Cass. com., 1 décembre 2009, n° 08-13.551
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Boullez, SCP Le Bret-Desaché, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Waquet, Farge et Hazan
Met hors de cause sur sa demande relative au cinquième moyen du pourvoi principal la caisse de crédit mutuel de Pontivy ;
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société LP immobilier que sur les pourvois provoqués relevés par la caisse de crédit mutuel de Pontivy et la société Heineken ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que le 8 novembre 2001, la société Marc'h Kentan a vendu un fonds de commerce lui appartenant, moyennant le prix de 600 000 francs (91 469,41 euros) ; que la société LP immobilier (la société LP), agent immobilier, a séquestré le prix de cession et reçu des oppositions au paiement de ce prix de la part, notamment, des bailleurs des locaux, M. et Mme X..., et de la banque Scalbert Dupont, à concurrence de certains montants ; que les 8 et 22 avril 2002, la société LP a procédé à la répartition du prix sur les bases d'un accord amiable passé entre certains créanciers puis versé diverses sommes à la caisse de crédit mutuel de Pontivy (le crédit mutuel), bénéficiaire d'un nantissement sur le fonds de commerce cédé, aux époux X... et à la banque Scalbert Dupont ; que la société LP a retenu à son profit une somme de 1 875,38 euros pour frais de radiation des inscriptions ; que la société Marc'h Kentan a été mise en liquidation judiciaire le 26 juillet 2002, la SCP Le Dortz et Bodelet étant désignée liquidateur ; que le tribunal ayant reporté au 26 janvier 2001 la date de cessation des paiements de la débitrice, le liquidateur a demandé la nullité des paiements faits à la société LP, au crédit mutuel, à la société Heineken venant aux droits de la banque Scalbert Dupont, et à M. et Mme X..., sur le fondement de l'article L. 621 108 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ; que le liquidateur a recherché en outre la responsabilité contractuelle de la société LP ;
Sur le pourvoi formé par la société LP en tant que dirigé contre l'arrêt du 13 février 2007 :
Vu l'article 978, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
Attendu que le mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la société LP ne contient aucun moyen de droit contre l'arrêt du 13 février 2007 ; qu'il s'ensuit que la déchéance du pourvoi est encourue en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt ;
Sur le premier moyen, la première branche du deuxième moyen, le troisième et le quatrième moyens, et la première branche du cinquième moyen du pourvoi formé par la société LP en tant que dirigé contre l'arrêt du 15 janvier 2008, sur le premier moyen du pourvoi provoqué relevé par le crédit mutuel, et sur la première branche du moyen unique du pourvoi provoqué de la société Heineken, réunis :
Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et sur les deuxième et troisième branches du deuxième moyen du pourvoi formé par la société LP en tant que dirigé contre l'arrêt du 15 janvier 2008, le second moyen du pourvoi provoqué relevé par le crédit mutuel, et les deuxième et troisième branches du moyen unique du pourvoi provoqué de la société Heineken, réunis :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt du 15 janvier 2008 d'avoir annulé les paiements provenant de la vente du fonds de commerce de la société Marc'h Kentan effectués au profit du crédit mutuel, de la société Heineken et de la société LP, les 8 et 22 avril 2002, et d'avoir condamné le crédit mutuel à payer au liquidateur la somme de 71 663,26 euros avec intérêts, la société Heineken la somme de 10 487,31 euros avec intérêts, et la société LP la somme de 1 875,38 euros, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge du fond ne peut prononcer, sur le fondement des textes régissant les nullités de la période suspecte, que la nullité d'un paiement ; que le paiement en cause s'entend de l'exécution volontaire de l'obligation, par un débiteur au bénéfice de son créancier, et non du simple versement d'une somme d'argent ; qu'au cas présent, en condamnant la société LP à payer la somme de 1 875,38,16 euros au motif que cette somme lui aurait été "versée", mais sans expliquer en quoi ce "versement » aurait été destiné à éteindre une créance détenue par l'agent immobilier à l'égard du vendeur du fonds de commerce, et donc sans caractériser de paiement, la cour d'appel a violé l'article L. 621 108 du code de commerce, ensemble les articles 1234, 1235 et 1239 du code civil ;
