CA Versailles, 13e ch., 12 janvier 2012, n° 11/05495
VERSAILLES
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Besse
Conseillers :
M. Testut, Mme Vaissette
A la suite du divorce des époux C.-C., l'intégralité de la propriété d'une maison d'habitation située à Nargis (Loiret) a été attribuée à Mme Chantal C. par acte notarié du 13 avril 2007.
Par acte authentique du 18 novembre 2008, publié à la Conservation des hypothèques le 16 janvier 2009, Mme C. a fait donation à son fils M. Peter C. de la propriété des 30/230èmes de cette maison.
Par acte notarié du 23 décembre 2008, Mme C., qui exerçait la profession de restauratrice, a déclaré insaisissables ses droits (200/230è) dans la maison de Nargis et cette déclaration a été publiée au bureau des hypothèques de Montargis le 13 février 2009.
Sur déclaration de sa cessation des paiements effectuée le 28 mai 2009, Mme Chantal C. a été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Versailles du 4 juin 2009 qui a provisoirement fixé la de la cessation des paiements au 15 octobre 2008 et a désigné Me R. mandataire judiciaire.
La procédure a été convertie en liquidation judiciaire par décision du 4 août 2009 désignant Me R. liquidateur.
Par actes des 16 et 21 septembre 2010, Me R., ès qualités, a assigné Mme C. et M. Peter C. pour voir annuler la déclaration d'insaisissabilité, voir juger qu'elle ne pourra produire aucun effet vis à vis de la liquidation judiciaire et voir annuler la donation du 18 novembre 2008.
Par jugement du 24 juin 2011, le tribunal de commerce de Versailles a :
- déclaré nul l'acte notarié d'insaisissabilité reçu par Me M. notaire à Paris le 23 décembre 2008 et publié le 13 février 2009, parce qu'effectué en période suspecte,
- dit que la déclaration d'insaisissabilité ne pourra produire aucun effet vis à vis de la procédure collective de Mme C. sur l'immeuble de Nargis,
- déclaré nulle la donation faite par Mme C. au profit de son fils Peter C. suivant acte reçu par Me M. le 18 novembre 2008 et publié le 16 janvier 2009, effectuée en période suspecte,
- ordonné la publication du jugement au bureau des hypothèques de Montargis,
- condamné Mme C. et M. C. à payer à Me R. ès qualités la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme C. et M. C. ont relevé appel de ce jugement le 12 juillet 2011 et, aux termes de leurs dernières conclusions du 9 novembre 2011, demandent à la cour de:
- déclarer leur appel recevable,
- infirmer le jugement,
- déclarer Me R. ès qualités irrecevable et mal fondé en ses demandes,
- donner acte à M. C. de ce qu'il fait état de sa nouvelle adresse et débouter en conséquence Me R. de son moyen d'irrecevabilité de l'appel,
- juger que la déclaration d'insaisissabilité est parfaitement valable,
- en conséquence débouter Me R. de toutes ses demandes,
- le condamner ès qualités à leur payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir, en premier lieu, que le liquidateur n'a pas d'intérêt à soulever l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité à la procédure collective en présence de créanciers antérieurs et en l'absence de litige entre les créanciers de liquidation judiciaire et le débiteur et se fondent pour le soutenir sur l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 février 2009 (pourvoi n° 08-10303).
Ils précisent que cette fin de non-recevoir soulevée pour la première fois en appel est recevable en application de l'article 123 du code de procédure civile et que l'article 564 du même code n'a pas vocation à s'appliquer sur ce point.
S'agissant de la nullité de la déclaration d'insaisissabilité, ils soutiennent que l'article L. 526-2 du code de commerce n'impose à peine de nullité que la forme notariée de l'acte tandis que les formalités de publicité ne sont pas sanctionnées par la nullité. Ils ajoutent qu'il résulte de l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 28 juin 2011 (pourvoi n° 1015482) que seule la date d'ouverture de la procédure collective (et non celle de la cessation des paiements) commande le régime de l'insaisissabilité, de sorte que la déclaration effectuée avant la mise en liquidation judiciaire est opposable à la procédure collective.
Rappelant qu'il n'y a pas de nullité sans texte, ils ajoutent que les dispositions limitatives des articles L. 632-1 et L. 632-2 du code de commerce ne permettent pas d'annuler les déclarations d'insaisissabilité effectuées depuis la cessation des paiements qui ne correspondent à aucun des actes visés.
Quant à la donation, ils prétendent que le bien qui en est l'objet est insaisissable, qu'elle ne peut être remise en cause et que l'article L. 632-1 ne donne qu'une faculté d'annulation au juge qui doit apprécier si l'intention de Mme C. était de soustraire le bien aux poursuites des créanciers, celle-ci soutenant avoir agi en toute bonne foi notamment au vu de la faible quote-part du bien qui a été donnée.
Me R., ès qualités, a conclu en dernier lieu le 28 octobre 2011 pour voir :
- déclarer irrecevables en leur appel les consorts C.-C. pour ne pas avoir donné l'adresse réelle de M. Peter C., la signification du jugement dont appel ayant été faite en application de l'article 659 du code de procédure civile,
- déclarer recevable l'action engagée par Me R. ès qualités sur le fondement des dispositions de l'article L. 641-9 du code de commerce ainsi que sur la jurisprudence relative aux effets réels de la procédure collective,
- déclarer nulle et de nul effet la déclaration d'insaisissabilité conformément à l'article L. 632-1 du code de commerce s'agissant d'un ace à titre gratuit,
- juger que, conformément aux dispositions de l'article L. 526-1 du code de commerce et compte tenu de l'existence de créances antérieures à la déclaration d'insaisissabilité justifiées par les pièces versées aux débats, le liquidateur est bien fondé à appréhender le bien immobilier de Nargis,
- dire que Mme C. est coupable de fraude paulienne tant en ce qui concerne la déclaration d'insaisissabilité que la donation,
- juger en conséquence que tant l'acte d'insaisissabilité que l'acte de donation sont inopposables à Me R. ès qualités,
- juger que l'acte de donation est nul en vertu de l'article L. 632-1 du code de commerce et à titre subsidiaire inopposable à la procédure collective en vertu de l'article 1167 du code civil,
- débouter les appelants de toute leurs demandes et contestations,
- les condamner in solidum à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le liquidateur judiciaire soutient que la fin de non-recevoir que lui opposent les appelants constitue une demande nouvelle, irrecevable selon l'article 564 du code de procédure civile.
Quant à la recevabilité de son action, il estime que tant le dessaisissement du débiteur que l'effet réel de la procédure collective lui donnent la faculté d'appréhender les biens du débiteur, de sorte qu'il justifie de sa qualité pour agir.
Sur le fond, il rappelle que la déclaration d'insaisissabilité a été faite en période suspecte et qu'elle peut être assimilée à un acte à titre gratuit translatif de propriété puisqu'elle rend le bien indisponible et produit ainsi les mêmes effets qu'une mutation à titre gratuit comme une donation, de sorte que l'article L. 632-1, 1° serait applicable.
Il ajoute que la déclaration d'insaisissabilité peut également être assimilée aux mesures conservatoires visées par l'article L. 632-1, 7° puisqu'il s'agit d'une mesure de protection qui protège le débiteur.Faisant valoir que la déclaration d'insaisissabilité ne produit effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent postérieurement à la déclaration, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant, Me R. soutient que le liquidateur judiciaire, investi des droits de la débitrice et bénéficiant de l'effet réel des procédures collectives, peut, en présence de créances antérieures à la déclaration supérieures à 60 000 euros, faire vendre le bien.
Me R. prétend encore que les conditions de l'action paulienne sont réunies et qu'il est recevable à l'exercer dans l'intérêt collectif des créanciers.
Il soutient que Mme C. savait bien avant la déclaration de cessation des paiements que son entreprise périclitait, qu'elle a elle-même reconnu dans la déclaration qu'elle ne pouvait plus faire face à ses paiements au moins depuis le 15 janvier 2009 et qu'elle a donc retardé de manière volontaire le dépôt de bilan afin de tenter de faire échapper à la procédure collective l'immeuble de Nargis en procédant à la déclaration d'insaisissabilité et à la donation ce qui démontrerait une fraude organisée.
