption du plan,

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

Le 30 décembre 2016 la SA le Thenney a relevé appel du jugement du tribunal de commerce de Lisieux adoptant le plan de redressement de la SA le Thenney 'dans les termes de la proposition élaborée par M. David S. déposée au greffe'. Cet appel a été enrôlé sous le numéro RG 16/04824.

Dans le cadre de cet appel :

Dans des conclusions remises au greffe le 30 mai 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés le mandataire judiciaire demande à la cour de prendre acte qu'il s'en rapporte à sa sagesse tant sur la demande de sursis à statuer que sur les demandes au fond, statuer ce que de droit quant aux dépens dont il demande l'emploi en frais privilégiés de la procédure collective.

Dans des conclusions remises au greffe le 10 juillet 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés l'administrateur judiciaire demande à la cour de lui donner acte qu'elle s'en rapporte aux explications de la société Cambon exécutive ainsi qu'à la sagesse de la cour , dire que les frais de la présente instance seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

Dans des conclusions n°3 remises au greffe le 9 octobre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés M. S. demande à la cour d'ordonner la jonction des instances RG 13/04823 et RG n°16/04824, rejeter la demande de sursis à statuer, à titre principal, déclarer la SAS le Thenney mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter, confirmer les jugements entrepris en toutes leurs dispositions.

Dans des conclusions n°5 remises au greffe le 12 octobre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés la SA le Thenney demande à la cour de :

- in limine litis ordonner le sursis à statuer dans l'attente d'une décision irrévocable sur le mérite de l'appel interjeté par elle, enrôlé sous le numéro RG 13/04823 et si nécessaire d'une décision irrévocable au fond statuant sur la validité des cessions d'actions de la société Le Thenney intervenues entre, d'une part, la société Hyppokrène AG et la société L. Fiduciaria SA le 26 avril 2016, puis d'autre part entre la société L. Fiduciaria SA et la société Cambon exécutive le 12 janvier 2017,

- débouter M. S. de sa demande de jonction,

Dans tous les cas,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel, statuant à nouveau, déclare irrecevable le projet de plan de redressement présenté par M.S., subsidiairement rejeter le plan de redressement présenté par M.S.,

En toute hypothèse,

- débouter M. S. de toutes ses demandes,

- le condamner à payer à la SA le Thenney une indemnité de 20 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens en ce compris ceux afférents au référé introduit devant le premier président de la cour d'appel de Caen,

- constater que la SA le Thenney dispose des sommes suffisantes pour régler son passif,

- renvoyer par conséquent l'affaire devant le tribunal de commerce de Lisieux aux fins de clôture de la procédure dans les conditions prévues par l'article L. 631-16 du code de commerce,

- à titre subsidiaire constater que le projet de plan de redressement présenté par la SA le Thenney est sérieux, renvoyer par conséquent l'affaire devant le tribunal de commerce de Lisieux aux fins d'adoption du dit plan.

Par ordonnance du 18 janvier 2017 le premier président de la cour d'appel de Caen a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire des jugements du 21 décembre 2016, objets des appels enrôlés sous les numéros RG 16/04823 et RG 16/04824.

L'ordonnance de clôture est intervenue dans les deux procédures le 12 octobre 2017.

Le ministère public a été entendu en ses observations à l'audience de plaidoirie et a conclu à la confirmation des décisions entreprises.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de jonction des procédures :

La SA le Thenney fait l'objet d'une procédure collective dans le cadre de laquelle quatre propositions visant à y mettre un terme ont été présentées et discutées lors d'une même audience le 7 décembre 2016.

Si le tribunal de commerce de Lisieux a entendu statuer par quatre jugements distincts il n'en demeure pas moins que les deux appels pendants devant cette cour et portant l'un sur le rejet des propositions de la SA le Thenney et l'autre sur l'adoption de la proposition de M.S. présentent entre eux un lien tel qu'il n'est pas possible de statuer sur l'un indépendamment de l'autre.

