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Décisions

Cass. 1re civ., 24 mai 2018, n° 16-26.012

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP François-Henri Briard, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Poitiers, du 24 juin 2016

24 juin 2016

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 24 juin 2016), que M. et Mme X... ont assigné, en Californie où ils résident, la société Fountaine Pajot à laquelle ils avaient acheté un catamaran qui présentait des avaries ; que le jugement du 26 février 2003 condamnant la société Fountaine Pajot à réparer leur préjudice n'a pas reçu l'exequatur en France en raison des dommages-intérêts punitifs prononcés ; qu'après avoir obtenu, le 11 mai 2012, du juge californien un jugement nunc pro tunc répartissant les condamnations prononcées selon les différents postes de préjudice, M. et Mme X... ont demandé l'exequatur partiel du jugement du 23 février 2003 ainsi présenté, à l'exception des dommages-intérêts punitifs ; que la société Allianz IARD, assureur de la société Fountaine Pajot, est intervenue à titre accessoire à l'instance à l'appui des prétentions de cette dernière ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'intervention volontaire de la société Allianz IARD, alors, selon le moyen :

1°/ que l'action en exequatur qui tend à permettre l'exécution forcée d'un jugement est une action attitrée qui est exercée uniquement contre une personne qui était partie à l'instance étrangère et qui a été condamnée par le jugement étranger, ce qui interdit l'appel d'un tiers, non partie à l'instance étrangère, en garantie de la condamnation prononcée à l'étranger pour le cas où l'exequatur serait accordé ou son intervention volontaire au cours du procès aux fins d'exequatur ; que M. et Mme X... faisaient valoir que la circonstance que la société Fountaine Pajot ait fondé sa demande de condamnation de la société Allianz IARD sur le jugement californien n'autorisait pas cette dernière à s'opposer à l'exequatur dudit jugement, que la condamnation de la société Allianz IARD par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 décembre 2011 n'était pas subordonnée à l'exequatur de la décision de justice américaine et que la société Allianz IARD n'avait ainsi aucun intérêt légitime à intervenir dans l'instance aux fins d'exequatur ; qu'en se bornant à affirmer qu'il résultait de la condamnation définitive par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 13 décembre 2011, que c'était seulement dans le cas où l'exequatur devrait être prononcée et la société Fountaine Pajot condamnée à indemniser M. et Mme X... que la société Allianz IARD devrait prendre en charge une partie de cette condamnation, sans expliquer, comme elle y était invitée, les raisons pour lesquelles la condamnation de la société Allianz IARD était subordonnée à l'exequatur de la décision américaine nullement prévue par le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 décembre 2011, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'intérêt de la société Allianz IARD à intervenir dans l'instance d'exequatur, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 330 du code de procédure civile ;

2°/ que M. et Mme X... faisaient valoir que la société Allianz IARD n'avait aucun intérêt à intervenir dans l'instance aux fins d'exequatur dès lors qu'elle n'avait plus aucune prétention à faire valoir sur « le fond du droit » qui avait été définitivement jugé à son égard par la cour d'appel de Paris dans sa décision du 13 décembre 2011 et que sa condamnation définitive n'était nullement subordonnée à l'exequatur de la décision de justice américaine ; qu'en se fondant, pour retenir que M. et Mme X... ne pouvaient invoquer l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la société Allianz IARD à l'instance aux fins d'exequatur partiel, sur la circonstance que cette intervention procédait des mêmes principes que ceux qui avaient permis de recevoir leur intervention volontaire au regard des intérêts croisés des trois parties à la solution du litige, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, totalement impropres à caractériser l'existence d'un intérêt légitime de la société Allianz IARD à intervenir dans l'instance aux fins d'exequatur, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 330 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'intervention à l'instance de la société Allianz IARD reposait sur sa condamnation par la cour d'appel de Paris à prendre en charge, en cas de prononcé de l'exequatur, une partie de l'indemnité due par la société Fountaine Pajot en réparation des préjudices subis par M. et Mme X..., la cour d'appel a, par ces seuls motifs, caractérisé l'intérêt à agir de l'assureur et, ainsi, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, en raison de l'autorité de la chose jugée, leur demande à l'encontre de la société Fountaine Pajot tendant à voir déclarer exécutoire en France le jugement du 26 février 2003 rendu par la Superior Court of California, county of Alameda, sauf en ses dispositions relatives aux dommages-intérêts punitifs, alors, selon le moyen :

1°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et ne peut être opposée que pour autant qu'il y a identité entre l'objet de la demande sur laquelle il a été précédemment statué et l'objet de la demande dont le juge est saisi ; que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Poitiers le 26 février 2009 a refusé la demande d'exequatur en se fondant exclusivement sur l'attribution des dommages intérêts punitifs disproportionnés jugée contraire à l'ordre public international de fond ; qu'en retenant que le jugement californien « nunc pro tunc » du 11 mai 2012 n'avait pas pour effet de créer une nouvelle décision permettant de faire échec à la chose définitivement jugée sur la demande d'exequatur du même jugement formée par l'assignation initiale de M. et Mme X... le 3 octobre 2003 et qui avait abouti à l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 26 février 2009 refusant l'exequatur, cependant que la nouvelle demande d'exequatur partiel de M. et Mme X..., objet de l'assignation du 1er octobre 2012, concernait les seules condamnations à des dommages-intérêts compensatoires et n'avait pas été tranchée au cours de l'instance ayant abouti à l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 26 février 2009, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 480 du code de procédure civile ;

2°/ qu'un jugement étranger peut faire l'objet d'une demande d'exequatur partiel dès lors que les différents chefs de la décision sont séparables ; que constitue une partie autonome d'une décision les différents chefs de condamnation ; qu'en l'espèce, M. et Mme X..., dans leur assignation du 1er octobre 2012, demandaient l'exequatur partiel du jugement californien, portant uniquement sur les chefs de condamnation relatifs aux dommages-intérêts compensatoires ainsi qu'aux frais de la procédure ; qu'en rejetant cette demande d'exequatur partiel du jugement californien, au motif que le refus de la demande d'exequatur par l'arrêt du 26 février 2009 fondé exclusivement sur l'attribution des dommages-intérêts punitifs disproportionnés jugée contraire à l'ordre public international de fond ne pouvait être considéré comme divisible au regard des règles gouvernant l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 3 du code civil, ensemble les articles 480 et 509 du code de procédure civile et les principes de droit international privé ;

Mais attendu que l'arrêt relève que le jugement californien du 26 février 2003 n'avait été ni rectifié ni interprété, mais seulement présenté différemment par le jugement du 11 mai 2012, lequel n'avait ni utilité ni nouveauté quant à l'information du juge de l'exequatur sur la répartition des chefs de condamnation et retient que la demande d'exequatur partiel de ce jugement oppose, pour un objet et une cause identiques, les mêmes parties que celle de l'instance ayant, par une décision irrévocable, abouti au refus d'exequatur du jugement dans sa rédaction initiale, peu important l'intervention volontaire d'un tiers ; que de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que la demande, qui se heurtait à l'autorité de la chose jugée, n'était pas recevable ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la société Fountaine Pajot la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors, selon le moyen, que l'arrêt attaqué a condamné M. et Mme X... à payer à la société Fountaine Pajot la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, en ce qu'ils auraient soutenu des moyens peu sérieux fondés sur un artifice procédural tiré de la procédure américaine du jugement « nunc pro tunc » et destiné à contourner les conséquences de l'autorité de la chose jugée ; qu'en statuant ainsi, cependant que la procédure américaine du jugement « nunc pro tunc » résultait du droit légitime de M. et Mme X... d'obtenir l'exécution d'une décision de justice étrangère rendue à leur profit et qu'ainsi leurs contestations étaient parfaitement fondées, la cour d'appel n'a caractérisé aucun abus de M. et Mme X... de leur droit fondamental de faire valoir leurs prétentions en justice et a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé le caractère peu sérieux des moyens soutenus par M. et Mme X... fondés sur un artifice procédural du droit californien du jugement nunc pro tunc destiné à contourner les conséquences de l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel a, par ces énonciations, caractérisé l'abus du droit d'agir ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.