Cass. crim., 17 janvier 2018, n° 17-80.152
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Germain
Avocat général :
M. Bonnet
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation,
Sur le deuxième moyen de cassation,
Sur le troisième moyen de cassation,
Sur le quatrième moyen de cassation,
Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que les moyens ne sont pas de nature à être admis ;
Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du Protocole n°7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 324-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de blanchiment, banqueroute, abus de biens sociaux et exécution d'un travail dissimulé, a déclaré Mme Z... coupable de blanchiment, complicité d'abus de biens sociaux et recel, a condamné M. X... à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende de 300 000 euros, à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise pour une durée de cinq ans, et a condamné Mme Z... à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende de 100 000 euros et à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise pour une durée de cinq ans ;
"aux motifs que sur les faits de blanchiment, en ce qui concerne M. X... et Mme Z..., les investigations rapides effectuées par les enquêteurs démontrent néanmoins que les infractions commises au préjudice des SARL Eurodiffusion Euromatériels Maisons Ornaises et Bati Renov (abus de biens sociaux, banqueroute) ont permis au couple, via un circuit bancaire pour le moins opaque (produit des ventes effectuées par la SCI Familiale du Perche profitant exclusivement à sa gérante Mme Z... ; que l'utilisation de comptes de M. A... X... ou encore de Mme E... X... pour percevoir des sommes frauduleuses puis transferts non justifiés de fonds au profit de Mme Z...) au final de profiter de revenus frauduleux et de transférer une partie de ces fonds en Turquie ; que si certains des biens de ces deux SCI ont pu être partiellement financés grâce à des fonds non frauduleux, il n'empêche qu'ils sont aussi, au moins pour partie, le fruit des abus de biens sociaux et des faits de banqueroute par détournement d'actifs commis par M. X... ; qu'est à ce titre édifiant de s'attacher au fonctionnement des comptes de Mme Z... qui jouent le rôle de comptes pivot ; qu'on y constate des mouvements étonnants pour lesquels elle est en difficulté pour donner des explications alors même qu'elle s'occupe pourtant de la gestion de ses comptes ; qu'ainsi, le compte de la SCI Familiale du Perche a été crédité de 27 780 euros par les comptes personnels de Mme Z... et il y a eu des virements de la SCI sur les comptes personnels de Mme Z... à hauteur de 182 000 euros (notamment suite à des ventes d'immeubles appartenant à la SCI) ; que les comptes personnels de Mme Z... sont aussi crédités par des virements en provenance des comptes de ses enfants, et notamment de 70 000 euros du compte de sa fille ainée Mme E... X... entre le 16 novembre 2011 et le 11 octobre 2012 ; que Mme E... X... a déclaré qu'elle ignorait la cause de ces virements dont c'était surtout sa mère qui s'occupait ; qu'un chèque de 3 000 euros a par exemple, été tiré sur le compte de M. C... B... pour être crédité le 23 février 2012 sur celui de Mme E... X... (alors qu'il ne la connaît pas), et, dans les jours et semaines qui ont suivi cet encaissement, des virements de 1 500, 1 000 et 900 euros ont été effectués du compte de Mme E... X... au profit de ses parents ; que sur les comptes personnels de Mme Z..., on relève des retraits d'espèces de 36 370 euros entre janvier 2010 et juillet 2012 et des dépôts d'espèces de 6 550 euros (les loyers acquittés par la SARL Bati Renov auprès de la SCI Familiale du Perche ne se retrouvent pas tous au crédit du compte de la SCI : il manque 7 401,34 euros) ; qu'à partir des comptes personnels de Mme Z..., ont été faits des virements à M. X... (dont les comptes ont été crédités, outre ses salaires, par des versements en numéraires, des chèques et virements bancaires de sa concubine, ces derniers pour un montant total de 6 300 euros entre janvier 2010 et mai 2012) et à M. A... X... ainsi que des versements à l'étranger à des membres de la famille X... et Z... pour 132 500 euros ; que M. X... a déclaré aux gendarmes qu'il avait envoyé en Turquie, en deux ou trois fois, le solde de la vente d'une maison appartenant à la SCI Familiale du Perche, précisant que sa concubine, gérante de cette SCI, n'envoyait pas d'argent en Turquie sans son autorisation ; qu'il résulte du dossier que des ventes d'immeubles de la SCI Familiale du Perche ont été effectuées pour un total de 130 537,15 euros tandis que la vente d'immeubles de la SCI Arena Z... a été résée pour 116 782,73 euros sans que soit faite une redistribution du produit de ces ventes entre les associés de ces deux SCI, dont il est ainsi établi qu'elles ne fonctionnaient que dans l'intérêt de M. X... et de sa concubine Mme Z... ; qu'ainsi, le produit de la vente de certains des biens appartenant à la SCI Familiale du Perche (maison située au [...] 