Il y a donc lieu d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 16/04823 et RG 16/04824 pour être statué par un seul et même arrêt.

Sur la demande de sursis à statuer :

La SA le Thenney demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision irrévocable sur le mérite de l'appel interjeté par elle, enrôlé sous le numéro RG 13/04823. La jonction précédemment ordonnée ôte tout fondement à cette demande.

La SA le Thenney demande ensuite à la cour de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision irrévocable au fond statuant sur la validité des cessions d'actions de la société Le Thenney intervenues entre, d'une part, la société Hyppokrène AG et la société L. Fiduciaria SA le 26 avril 2016, d'autre part entre la société L. Fiduciaria SA et la société Cambon exécutive gérée par M.S. le 12 janvier 2017.

A la date de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 17 décembre 2017 le capital social de la SA le Thenney d'un montant de 37 515,05 € était divisé en 2 460 actions d'une valeur nominale de 15,25 € ainsi réparties :

- société Hyppokrene Aktiengesellschaft (ci-après Hyppokrene) : 2 219 actions,

- société Ser-Fid italiana fiduciaria edi revisione (ci-après Ser-fid) pour le compte de Mme Elisa M. veuve R. : 236 actions,

- M. Giulio R. : 1 action,

- succession de M. Arturo B. : 1 action,

- M. Rossano R. : 1 action,

- M. Nicolo Incisa della R. : 1 action,

- Mme Giulia M. : 1 action.

Selon la SA le Thenney dont le dirigeant est M.Giulio R., fils de Mme M. veuve R., cette dernière a confié à Ser-Fid, sans aucun transfert de propriété, la gestion :

- de sa participation directe minoritaire au capital de la SA le Thenney (236 actions),

- de sa participation totalitaire au capital de la société Hyppokrene AG qui elle même détient 2 219 actions de la SA le Thenney.

A la date à laquelle la cour statue le capital de la SA le Thenney est réparti ainsi qu'il suit :

- société Cambon executive : 2 219 actions,

- Ser-Fid : 236 actions,

- M. Giulio R. : 1 action,

- succession de M. Arturo B. : 1 action,

- M. Rossano R. : 1 action,

- M. Nicolo Incisa della R. : 1 action,

- Mme Giulia M. : 1 action.

La SA le Thenney conteste la validité des cessions d'actions de la société Le Thenney intervenues entre, d'une part, la société Hyppokrène AG et la société L. Fiduciaria SA le 26 avril 2016, d'autre part entre la société L. Fiduciaria SA et la société Cambon exécutive gérée par M.S. le 12 janvier 2017 et par voie de conséquence la qualité d'associé de la société Cambon exécutive.

Si elle justifie avoir engagé devant le tribunal de commerce de Lisieux une instance aux fins d'annulation de ces cessions cette procédure est actuellement radiée du rôle depuis le 5 mai 2017 faute de justification de l'assignation de la société de droit lichtenstennois Hyppokrene.

Pour soutenir que l'issue de cette instance conditionnerait celle du présent litige la SA le Thenney fait valoir qu' 'il est important de savoir si la société Cambon exécutive dont M.David S. est le gérant, a ou non acquis la qualité d'associé majoritaire de la SA le Thenney'.

Mais l'identité des actionnaires de la SA le Thenney est indifférente à l'issue de la procédure collective qui ne dépend pas du point de savoir si la société Cambon exécutive sera ou non reconnue propriétaire des 2 219 actions litigieuses.

En effet si M. S., personne physique, est l'auteur de la proposition de plan de redressement adoptée par le tribunal de commerce de Lisieux dont le jugement du 21 décembre 2016 est déféré à la cour, il n'est pas l'acquéreur des 2 219 actions achetées par la société Cambon exécutive, personnelle morale dont il est le gérant.

A la date du jugement déféré M. S., personne physique, ne détenait aucune action au sein de la SA le Thenney. Il en est de même à la date à laquelle la cour statue.