Le dossier a été transmis au ministère public qui en a donné visa le 9 novembre 2011 mais n'a pas conclu.
MOTIFS DE LA DÉCISION
-Sur la recevabilité de l'appel
M. Peter C. a communiqué, au sein de ses dernières conclusions, son adresse actuelle, à savoir [...].
Son appel est en conséquence recevable, étant précisé que la recevabilité de l'appel de Mme C. n'était pas contestée.
-Sur la demande d'annulation de la donation du 18 novembre 2008
Le liquidateur se fonde à titre principal sur les dispositions de l'article L. 632-1, 1° du code de commerce.
La date de cessation des paiements a été fixée par le jugement d'ouverture du redressement judiciaire au 15 octobre 2008 et n'a fait l'objet d'aucune contestation, ni remise en cause. Cette date s'impose en conséquence et il est donc acquis que la donation litigieuse a été faite en période suspecte.
Contrairement aux prétentions des appelants, ce simple constat suffit à emporter la nullité de l'acte, l'article L. 632-1, 1° visant un cas de nullité obligatoire sur lequel le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a annulé la donation consentie le 18 novembre 2008.
-Sur la recevabilité des demandes du liquidateur judiciaire à l'encontre de la déclaration d'insaisissabilité
En application de l'article 123 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir soulevée par Mme C. et M. C. peut être opposée pour la première fois en appel et ne constitue pas une demande nouvelle au sens de l'article 564 du même code. Elle est donc recevable et doit être examinée.
L'article L. 526-1 du code de commerce dispose: 'Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ainsi que tout bien foncier bâti ou non bâti qu'elle n'a pas affecté à son usage professionnel. Cette déclaration, publiée au bureau des hypothèques [...] n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant'.
Le liquidateur judiciaire, se prévalant de l'existence de créanciers antérieurs à la publication de la déclaration d'insaisissabilité auxquels elle est inopposable, entend voir juger qu'il est en droit de faire vendre l'immeuble concerné par cette déclaration, et il demande également l'annulation de cette déclaration sur le fondement de l'article L. 632-1 du code de commerce et, subsidiairement, qu'elle soit déclarée inopposable à la liquidation judiciaire sur le fondement de l'action paulienne.
S'agissant de la demande tendant à voir juger la déclaration inopposable à la procédure collective en raison de la présence de créanciers antérieurs, sa recevabilité suppose l'existence d'un litige à l'occasion de la vente du bien qui n'est pas formellement requise en l'espèce mais en vue de laquelle le liquidateur demande une autorisation de principe. Il justifie en conséquence d'un intérêt né et actuel et est recevable en cette demande.
L'action en nullité de la période suspecte est une action attitrée que le liquidateur judiciaire a qualité pour exercer selon l'article L. 632-4 du code de commerce et il a intérêt à l'exercer puisque l'annulation recherchée, si elle était prononcée, aboutirait à priver de tout effet la déclaration d'insaisissabilité à l'égard de tous les créanciers de Mme C. et à lui permettre au liquidateur d'appréhender l'immeuble objet de cette déclaration afin de le faire vendre. Son action est donc recevable sur ce fondement.
S'agissant de l'action paulienne, le liquidateur a qualité pour l'exercer au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers et l'intérêt à agir s'apprécie en considération de l'acte incriminé.
En l'espèce, ont intérêt à voir juger que la déclaration d'insaisissabilité leur est inopposable pour cause de fraude paulienne les créanciers auxquels elle est en principe opposable, à savoir les créanciers titulaires de créances nées à l'occasion de l'activité professionnelle de la débitrice dont la créance est née postérieurement au 13 février 2009, date de publication de l'acte; ils ne constituent en l'espèce qu'une partie des créanciers admis au passif puisque sur un montant total admis de 242 193, 05 euros, le liquidateur évalue le montant des créances antérieures à la publication de la déclaration d'insaisissabilité à une somme 'supérieure à 60 000 euros' et il ressort des déclarations de créance qu'il verse aux débats que des créances antérieures ont effectivement été déclarées à la liquidation judiciaire.
En conséquence, faute de pouvoir prétendre agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers de la liquidation judiciaire, le liquidateur n'est pas recevable à exercer l'action paulienne au nom et dans l'intérêt d'une partie d'entre eux seulement, même significative.
-Sur la demande d'annulation de la déclaration d'insaisissabilité fondée sur l'article L. 632-1 du code de commerce
L'article L. 632-1 du code de commerce prévoit la nullité d'un certain nombre d'actes qu'il énumère lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements.
En l'espèce, la date de cessation des paiements a été fixée par le jugement d'ouverture du redressement judiciaire au 15 octobre 2008 et il est acquis que la déclaration d'insaisissabilité a été f ite après la cessation des paiements le 23 décembre 2008, en période suspecte.
Pour autant, force est de constater que la liste des actes annulables au titre de la période suspecte ne comporte pas mention de la déclaration d'insaisissabilité.
Et, contrairement aux prétentions du liquidateur, cette déclaration ne peut être assimilée à un acte à titre gratuit translatif de propriété immobilière. En effet, la déclaration d'insaisissabilité n'emporte aucun transfert de propriété, son auteur demeurant propriétaire du bien qui en est l'objet.
Elle ne peut davantage être assimilée à une mesure conservatoire visée au 7° de l'article L. 632-1 qui est destinée à garantir les droits d'un créancier sur un bien du débiteur alors que la déclaration d'insaisissabilité constitue un acte ayant pour effet de soustraire l'immeuble qui en est l'objet au gage des créanciers professionnels postérieurs à sa publication.
En conséquence, la nullité de cette déclaration ne peut être prononcée sur le fondement de l'article L. 632-1 du code de commerce et Me R. doit être débouté de sa demande.
-Sur l'autorisation de vente du bien à la requête du liquidateur en présence de créances antérieures
Le liquidateur tire des principes du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire et de l'effet réel de la procédure collective, ainsi que de l'existence de créances antérieures à la publication de la déclaration d'insaisissabilité, la conséquence qu'elle ne peut empêcher la vente du bien et veut y voir une application pure et simple des termes de l'article L. 526-1 du code de commerce.
Mais la demande du liquidateur tendant à l'inopposabilité de la déclaration pour fraude paulienne yant été déclarée irrecevable et celle visant à la voir annuler pour avoir été effectuée en période suspecte ayant été rejetées, cette déclaration souscrite et publiée avant l'ouverture de la procédure collective est opposable à la liquidation judiciaire, en dépit de la règle du dessaisissement, de sorte que le liquidateur ne peut se voir autoriser par le juge-commissaire à vendre l'immeuble objet de la déclaration (Com. 28 juin 2011 n° 1015482).
Me R., ès qualités, doit donc être débouté de sa demande tendant à se voir autoriser à appréhender l'immeuble pour le vendre. Plus précisément en l'espèce, il convient de juger qu'il ne peut appréhender les droits déclarés insaisissables sur l'immeuble (200/230è) .
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare l'appel recevable,
Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré nulle la donation faite par Mme C. au profit de son fils Peter C. portant sur l'immeuble de Nargis suivant acte reçu par Me M. notaire à Paris le 18 novembre 2008, publié au bureau des hypothèques de Montargis le 13 février 2009 volume 2009P n° 587, et en ce qu'il a ordonné la publication du jugement au bureau des hypothèques de Montargis de ce chef,
L'infirme dans ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable la demande du liquidateur judiciaire en inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité fondée sur l'article 1167 du code civil ,
Déclare sa demande en nullité de cette déclaration fondée sur l'article L. 632-1 du code de commerce recevable mais non fondée et la rejette,
Déclare recevable sa demande visant à appréhender les droits de Mme C. déclarés insaisissables dans l'immeuble mais le déboute de cette demande,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette les demandes formées à ce titre,
Condamne Mme C. et M. C. aux dépens qui seront recouvrés par la SCP F. L., avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean BESSE, Président et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.