68 000 euros) a été intégralement payé à Mme Z... qui, les jours qui ont suivi, a procédé, pour une large partie, à des transferts de fonds en Turquie sur des comptes de tiers ; que parmi ces virements internationaux en Turquie, on en relève : un d'un montant de 20 000 euros le 5 août 2010 sur le compte de M. F... , beau-frère du beau-frère de Mme Z... (alors que la SARL Eurodiffusion qui sera liquidée le 23 août 2010, était en état de cessation des paiements depuis le 1er janvier 2010) ; qu'un de 28 000 euros le 16 décembre 2010 suivi d'un autre effectué le 8 juin 2011 pour 6 500 euros au profit de M. Bayram X..., beau-frère de Mme Z... ; que Mme Z... a déclaré que cet argent avait servi à rénover en 2011 une maison de famille, appartenant aux parents de son concubin M. X... ; que la majeure partie du produit de ces ventes a été créditée sur les comptes personnels de Mme Z... ; qu'il résulte de ce qui précède que la SARL Eurodiffusion Euromatériels Maisons Ornaises et la SARL Bati Renov, dirigées par M. X..., toutes deux liquidées moyennant un passif élevé, ont été délibérément spoliées par ce dernier dans son unique intérêt et celui de sa famille ; qu'outre le confort d'une vie quotidienne dans un pavillon de [...], dont la famille X... Z... disposait gratuitement, le conséquent patrimoine immobilier (qui n'a pu qu'être constitué qu'au péril des deux SARL animées par M. X... ) l'a été par l'intermédiaire de montages financiers opaques faisant intervenir plusieurs membres de la famille et deux SCI dont Mme Z... est la gérante ; que comme l'a décidé le tribunal, les faits de blanchiment sont caractérisés à l'encontre de M. X... , Mme Z... et M. A... X... ;
"1°) alors que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique ne peuvent pas donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité ; qu'en déclarant M. X... coupable de banqueroute et d'abus de biens sociaux et Mme Z... coupable de complicité d'abus de biens sociaux, puis en les déclarant coupables de blanchiment de ces mêmes infractions, la cour d'appel a méconnu le principe ne bis in idem ;
"2°) alors que le blanchiment est caractérisé par la justification mensongère de l'origine des biens de l'auteur de l'infraction ou par son concours apporté à une opération de placement ou de dissimulation du produit de l'infraction ; que la cour d'appel est entrée en voie de condamnation en ce que les prévenus avaient disposé d'un patrimoine dans leur unique intérêt ; que cependant elle a également constaté que « certains des biens de ces deux SCI ont pu être partiellement financés grâce à des fonds non frauduleux » ; qu'en se fondant sur la disposition des biens par les prévenus sans caractériser si lesdits biens provenaient d'une infraction ou des fonds non frauduleux, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;
Sur le moyen pris, en sa seconde branche ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de blanchiment, l'arrêt attaqué relève notamment que les infractions d'abus de biens sociaux et de banqueroute commises au préjudice des sociétés à responsabilité limité (SARL) Eurodiffusion Euromatériels Maisons Ornaises et Bati Renov ont permis au couple de profiter de revenus frauduleux, qu'ils ont transféré une partie de ces fonds en Turquie, via un circuit bancaire pour le moins opaque, le produit des ventes effectuées par la SCI ( société civile immobilière) Familiale du Perche profitant exclusivement à sa gérante Mme Z..., les comptes de M. A... X... ou encore de Mme E... X... étant utilisés pour percevoir des sommes frauduleuses ; que si certains des biens de ces deux SCI ont pu être partiellement financés grâce à des fonds non frauduleux, ils sont aussi, au moins pour partie, le fruit des abus de biens sociaux et des faits de banqueroute par détournement d'actifs commis par M. X... ; que des comptes de Mme Z... ont joué le rôle de comptes pivot ; que la SARL Eurodiffusion Euromatériels Maisons Ornaises et la SARL Bati Renov, dirigées par M. X..., toutes deux liquidées moyennant un passif élevé, ont été délibérément spoliées par ce dernier dans son unique intérêt et celui de sa famille ; qu'outre le confort d'une vie quotidienne dans un pavillon de [...], dont la famille X... Z... disposait gratuitement, le conséquent patrimoine immobilier constitué au péril des deux SARL animées par M. X..., l'a été par l'intermédiaire de montages financiers opaques faisant intervenir plusieurs membres de la famille et deux SCI dont Mme Z... est la gérante ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de blanchiment dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D'où il suit que le grief, qui remet en question l'appréciation souveraine par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuves contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Sur le moyen pris, en sa première branche ;
