Cass. crim., 8 mars 2017, n° 15-86.144
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Zerbib
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
Me Bouthors, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-3-c de la Convention européenne des droits de l'homme, 324-1 à 324-8 du code pénal, L. 653-8 et L. 654-3 et suivants du code de commerce, de l'article préliminaire et des articles 410, 410-1, 411, 417, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et violation des droits de la défense ;
"en ce que la cour n'a pas fait droit à la demande de renvoi de la défense et a statué en l'état en l'absence du prévenu et de l'avocat ;
"aux motifs que l'avocat de M. [Q] a sollicité le renvoi de l'affaire motif pris de l'état de santé du prévenu ; que le ministère public s'oppose au renvoi, que l'examen de l'affaire ayant été initialement fixé au 27 janvier 2015, une première demande de renvoi présentée par M. [Q] a été accordée par suite d'un mouvement de grève des avocats ; que l'affaire ayant été à nouveau appelée le 25 juin 2015, une nouvelle demande de renvoi a été présentée en raison de l'état de santé de M. [Q] ; que par arrêt avant dire droit du 25 juin 2015, la cour a ordonné une expertise à l'effet de vérifier l'aptitude médicale du prévenu à comparaître devant elle et, dans la négative, de déterminer la date prévisible à partir de laquelle il serait de nouveau apte à comparaître ; que le rapport d'expertise dressé le jour même a révélé que l'intéressé ne présentait pas l'aptitude médicale à comparaître le 25 juin 2015 et précisait que s'il était difficile de donner une date prévisible d'amélioration, ce genre de pathologie s'améliorait en général en une dizaine de jours, l'intéressé devant être réévalué par son médecin traitant au début de la semaine suivante ; que l'affaire a donc été renvoyée au 8 juillet 2015 ; que lors de l'audience du 8 juillet 2015, l'intéressé n'a pas comparu ; que son avocat a sollicité à nouveau un renvoi de l'affaire en produisant un certificat médical rédigé par le médecin traitant du prévenu le 29 juin 2015 attestant que l'état de santé de ce dernier l'obligeait à rester à son domicile du 29 juin 2015 au 31 juillet 2015 et joint à ce certificat une ordonnance du même médecin en date du 3 juillet 2015 prescrivant un examen IRM lombaire, et ce, alors même que le certificat médical initialement produit, en date du 22 juin 2015, mentionnait que l'intéressé présentait une sciatique droite lui imposant de rester alité à domicile seulement jusqu'au 28 juin 2015 ; qu'en outre, l'avocat du prévenu a produit pour la première fois un avis d'arrêt de travail mentionnant la qualité de salarié de M. [Q], jusqu'alors méconnue de la cour, en date du 29 juin 2015, prescrivant un arrêt de travail également jusqu'au 31 juillet 2015 tout en autorisant les sorties à partir du 29 juin 2015 ; qu'aucune de ces pièces médicales, rédigées seulement quatre jours après la visite de l'expert et bien avant l'audience à laquelle l'affaire avait été renvoyée, ne mentionne une aggravation de l'état de l'intéressé ni la survenance d'aucun élément nouveau susceptible d'expliquer la raison pour laquelle l'amélioration dont faisait état l'expert ne s'était pas réalisée, au point d'imposer le maintien à domicile du prévenu jusqu'au 31 juillet 2015 sans qu'aient été attendus les résultats de l'examen complémentaire prescrit ; que dans ces conditions, le motif invoqué au soutien de la demande de renvoi présentée par M. [Q] n'apparaît pas légitime et qu'il n'y a pas lieu de l'accueillir ;
"alors que le droit de se défendre et de bénéficier de l'assistance d'un avocat ne peut recevoir d'exception que pour d'impérieux motifs prévus par la loi et strictement proportionnés à leur objet ; que le prévenu qui n'a pas donné de mandat de représentation à son avocat et qui fait présenter une excuse médicale n'est pas réputé renoncer à se défendre ; que son excuse ne peut, dès lors, être écartée sans motivation adéquate et suffisante ; que pour rejeter le certificat médical montrant que le patient ne pouvait toujours pas se déplacer, la cour a exigé la certification d'une aggravation de la pathologie qui avait pourtant justifié treize jours plus tôt un renvoi d'audience ; qu'en portant directement une appréciation d'ordre médical sans avis expertal préalable, la cour a excédé ses pouvoirs et privé en tout état de cause sa décision d'une motivation proportionnée à la restriction ainsi apportée au droit de se défendre et de bénéficier de l'assistance d'un avocat" ;