Il demande à la cour de confirmer le jugement ayant retenu sa proposition telle qu'elle a été initialement formulée c'est à dire en tant que tiers non associé.

La procédure collective ne concerne d'autre part que la SA le Thenney, personne morale disposant d'un patrimoine propre, le haras du Thenney, et d'intérêts distincts à savoir exploiter ce haras et développer une activité bénéficiaire lui permettant d'apurer le passif dont elle est seule débitrice.

Statuer sur l'une ou l'autre des propositions soumises à la cour en vue d'y parvenir ne nécessite pas de savoir qui est propriétaire des 2 219 actions dont la vente à la société Cambon executive est contestée.

L'issue de la procédure collective ne dépendant pas de celle de ce dernier contentieux la SA le Thenney doit être déboutée de sa demande de sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur ce point.

Sur la demande de clôture de la procédure pour apurement du passif :

La SA le Thenney soutient qu'elle dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et les dettes afférents à la procédure et demande à la cour de faire application des dispositions de l'article L631-16 du code de commerce et de mettre en conséquence fin à la procédure collective.

S'il est établi qu'à la veille de l'audience de première instance le 6 décembre 2016 le compte ouvert auprès du crédit du nord au nom de la SA le Thenney a été crédité, à l'initiative de Mme M. veuve R. et par l'intermédiaire de Ser-Fid, d'une somme de 1 066 245,30 € il n'est pas discuté que ces fonds n'y figurent plus à la date du présent arrêt.

La cour doit se placer à la date à laquelle elle statue pour apprécier si la SA le Thenney a ou non les moyens de désintéresser ses créanciers.

Pour en justifier la SA le Thenney produit la lettre adressée le 11 septembre 2017 'à qui de droit' par la banque genevoise profil de gestion SA, dénommée 'lettre de confort' (pièce n° 73 de l'appelante) dans laquelle ses auteurs écrivent 'nous vous confirmons qu'en cas d'issue favorable de l'appel par la société et à condition qu'à la date de conclusion de l'appel, Mme M. soit directement ou indirectement titulaire de la majorité absolue de le Thenney, notre banque pourra se rendre favorable à l'octroi à Mme M., ou à toute autre personne que celle-ci désignera, d'un financement à hauteur de € 1 300 000- pour l'exécution du plan de redressement présenté par la société. Nous précisons que la présente ne constitue pas et ne pourra être interprétée comme constituant un engagement et/ou une obligation de la soussignée ou de sociétés liées à celle-ci de verser et/ou d'octroyer par ailleurs un financement à Mme M. et/ou à le Thenney et/ou à des tiers liés à ceux-ci.'

L'appelante ne justifie par la production d'aucune pièce probante qu'à ce jour elle détient effectivement la somme nécessaire au désintéressement de tous ses créanciers.

Les termes dépourvus d'ambiguïté du courrier précédemment rappelé prouvent qu'elle ne bénéficie de la part de la banque qui en est l'auteur, d'aucun engagement ferme et définitif de lui verser ces fonds par l'intermédiaire de Mme M. veuve R..

Par conséquent, à la date à laquelle la cour statue, la SA le Thenney ne dispose pas de la somme nécessaire au désintéressement des créanciers.

Ce seul constat suffit pour écarter l'application des dispositions de l'article L. 631-16 du code de commerce et dispense la cour de l'examen des moyens développés de part et d'autre sur la recevabilité et le bien-fondé de cette demande.

Il ôte également toute portée aux dernières affirmations de la SA le Thenney qui fait valoir pour la première fois devant la cour que l'apport litigieux 'avait vocation à terme à permettre une reconstitution des capitaux propres de la société le Thenney au travers notamment d'une incorporation des comptes courants d'associé au capital' et 'que l'apport de Mme Elisa R. n'a pas vocation à être remboursé puisqu'il sera procédé à une opération de reconstitution des capitaux propres via un coût d'accordéon et une augmentation de capital par incorporation du compte courant d'associé, Mme R. s'engageant à souscrire à l'augmentation de capital à venir de la société le Thenney pour un montant allant jusqu'à 1 250 000 € à condition que les cessions d'action contestées soient annulées' (pages 36 et 37 de ses conclusions du 12 octobre 2017).

Le jugement du 21 décembre 2016, objet de l'appel enrôlé sous le numéro RG 16/04823, doit donc être confirmé en ce qu'il a 'rejeté ... la demande de désintéressement des créanciers'.

Sur la recevabilité de l'offre de plan présentée par M. S. :

Le projet de plan de redressement déposé le 25 novembre 2016 par M. S. repose sur le constat de :

- l'insuffisance des capitaux propres de la SA le Thenney au regard des prescriptions légales, ceux-ci étant négatifs pour un montant de 1 168 713 € au 31 décembre 2015 alors que leur insuffisance était déjà constatée dès la clôture des comptes de l'exercice 2006,

- l'incapacité des actionnaires de la société à reconstituer eux même les capitaux propres, l'actionnaire alors majoritaire, Hyppokrene AG, faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire,

- la nécessité de l'arrivée d'un nouvel actionnaire au sein de la société.

Ce projet prévoit :

- une reconstitution des capitaux propres et un assainissement du bilan via une augmentation de capital d'un montant de 1 200 000 € , reconstitution à réaliser en deux temps selon le procédé dit 'du coup d'accordéon', le capital social étant réduit à zéro afin d'apurer une partie des pertes avant d'être à nouveau augmenté à hauteur de 1 200 000 € afin d'apporter de nouveaux fonds propres à la société, cette augmentation étant réservée et suivie d'une nouvelle réduction à hauteur de 1 163 000 € afin de ramener les capitaux propres au niveau imposé par les textes,

- un apurement intégral et immédiat du passif, les créances fournisseurs étant majorées de 4 % afin de rémunérer leur immobilisation pendant la période d'observation,

- un investissement supplémentaire à hauteur de 2.000 000 € par voie d'apport en compte courant d'actionnaire bloqué,

- un maintien de la totalité des emplois.

En garantie de ses engagements M. S. a remis à l'administrateur judiciaire un chèque de banque de 1 200 000 € et un chèque de banque de 500 000 € représentant la première annuité de l'investissement supplémentaire.

Pour conclure à l'irrecevabilité de ce plan la SA le Thenney soutient qu'en application des dispositions de l'article L. 631-13 du code de commerce les tiers ne seraient admis à soumettre à l'administrateur que des offres tendant au maintien de l'activité de l'entreprise par une cession totale ou partielle de celle-ci, et qu'à l'exception des créanciers, membres d'un comité, seul le débiteur serait habilité à présenter un plan de redressement par continuation de l'activité et apurement du passif, celui-ci pouvant éventuellement s'appuyer sur l'entrée d'un tiers au capital si le débiteur est une personne morale.

Mais si le texte précité autorise un tiers à présenter une offre de cession totale ou partielle il ne peut en être déduit, sauf à y ajouter, qu'il interdit par conséquent à ce tiers de faire toute autre proposition.

Or la jurisprudence admet que l'intervention d'un tiers puisse revêtir une autre forme qu'une offre de cession à savoir un apport de fonds extérieur en capital permettant l'exécution d'un plan de redressement, dénommé 'plan de continuation par reprise interne'.

L'offre faite par M.S. constituant précisément un plan de continuation par reprise interne est donc recevable.