Attendu que l'article 324-1, alinéa 2, du code pénal, institue une infraction générale et autonome de blanchiment, distincte, dans ses éléments matériel et intentionnel, du crime ou du délit ayant généré un produit et réprime, quel qu'en soit leur auteur, des agissements spécifiques de placement, dissimulation ou conversion de ce produit, de sorte que cette disposition est applicable à celui qui blanchit le produit d'une infraction qu'il a commise, sans porter atteinte au principe Ne bis in idem ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le sixième moyen de cassation , pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, 130-1, 131-27, 132-1, 132-19, 132-20, 321-1, 321-9, 324-1 et 324-7 du code pénal, L. 241-3, L. 249-1, L. 654-2 et L. 654-5 du code de commerce, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de blanchiment, banqueroute, abus de biens sociaux et exécution d'un travail dissimulé, a déclaré Mme Z... coupable de blanchiment, complicité d'abus de biens sociaux et recel, a condamné M. X... à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende de 300 000 euros, à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise pour une durée de cinq ans, et a condamné Mme Z... à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende de 100 000 euros et à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise pour une durée de cinq ans ;
"aux motifs que force est de constater que M. X... a eu un rôle essentiel puisqu'il a élaboré le système de fraudes généralisé qui a prospéré grâce à l'aide de sa famille ou de son entourage qu'il a convaincu de lui prêter main-forte, sans même que chacun de ceux qui ont contribué à la mise en place de ce système en ait tiré des profits ; que M. X..., après deux dépôts de bilan avec tout de même un passif de près de 450 000 euros pour la SARL Eurodiffusion Euromatériel Maisons Ornaises, dont il était le gérant, n'a pas hésité à poursuivre ses activités, générant en tant que gérant de fait de la SARL Bati Renov passif admis de près de 250 000 euros ; que son attitude persévérante (une nouvelle société a été créée avec le même objet que la SARL Bati Renov) dans la délinquance lui a permis, grâce à l'action ou la complaisance de sa famille ou de son entourage, de constituer un patrimoine conséquent aussi bien en France qu'à l'étranger ; que par suite, si la peine de dix-huit mois d'emprisonnement (dont six avec sursis), prononcée par le tribunal, est justifiée dans son quantum, eu égard à la gravité pour l'équilibre de l'ordre public économique des nombreux faits dont il s'est rendu coupable, cette peine mérite d'être totalement assortie du sursis dans la mesure où son casier judiciaire est vierge ; qu'eu égard à la nature des faits qu'il a commis et à sa situation de fortune, l'amende de 300 000 euros prononcée contre lui par les premiers juges est justifiée comme l'est aussi l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pendant une durée de cinq ans ; que Mme Z... a participé et largement profité du système frauduleux mis en place par M. X..., son concubin et père de ses enfants, pour gruger deux SARL et leurs créanciers ; qu'en conséquence, si au regard de son casier judiciaire vierge, la peine d'emprisonnement prononcée contre elle par le tribunal doit être diminuée à six mois en étant totalement assortie du sursis, elle est tout-à-fait justifiée tant en ce qui concerne l'amende de 100 000 euros que l'interdiction de gérer pendant cinq ans ;
"1°) alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en prononçant les peines d'emprisonnement, d'amende et d'interdiction sans référence précise aux faits et sans examiner concrètement la personnalité et la situation particulière du prévenu, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"2°) alors que la juridiction qui prononce une amende doit également motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; qu'en l'absence de toute mention des ressources et charges, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des dispositions susvisées ;
"3°) alors que toute atteinte à une liberté ou à un droit ne peut être ordonnée que si elle est nécessaire et proportionnée ; qu'en
prononçant une peine d'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise pour cinq ans, sans motiver sa décision au regard de l'atteinte pouvant être portée à la liberté d'entreprendre et de travailler, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;
Attendu que, pour condamner M. Sedat X..., et Mme Y... Z..., le premier à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 300 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer, la seconde, à six mois d'emprisonnement avec sursis, 100 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer, l'arrêt prononcé par les motifs visés au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et répondent à l'exigence, résultant des articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal, 485 et 593 du code de procédure pénale, selon laquelle, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte des circonstances et de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ainsi que de ses ressources et charges produites, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait et, comme tel, irrecevable, en ce qu'il invoque pour la première fois devant la Cour de cassation le caractère disproportionné de l'atteinte spécifique portée à la liberté des intéressés d'entreprendre et de travailler par la mesure d'interdiction de gérer prononcée par le tribunal correctionnel et confirmée par la cour d'appel, en violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.