Attendu que, pour rejeter la demande de renvoi qui lui était présentée par un avocat pour le prévenu non comparant, la cour a relevé qu'il ne résultait pas de l'ensemble des pièces médicales qui lui étaient soumises, parmi lesquelles une expertise du 25 juin 2015 prescrite avant dire droit, que ce dernier, dont les sorties étaient autorisées à partir du 29 juin 2015, ait été, après deux renvois antérieurs, dans l'impossibilité réelle de se présenter à l'audience du 8 juillet 2015 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte qu'elle s'est expressément prononcée sur la validité de l'excuse médicale invoquée, et dès lors qu'il lui appartenait d'en apprécier souverainement la pertinence, la cour, qui n'a méconnu aucune des dispositions légales ou conventionnelles invoquées, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4, § 1, du protocole additionnel n° 7 à ladite Convention, 111-4, 132-19 et 132-24, 324-1 à 324-8 du code pénal, L. 653-8 et L. 654-3 et suivants du code de commerce, de l'article préliminaire et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a condamné le prévenu du chef de banqueroute et de blanchiment à une peine d'emprisonnement pour partie ferme et à diverses peines complémentaires ainsi qu'à des dommages et intérêts ;
"aux motifs que l'appel incident interjeté par le ministère public à l'encontre du jugement déféré limite la prévention dont la cour est saisie aux seuls faits ayant donné lieu à la déclaration de culpabilité de M. [Q] ; que le tribunal correctionnel, par des motifs adoptés, a caractérisé tous les éléments constitutifs des délits de banqueroute par détournement d'actifs commis par M. [Q] au préjudice de l'association « Home de séjour et de Repos Saint Joseph » indépendamment de l'étendue des préjudices qui seront examinés dans le cadre de l'instance sur intérêts civils ; que le tribunal correctionnel a, par des motifs également adoptés, caractérisé les délits de blanchiment reprochés en relevant l'existence de prélèvements indus de la trésorerie de l'association masqués par des écritures comptables inexactes et justifiées, en outre, par la production de fausses pièces destinées à les dissimuler ; que le tribunal a également relevé à juste titre que M. [Q] avait tenté vainement de se prévaloir d'un défaut de conseil imputable au cabinet comptable KPMG alors que les investigations ont au contraire démontré que ce comptable avait, à plusieurs reprises, attiré l'attention des dirigeants de la SCI et de l'association sur le caractère anormal de leur gestion et, notamment, sur l'existence de comptes courants d'associés systématiquement débiteurs nécessitant des remboursements ; qu'en prenant la suite de son père, M. [Q], loin de mettre un terme aux agissements de ce dernier qu'il savait cependant répréhensibles, a développé les éléments de son train de vie personnel, social et familial, dans des proportions jamais atteintes jusqu'alors, au détriment de l'exploitation de la maison de retraite bénéficiaire de fonds publics qui ont été ainsi détournés sans scrupules ; que la répétition des agissements frauduleux, qui ont perduré jusqu'à la création d'un passif cumulé de plus de 4 millions d'euros par les trois structures détenues par la famille [Q], la désinvolture dans laquelle le prévenu a persisté en dépit de l'ouverture des différentes procédures collectives, les soins qu'il a apportés à la dissimulation de ses prélèvements indus en vue de la satisfaction de son ambition personnelle, justifient de prononcer à son encontre une peine de trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois assortis d'un sursis ainsi que sa faillite personnelle pour une durée de dix ans ; que les peines complémentaires de confiscation, que la partie civile n'est pas recevable à critiquer, seront confirmées ; que M. [Q], qui ne comparaît pas, ne fournit à la cour aucun élément qui lui permettrait d'aménager la partie ferme de la peine d'emprisonnement prononcée ; que les dispositions civiles du jugement déféré seront confirmées ;
"1°) alors que, le principe ne bis in idem, qui est d'ordre public, interdit qu'à raison de faits identiques, le prévenu de banqueroute, délit principal, soit également poursuivi et condamné du chef de blanchiment du produit de cette infraction ;
"2°) alors que, en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement ferme qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine, laquelle ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en prononçant contre le requérant une peine pour partie ferme sans rechercher si une sanction alternative était manifestement inadéquate au regard de l'ensemble des circonstances de la cause et de la situation du prévenu, jamais condamné auparavant, la cour a derechef violé les textes cités au moyen" ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu que le demandeur ne saurait faire grief à l'arrêt de l'avoir déclaré coupable, cumulativement, des délits de banqueroute et de blanchiment aggravé dès lors qu'en l'espèce ceux-ci ne procèdent pas de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ;
D'où il suit que le grief doit être écarté ;
Sur le moyen pris en sa deuxième branche :
Attendu que les énonciations de l'arrêt, d'où il se déduit que tout autre peine était inadéquate, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a prononcé une peine d'emprisonnement pour partie sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l'article 132-19 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.