Sur la violation alléguée des textes applicables lors de l'adoption du projet de plan de M.S. :

En adoptant le plan proposé par M.S. le tribunal de commerce de Lisieux a :

- dit que la reconstitution des capitaux propres sera réalisée en deux temps, le capital social devant être réduit à zéro afin d'apurer une partie des pertes avant d'être augmenté afin d'apporter de nouveaux fonds propres à la société, cette augmentation de capital d'un montant de 1 200 000 € sera réservée et suivie d'une nouvelle réduction du capital à hauteur de 1 163 000 € afin de ramener les capitaux propres au niveau imposé par les textes étant précisé qu'à l'issue le capital social sera de 37 000 €, le report à nouveau négatif de 5 713 € et les capitaux propres de 31 287€,

- maintenu la SELARL FHB prise en la personne de Mme Cécile D. en qualité d'administrateur judiciaire avec pour mission d'effectuer tous les actes permettant la mise en place du plan, à savoir la reconstitution des capitaux propres de la société le Thenney en convoquant les assemblées générales appelées à reconstituer les capitaux propres en application de l'article L 626-16 et R 631-34 du code de commerce via une augmentation de capital réservée à M.David S., en demandant également la nomination d'un mandataire chargé de voter, en lieu et place des actionnaires, la reconstitution des capitaux propres en application de l'article L. 631-9-1 du code de commerce,

- modifié la mission de l'administrateur en lui conférant une mission d'administration jusqu'au prochain jugement constatant la réalisation du plan.

La SA le Thenney soutient qu'en statuant dans ces termes le premier juge a violé les dispositions des articles L. 631-9-1 et L. 631-19 I, , alinéas 2 et 3 prévoyant une consultation préalable obligatoire des associés et actionnaires lorsqu'une ou plusieurs personnes autres que les associés ou actionnaires s'engagent à exécuter le plan de redressement sous la condition d'une participation au capital de la société à l'égard de laquelle la procédure est ouverte.

Mais si l'article L. 623-3 du code de commerce dispose que les associés doivent se prononcer sur toute modification du capital social de la société débitrice les dispositions de l'article L. 626-16 dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 applicable au redressement judiciaire en vertu de l'article L. 631-19,alinéa 1er du même code prévoient qu' 'en cas de nécessité le jugement qui arrête le plan, donne mandat à l'administrateur de convoquer, dans les conditions fixées par décret en conseil d'état, l'assemblée compétente pour mettre en oeuvre les modifications prévues par le plan'.

Ce texte étant un texte spécial au même titre que ceux invoqués par l'appelante celle-ci ne peut utilement invoquer le principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale pour faire prévaloir les textes dont elle invoque la violation, sur l'article L. 626-16.

Ce dernier texte permettant la convocation par l'administrateur judiciaire de l'assemblée appelée à se prononcer sur la modification du capital après l'adoption du plan, sa mise en oeuvre autorise nécessairement la juridiction qui l'applique, à écarter ceux invoqués par l'appelante qui prévoient la convocation de l'assemblée générale préalablement à l'adoption du plan.

Il ne peut dès lors être reproché au premier juge d'avoir violé les dispositions des articles L. 631-9-1 et L. 631-19 I, alinéas 2 et 3 du code de commerce en faisant application de l'article L. 626-16 du même code.

La SA le Thenney reproche ensuite au tribunal de commerce de Lisieux d'avoir fait une mauvaise application des dispositions de l'article L. 631-9-1 du code de commerce en rendant une décision aboutissant à l'éviction des actionnaires au travers du 'coup d'accordéon' qu'elle autorise.

Aux termes de ce texte 'Si les capitaux n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3, l'administrateur a qualité pour demander la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter sur la reconstitution du capital, à hauteur du minimum prévu au même article, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à respecter le plan'.

En l'espèce il est constant que les capitaux n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3 du code de commerce.

Il est également établi que les capitaux propres de la SA le Thenney sont négatifs depuis 11 ans, que durant ces onze années les actionnaires de la SA le Thenney n'ont pas entendu procéder à la reconstitution de ces capitaux comme les textes applicables leur en faisaient pourtant l'obligation.

Il ressort aussi des précédents développements et des pièces produites qu'à la date du présent arrêt les actionnaires et les consorts R. en particulier ne disposent pas des fonds nécessaires à cette reconstitution.

Il est tout aussi constant, et les écritures de l'appelante en témoignent, que les consorts R. actionnaires s'opposent à la reconstitution du capital telle qu'elle est proposée par M. S. dans son projet de plan qui prévoit une modification du capital en sa faveur.

Les conditions posées par l'article L. 631-9-1 précité apparaissent dès lors remplis.

Contrairement à ce que soutient l'appelante rien dans ce texte n'interdit la mise en oeuvre du procédé dit 'du coup d'accordéon' dans le cadre du mécanisme qu'il prévoit.

De même rien dans ce texte n'en réserve l'application au cas où le dirigeant envisagerait volontairement l'intervention d'un tiers dans le redressement de l'entreprise.

L'article L. 631-9-1 du code de commerce vise au contraire à permettre une reprise interne de la société débitrice par un tiers apporteur des fonds finançant la reconstitution des capitaux propres malgré la présence d'actionnaires opposants.

L'appelante ne dit pas autre chose lorsqu'elle soutient elle-même en page 27 de ses conclusions du 12 octobre 2017 'que l'entrée d'un tiers dans le capital social par le biais d'une reprise interne n'est possible que dans l'hypothèse d'une défaillance des actionnaires eux même' et que 'le dispositif institué par les textes susvisés suppose que les actionnaires de la société débitrice ne puissent pas reconstituer le capital social par leurs propres moyens'.

Tel est bien le cas en l'espèce.

Par conséquent la décision rendue ne viole pas les conditions d'application des textes qui la fondent.

Sur le mérite du plan de redressement proposé par la SA le Thenney et du plan de reprise interne proposé par M. S. :

L'offre faite par M. S. n'étant pas un plan de cession mais un plan de continuation de l'activité par reprise interne les dispositions de l'article L. 631-22 donnant priorité à l'examen du plan de redressement présenté par le débiteur par rapport à une offre de cession n'ont pas vocation à s'appliquer.

Les deux plans doivent donc être examinés concurremment.

Le projet de plan élaboré par la SA le Thenney prévoit l'apurement du passif d'un montant de 1 035 373,23 € après prise en compte de l'abandon par le trésor public de sa créance provisionnelle sur une durée de 9 années selon les modalités suivantes :

- règlement à l'arrêté du plan de la créance du CGEA et des créances inférieures à 500 €,

- règlement au fur et à mesure de leur exécution et de leur exigibilité des sommes dues en exécution des contrats de prêt et du contrat global de trésorerie contractés auprès du crédit agricole,

- règlement pour les autres créanciers privilégiés et chirographaires selon les modalités suivantes :

. Option 1: paiement de la créance définitivement admise à hauteur de 40 % suivant un premier dividende versé à l'adoption du plan de redressement au taux de 20 % et un second dividende à la date anniversaire du plan au taux de 20 %,

. Option 2: paiement de la créance définitivement admise à hauteur de 100 % en 9 annuités à compter de la première date anniversaire du plan moyennant 9 dividendes annuels et successifs au taux de 5 % la 1ère année, 10 % les 2ème et 3ème années, 12,5 % de la 4ème à la 9ème année,

. En l'absence de réponse dans le délai de 30 jours suivant la circularisation du plan tout créancier sera considéré comme acceptant l'option 1.

Ces propositions d'apurement du passif qui n'ont été refusées par aucun créancier, font peser sur la SA le Thenney une charge de remboursement annuelle compatible avec sa capacité de remboursement telle qu'elle ressortait du prévisionnel transmis le 11 avril 2016 par le CER, établi pour les exercices 2016 à 2018 et visées par l'administrateur judiciaire dans le rapport constituant la pièce n°10 de l'appelante.

Ce même rapport atteste du redressement de la SA le Thenney au cours de la période d'observation. Son chiffre d'affaires en 2015 a augmenté de 40 % par rapport à celui de l'exercice précédent. Les chiffres de l'exercice 2016 et ceux des premiers mois 2017 confirment une stabilisation de sa situation.

L'étude prévisionnelle sur trois ans établie par CER France le 8 février 2017 (pièce n° 70 de l'appelante) fait ressortir un excédent brut d'exploitation devant a priori permettre à la SA le Thenney de faire face à ses engagements, le document le plus récent établi le 28 septembre 2017 (pièce 91 de l'appelante) prévoyant un résultat d'exploitation de 146 000 € au 31 décembre 2017.

Mais le seul constat de l'amélioration des résultats de l'entreprise ne suffit pas et doit se doubler de celui de la capacité de ses dirigeants à la gérer au mieux de ses intérêts de telle sorte qu'ils en assurent la pérennité et lui permettent de faire face à ses engagements.

En l'espèce non seulement la SA le Thenney ne rapporte pas cette preuve mais il ressort des pièces produites que c'est la carence de son dirigeant dans la gestion de l'entreprise et de ses actionnaires dans la mise en oeuvre des mesures nécessaires qui en a menacé la pérennité.

La procédure collective a en effet été ouverte le 17 décembre 2014 sur l'assignation d'un créancier, la MSA côtes normandes, qui faisait état d'une créance de 433 000 € correspondant à des contraintes impayées dont la plus ancienne datait du 27 février 2012.

Elle a permis de constater que les capitaux propres de l'entreprise étaient négatifs depuis l'exercice 2006 sans que les actionnaires ne procèdent à leur reconstitution alors qu'ils en avaient l'obligation.

Elle a également révélé l'existence de comptes courants débiteurs, de frais de pension non réglés par les associés et une société EDY détenue par M.Giulio R. et la perception par l'une des associés de fonds devant revenir à la société.

Dans son rapport du 2 décembre 2016 déposé en prévision de l'audience du 7 décembre 2016 l'administrateur judiciaire rappelait ainsi qu'au 31 décembre 2015 le compte courant de Mme M. veuve R., administrateur, était débiteur de 361 401,91 € correspondant pour 71 461,92 € à des gains de course revenant à la SA le Thenney et encaissés directement par Mme R. qui ne les a reversés qu'avec difficulté en mars 2016, 6 800 € correspondant à un avantage en nature de l'année 2015 pour le manoir appartenant à la SA le Thenney et 281 139,99 € correspondant au solde de la cession de créance de 749 341,72 € conclue le 24 novembre 2014 et portant sur une créance de la société Edy.

Mme R. qui n'a pas respecté les échéances du protocole de remboursement de cette dernière somme validé par le juge commissaire le 14 octobre 2015, n'a finalement réglé la somme due le 15 juin 2016 que sous la pression exercée par l'administrateur judiciaire.

Les fonds versés à cette date ont également permis de régler le solde débiteur à hauteur de 29 292,08 € du compte courant de M.Giulio R. ainsi qu'une nouvelle dette de la société Edy appartenant à ce dernier d'un montant de 86 283,50 € correspondant à des pensions de chevaux non réglées sur la période du 1er janvier 2015 au 30 avril 2016.

Au 2 décembre 2016 l'administrateur judiciaire mentionnait à nouveau l'existence d'une nouvelle dette de la société Edy pour 58 347 € et de Mme R. pour 12 642,80 € au titre des gains de course, dettes dont il poursuivait encore le règlement au premier trimestre de l'année 2017.

Le même administrateur judiciaire indique également sans être démenti que M.Giulio R., dirigeant de droit de la SA le Thenney, s'est révélé totalement absent durant la procédure de redressement judiciaire, ce que l'intéressé reconnaît pour partie en précisant avoir été hospitalisé en Italie pour plusieurs mois à compter du mois de septembre 2016.

Il ressort en outre des pièces produites que l'artisan de l'amélioration constatée de la situation de la débitrice n'est pas le dirigeant de droit de la SA le Thenney mais la SARL European bloodstock management (ci-après EBM) qui s'est vue confier la gestion opérationnelle du haras depuis le 1er janvier 2015 au terme d'un 'mandat de management de transition' renouvelé avec l'accord du juge commissaire jusqu'au 31 décembre 2018.

Or cette amélioration reste fragile comme le rappelle le CER dans l'étude prévisionnelle précitée qui souligne que sa 'simulation reste possible avec la poursuite du plan d'économie et une rigueur de gestion c'est à dire un encaissement régulier des factures de pensions des clients du haras'.

Le non-paiement persistant par les actionnaires dont le dirigeant de droit ,des sommes dont ils sont redevables en tant que clients envers la SA le Thenney aux échéances fixées et ce malgré le cadre contraignant de la procédure collective ne peut que faire douter de la rigueur de gestion attendue de M.R. tant vis à vis de lui-même que de sa mère, alors que cette rigueur conditionne la réussite du projet de plan de redressement de la SA le Thenney et la pérennité de l'entreprise pendant les 9 ans à venir.

Le rapport de l'administrateur judiciaire du 2 décembre 2016 en fournit un exemple particulièrement éloquent. Dans ce rapport Mme D. explique ainsi que la trésorerie était, à cette date, positive de plus de 34 000 € car elle avait refusé d'acquérir un yearling pour la somme de 34 367 € en septembre 2016. Cette acquisition était un souhait de Mme R. 'qui aurait amené (l'entreprise) à être en impasse de trésorerie'.

La carence du dirigeant de droit et des actionnaires qui se traduit par une absence persistante de prise en compte des seuls intérêts de l'entreprise au profit de leurs intérêts personnels, a compromis la pérennité de l'exploitation par le passé et l'hypothèque pour l'avenir en ce qu'elle n'offre aucune garantie d'une gestion rigoureuse seule à même d'assurer la bonne exécution du plan de redressement proposé sur une durée de 9 ans par la SA le Thenney.

Si l'administrateur judiciaire demande que pour le cas où la cour envisagerait d'adopter ce plan il soit fait application des dispositions de l'article L 631-19-1, alinéa 1er du code de commerce qui permettent de subordonner son adoption au remplacement d'un ou plusieurs dirigeants de l'entreprise lorsque son redressement l'exige ces dispositions ne peuvent être mises en oeuvre que sur la demande du ministère public non formulée en l'espèce.

A l'inverse le plan de reprise interne proposé par M. S. permet :

- un maintien de l'ensemble des emplois du haras dont les salariés se sont majoritairement prononcés en faveur de ce plan,

- un redressement dans de brefs délais,

- un paiement intégral et immédiat de l'ensemble des créances déclarées à la procédure avec une majoration forfaitaire de 4 % des créances fournisseurs,

- un apport de fonds au haras d'un montant de 3 200 000 € permettant la reconstitution des capitaux propres, l'assainissement du bilan, le financement des investissements et de l'activité nécessaires à la pérennité du haras.

Seul le plan présenté par M. S. répond aux objectifs assignés par l'article L. 631-1, alinéa 3 à la procédure de redressement judiciaire.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lisieux du 21 décembre 2016, objet de l'appel enrôlé sous le numéro RG 16/04823, dans ses dispositions rejetant 'le projet de plan de redressement par voie d'apurement du passif de la SA le Thenney' et le jugement du 21 décembre 2016, objet de l'appel enrôlé sous le numéro RG 16/04824, adoptant le plan de redressement par voie de reprise interne proposé par M. S. dans toutes ses dispositions.

Partie perdante la SA le Thenney doit être déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamnée aux dépens de la procédure d'appel qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 16/04823 et RG 16/04824,

Déboute la SA le Thenney de sa demande de sursis à statuer,

Confirme dans toutes leurs dispositions le jugement du tribunal de commerce de Lisieux du 21 décembre 2016, objet de l'appel enrôlé sous le numéro RG 16/04823, et le jugement du tribunal de commerce de Lisieux du 21 décembre 2016, objet de l'appel enrôlé sous le numéro RG 16/04824,

Condamne la SA le Thenney aux dépens de la procédure d'appel qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective,

Déboute la SA le Thenney de sa demande au titre des frais irrépétibles.