2°/ que l'agent immobilier du vendeur d'un fonds de commerce qui reçoit, de la part de ce dernier, des fonds devant être remis au notaire chargé de procéder à la radiation des inscriptions ne reçoit pas paiement d'une créance dont il aurait été titulaire à l'égard du vendeur ; qu'il ne fait qu'agir comme un mandataire chargé par le vendeur d'effectuer, en son nom et pour son compte, le paiement des frais dus au notaire instrumentaire ; qu'en assimilant le "versement", par la société venderesse du fonds de commerce à l'agent immobilier, des sommes destinées à provisionner le notaire instrumentaire à un paiement qui aurait été effectué par ladite société venderesse audit agent, cependant que le second n'était que le mandataire du premier, la cour d'appel a violé les articles 1234, 1235, 1239, 1984 du code civil ;
3°/ que comme le faisait valoir le crédit mutuel dans ses conclusions d'appel signifiées le 4 juillet 2007, la nullité prévue par l'article L. 621 108 du code de commerce ne saurait frapper les paiements effectués par un tiers et notamment un séquestre ; qu'il résulte de l'arrêt que les sommes reçues du séquestre par le crédit mutuel le 8 avril 2002 provenaient du prix de cession du fonds de commerce appartenant à la société Marc'h Kentan et avaient pour contrepartie la mainlevée du nantissement inscrit sur le fonds de commerce ; qu'en annulant ainsi un paiement provenant des fonds versés par l'acquéreur du fonds et réalisé en contrepartie de la purge, fût elle amiable, du nantissement inscrit le 8 janvier 1999 par la caisse exposante sur le bien acquis (nantissement dont l'annulation non demandée n'a pas été prononcée), la cour d'appel a violé l'article L. 621 108 du code de commerce ;
4°/ que comme le faisait valoir le crédit mutuel dans ses conclusions d'appel signifiées le 4 juillet 2007, l'acceptation par le créancier nanti sur un fonds de commerce du prix de cession dudit fonds de commerce, cession notifiée par l'acquéreur, dans les termes de l'article R. 143 1 du code de commerce, lui donne droit d'obtenir paiement de sa créance sur le prix de cession dans les termes de l'offre émise par l'acquéreur ; que la nullité prévue par l'article L. 621 108 du code de commerce ne saurait s'appliquer au paiement que le créancier est tenu de recevoir ; qu'en annulant le paiement intervenu le 8 avril 2002 bien que la banque ait été tenue de recevoir les sommes qui lui étaient versées au titre de la purge de son nantissement sous peine de voir cette sûreté anéantie, la cour d'appel a violé l'article L. 621 108 du code de commerce ;
5°/ que seuls les paiements volontaires sont susceptibles d'être annulés dans les conditions de l'article L. 621 108 du code de commerce ; qu'il s'ensuit qu'en cas d'opposition du créancier du vendeur de fonds de commerce au paiement du prix, les dispositions précitées sont inapplicables au paiement forcé qui lui aura été consenti, à l'occasion de la distribution du prix de vente du fonds de commerce et de sa répartition entre les différents créanciers du débiteur en procédure collective ; qu'en annulant les paiements provenant de la vente du fonds de commerce au profit de la société Heineken, bien qu'elle ait formé opposition au paiement du prix de vente du fonds de commerce entre les mains de la société LP qui en était séquestre, la cour d'appel a violé l'ancien article L. 621 108 du code de commerce, ensemble l'article L. 141 14 du code de commerce ;
6°/ que la nullité facultative prévue par l'article L. 621 108 du code de commerce ne s'applique qu'aux paiements effectués à partir du patrimoine du débiteur, à l'exclusion de ceux effectués par un tiers ; qu'il s'ensuit qu'en cas d'opposition du créancier du vendeur de fonds de commerce au paiement du prix, les dispositions précitées sont inapplicables au paiement forcé qui lui aura été consenti par le tiers intermédiaire, à l'occasion de la distribution du prix de vente du fonds de commerce et de sa répartition entre les différents créanciers du débiteur en procédure collective, dès lors que l'opposition du créancier rend indisponible la créance de prix qui n'est jamais entrée dans le patrimoine du débiteur en procédure collective ; qu'en annulant les paiements provenant de la vente du fonds de commerce au profit de la société Heineken, bien qu'elle ait formé opposition au paiement du prix de vente du fonds de commerce entre les mains de la société LP qui en était séquestre, la cour d'appel a violé l'article L. 621 108 du code de commerce, ensemble l'article L. 141 14 du code de commerce ;
Mais attendu en premier lieu qu'ayant relevé que les fonds correspondant aux frais de radiation des inscriptions étaient destinés à la société LP qui avait reçu, aux termes de l'acte de cession, tous pouvoirs d'effectuer les formalités relatives à la vente et notamment celles prescrites par les articles L. 143 1 et suivants du code de commerce pour la purge des inscriptions du privilège de vendeur et nantissements, l'arrêt retient que la société LP, qui n'a jamais cru bon de devoir procéder aux radiations, a perçu les fonds et effectivement reçu un paiement ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant constaté que la société LP avait été chargée par la société Marc'h Kentan de trouver un acquéreur pour le fonds de commerce et d'opérer un rapprochement avec les créanciers nantis afin qu'ils donnent leur accord à la cession et à la répartition amiable du prix, leur procurant un règlement partiel de leur créance qu'ils n'étaient pas tenus d'accepter au préjudice d'autres créanciers, et avait réparti amiablement les fonds provenant de la vente conformément à l'accord négocié, ce dont il résultait que la société LP avait payé la dette échue du crédit mutuel en qualité de mandataire de la société Marc'h Kentan, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'article L. 621 108 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises était applicable à ce paiement ;
Attendu, en troisième lieu, que l'opposition au paiement du prix de cession d'un fonds de commerce formée par un créancier du propriétaire du fonds n'est qu'un acte conservatoire ayant pour seul effet de rendre indisponible le prix de vente et de permettre au créancier de faire valoir postérieurement ses droits dans une distribution du prix et ne peut être assimilée à une saisie ; que l'arrêt retient exactement que le paiement de la dette échue de la banque Scalbert Dupont, aux droits de laquelle se trouve la société Heineken, au moyen des fonds provenant de la vente pouvait être annulé en application de l'article L. 621 108 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur la seconde branche du cinquième moyen du pourvoi formé par la société LP en tant que dirigé contre l'arrêt du 15 janvier 2008 :
Sur la recevabilité du moyen :
Attendu que le liquidateur soulève l'irrecevabilité du moyen comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Mais attendu que le moyen est né de la décision attaquée ; qu'il est irrecevable ;
Et sur le moyen :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que la réparation ne peut excéder le montant du dommage ;
Attendu que pour condamner la société LP à payer au liquidateur la somme de 91 469,41 euros à titre de dommages intérêts, l'arrêt retient que les fautes commises par cette société ont occasionné un préjudice à la liquidation judiciaire équivalent aux fonds qui ont été détournés correspondant au prix de vente de l'immeuble ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'à la suite de l'annulation des paiements provenant de la répartition du prix de vente elle avait condamné les bénéficiaires de ces paiements à restituer au liquidateur une somme globale de 88 399,06 euros, de sorte que ce dernier était créancier du montant de ces restitutions, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
Constate la déchéance du pourvoi de la société LP immobilier en tant que dirigé contre l'arrêt du 13 février 2007 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société LP immobilier à payer à la SCP Le Dortz et Bodelet, ès qualités, la somme de 91 469,41 euros à titre de dommages intérêts, l'arrêt rendu le 15 janvier 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée.