CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 17 décembre 2020, n° 20/14832
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Amber Capital UK LLP (Sté), Amber Capital Italia SGR SpA (Sté), Vivendi SE (Sté)
Défendeur :
Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillou
Conseillers :
M. Rondeau, Mme Chopin
Avocat :
Selarl Lexavoué Paris-Versailles
Exposé du litige
La SCA L. est la holding cotée du groupe L., créé en 1992 par M. Jean-Luc L., à la suite de la fusion entre les sociétés Matra et Hachette.
Les activités principales de la société sont le secteur de l'édition (activité dite L. Publishing) ainsi que sur celui de la distribution dans les gares et aéroports (activité dite L. Travel Retail).
La société L. présente la particularité d'être une société en commandite par actions, qui en application de l'article L. 226-1 du code de commerce, comprend en conséquence, deux catégories d'associés:
- les associés commandités, indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales et qui disposent, en contrepartie, de larges pouvoirs (droit de veto sur toutes les modifications des statuts, droit de nommer le gérant avec l'accord du conseil de surveillance, droit de révoquer le gérant après avis du conseil de surveillance) ;
- les associés commanditaires ne répondant des dettes sociales qu'à concurrence de leurs apports et qui disposent de pouvoirs beaucoup plus limités.
Les associés commandités de L. sont M. Arnaud L. et la société anonyme Arjil Commanditée ' Arco (ARCO) jusqu'alors détenue à hauteur de 99,84% par la société L. Capital, anciennement dénommée L. Capital & Management (L C&M), dont M. Arnaud L. est l'actionnaire majoritaire.
Ces deux commandités sont aussi les deux gérants de la SCA L..
Le mandat de M. Arnaud L. qui arrivait normalement à échéance le 25 mars 2021 a été renouvelé par anticipation pour 4 ans le 17 août 2020. Le mandat de la société ARCO arrive à échéance 8 mars 2022.
Les principaux associés commanditaires sont:
- la société Vivendi SE, premier actionnaire commanditaire, entrée au capital de L. fin mars 2020 et qui détient désormais environ 28,81% du capital et 21,9% des droits de vote.
La société L. souligne qu'elle exerce des activités dans le domaine de la publicité et surtout de l'édition, directement concurrentes de la sienne.
Lors d'un franchissement de seuil la société Vivendi a déclaré à l'AMF ne pas avoir l'intention de demander son entrée au conseil de surveillance,
- Cinq fonds Amber gérés par les sociétés Amber Capital UK LLP et Amber Capital Italia SGR (les sociétés Amber Capital) qui détenaient fin octobre 19,93% du capital et 15,06% des droits de vote,
- la société Qatar Holding LLC qui détenait fin octobre 13,03% du capital et 19,54% des droits de vote.
Comme toute société en commandite par actions, la société L. SCA dispose également d'un conseil de surveillance, ayant, en application de l'article L. 226-9 du code de commerce, pour mission 'd'assurer le contrôle permanent de la gestion de la société. Il dispose, à cet effet, des mêmes pouvoirs que les commissaires aux comptes, fait à l'assemblée générale ordinaire annuelle un rapport dans lequel il signale, notamment, les irrégularités et inexactitudes relevées dans les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés de l'exercice. Il est saisi en même temps que les commissaires aux comptes, s'il en existe, des documents mis à la disposition de ceux-ci. Il peut convoquer l'assemblée générale des actionnaires'.
Aux termes de l'article L. 226-4 du code de commerce, l'assemblée générale désigne au moins trois actionnaires au conseil de surveillance. L'article 12 des statuts de la société fixe à 10 au plus le nombre de membres de ce conseil qui sont nommés ou révoqués par l'assemblée générale ordinaire des actionnaires, les actionnaires ayant la qualité de commandité ne pouvant participer au vote des résolutions correspondantes.
Aux termes de l'article L. 226-10 du code de commerce, ce conseil autorise les conventions réglementées.
L'article 14 des statuts de la SCA L. dispose également que la nomination ou le renouvellement de tout gérant est soumis à l'accord du conseil de surveillance et prévoit son rôle en cas de refus de cet accord pour deux candidats successifs.
La dernière assemblée générale ordinaire s'est tenue le 5 mai 2020.
A cette date l'assemblée a notamment rejeté les demandes de révocation de 7 membres du conseil de surveillance et de nomination de 7 autres membres.
Les sociétés Amber et Vivendi font mention depuis cette date de plusieurs événements dont elles se prévalent dans le cadre de l'action commune qu'elles ont initiée.
- l'entrée fin mai 2020 du Groupe A. au capital de L. Capital à hauteur de 25%, (L. Capital étant la société mère d'ARCO) et détenant 7% de L. SCA,
' l'annonce d'un accord de partenariat entre les familles A. et L., rendu public le 25 mai 2020,
- la publication des résultats du premier semestre 2020, en nette baisse,
- le 10 août 2020 les sociétés Amber capital et Vivendi ont conclu un pacte d'actionnaires aux fins d'obtenir la convocation d'une assemblée générale en vue de la recomposition du conseil de surveillance.
- le 17 août 2020, le conseil de surveillance s'est réuni et a:
' pris acte de la création d'un conseil de gérance, intégrant les membres de l'actuel comité exécutif ainsi que les dirigeants de L. Publishing et de L. travel Retail,
' décidé du renouvellement par anticipation le mandat de gérant de M. Arnaud L. qui n'expirait qu'en mars 2021.
Deux membres du conseil de surveillance ont démissionné Mme Aline S.-W. le jour du conseil, remplacée par Mme B. le 31 août 2020 en application de l'article 12, 5° et M. Yves G..
Estimant d'une part que la modification de la structure commanditée permet désormais au Groupe A. d'exercer un contrôle indirect sur la société Arco, associé commandité, et d'autre part que les événements précités révèlent un manque d'indépendance du conseil de surveillance, les sociétés Amber et Vivendi ont demandé par courrier du 20 août 2020 aux gérants la convocation d'une assemblée générale avec pour ordre du jour la recomposition partielle du conseil de surveillance.
Cette demande leur ayant été refusée par courrier du 31 août 2020, les sociétés Vivendi et Amber capital ont, par assignations des 7 et 8 septembre 2020, saisi le président du tribunal de commerce de Paris pour voir désigner un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale anticipée sur le fondement de l'article L 225 '103 II, 2° du code de commerce, avec pour ordre du jour la recomposition du conseil de surveillance:
- pour Vivendi la révocation d'une personne (M. Gilles P.) et la nomination de Mme Virginie B. au conseil de surveillance,
- pour Amber la révocation de trois personnes de leurs fonctions de membre du conseil de surveillance (MM V. et P. et Mme T.), et la nomination de trois personnes (M. O., M. F. et Mme O.).
L'association pour la défense des actionnaires minoritaires (l'ADAM) qui a pour objet de défendre les intérêts collectifs des investisseurs en valeurs mobilières et produits financiers qu'ils soient membres ou non membres et notamment ceux des actionnaires minoritaires, par tous les moyens, y compris en intentant des actions en justice ou en apportant son concours à des actions individuelles, est intervenue volontairement au soutien de ces demandes.
Par ordonnance du 14 octobre 2020 le tribunal de commerce a:
- joint les deux affaires,
- reçu l'intervention de l'ADAM,
- débouté les sociétés Amber capital et Vivendi de leurs demandes,
- condamné solidairement les sociétés Amber Capital d'une part ainsi que la société Vivendi d'autre part à payer chacune à la SCA L. une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal de commerce a notamment considéré que:
- les sociétés Amber capital et Vivendi détenant au moins 5 % du capital social de L. SCA, elles satisfont à la condition posée par l'article L 225 '10 3 II, 2° leur permettant de demander la désignation d'un mandataire de justice aux fins de convoquer une assemblée générale,
- que la convocation d'une telle assemblée doit répondre à l'intérêt social de la société concernée et non aux intérêts particuliers.
Il a relevé:
- l'absence d'anomalie dans le fonctionnement formel des organes sociaux de la société L. SCA puisque l'assemblée générale ordinaire s'est tenue régulièrement en mai 2020,
- que la prise de participation à hauteur de 27% de la société Financière Agache au sein de la société LC & M ne modifie pas l'actionnariat de la société Arjil commandité Arco et ne justifiait donc pas l'approbation préalable du conseil de surveillance,
- les résultats du premier semestre 2020 de la société ne peuvent pas être dissociés du contexte sanitaire et ne révèlent pas de fautes imputables à la gérance,
- le renouvellement par anticipation du mandat de M. Arnaud L. le 17 août 2020 soit avec 7 mois d'avance n'est contraire à aucune disposition statutaire,
- les divergences mêmes fondamentales avec les décisions prises par le conseil de surveillance ne suffisent pas à caractériser un manque d'indépendance et le non accomplissement de sa mission au regard du contrôle permanent de la gestion de la société dont celui-ci a statutairement la charge,
Enfin il a retenu qu'en réalité les sociétés Amber capitales et Vivendi souhaitent présenter à l'assemblée générale la nomination de trois de leurs représentants au conseil de surveillance de L. et poursuivent donc un intérêt propre et non l'intérêt général de la société ce qui justifie le rejet de leurs demandes.
Le 20 octobre 2020 les sociétés Amber et Vivendi ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnances des 21 et 22 octobre 2020, elles ont été autorisées à assigner à jour fixe.
Par assignations délivrées le 23 octobre 2020 les sociétés Amber Capital demandent à la cour de
- déclarer recevable leur appel,
- y faisant droit, réformer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de
Paris en ce que:
- elle les a déboutées de l'intégralité de leurs demandes,
- condamnées solidairement à payer chacune la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Et, statuant à nouveau,
- désigner un mandataire ayant pour mission de convoquer une assemblée générale des actionnaires de Largardère SCA dans les cinquante jours calendaires à compter de sa désignation avec pour ordre du jour:
- la révocation de M. Patrick V. de ses fonctions de membre du conseil de surveillance,
- la révocation de M. Guillaume P. de ses fonctions de membre du conseil de surveillance,
- la révocation de Madame S. M. T. de ses fonctions de membre du conseil de surveillance,
- la nomination de M. Joseph O. en tant que membre du conseil de surveillance,
- la nomination de M. Olivier F. en tant que membre du conseil de surveillance,
- la nomination de Madame Valérie O. en tant que membre du conseil de surveillance.
Et pour résolutions :
Résolution 1 (Révocation de M. Patrick V. en tant que membre du Conseil de surveillance de Largardère SCA) L'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, décide de révoquer M. Patrick V. en tant que membre du Conseil de surveillance de L. SCA avec effet immédiat,
Résolution 2 (Révocation de M. Guillaume P. en tant que membre du Conseil de surveillance de L. SCA) L'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, décide de révoquer M. Guillaume P. en tant que membre du Conseil de surveillance de L. SCA avec effet immédiat.
Résolution 3 (Révocation de Madame S. M. T. en tant que membre du Conseil de surveillance cie L. SCA) L'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, décide de révoquer Madame S. M. T. en tant que membre du Conseil de surveillance de L. SCA avec effet immédiat,
Résolution 4 (Nomination de M. Joseph O. en tant que membre du Conseil de surveillance de L. SCA) l'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, décide de nommer M. Joseph O. en tant que membre du Conseil de surveillance de L. SCA avec effet immédiat, pour une durée de quatre (4) ans prenant fin à l'issue de l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2023,
Résolution 5 (Nomination de M. Olivier F. en tant que membre du Conseil de surveillance de Largardère SCA) L'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, décide de nommer M. Olivier F. en tant que membre du Conseil de surveillance de Largardère SCA avec effet immédiat, pour une durée de quatre (4) ans prenant fin à l'issue de l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2023,
Résolution 6 (Nomination de Madame Valérie O. en tant que membre du Conseil de surveillance de L. SCA) L'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, décide de nommer Madame Valérie O. en tant que membre du Conseil de surveillance de Largardère SCA avec effet immédiat, pour une durée de quatre (4) ans prenant fin à l'issue de l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2023,
- donner tous pouvoirs au mandataire afin d'engager L. SCA auprès de tout tiers dont le concours serait juge par lui nécessaire pour la réalisation de sa mission, et notamment de tout huissier de justice sollicité pour établir le procès verbal de cette assemblée générale et des prestataires de services habituels de la société pour la tenue de ses assemblées générales et la comptabilisation des votes,
- donner pour mission à ce mandataire de présider cette assemblée générale et son bureau et de veiller à la régularité de son déroulement,
- dire que le mandataire tiendra informés les demandeurs de l'accomplissement de sa mission, et qu'il respectera et fera respecter le contradictoire pour les décisions à prendre durant l'exercice de sa mission ;
- dire qu'une provision pour frais de trente cinq mille euros sera versée au mandataire et sur sa demande par L. SCA et qu'à défaut d'un tel versement, cette somme pourra être avancée par le demandeur, qui devra en être remboursé par L. SCA,
- enjoindre à L. SCA et chacun de ses gérants de pleinement coopérer avec le mandataire en vue de l'exercice de sa mission,
- dire qu'en cas de difficulté rencontrée par le mandataire ad hoc dans l'exercice de sa mission, il en sera référé aux parties et à M. le Président du tribunal de commerce de Paris.
Par assignations des 22 et 23 octobre 2020 la société Vivendi demande à la cour de:
- la déclarer recevable et fonde en son appel,
- Y faisant droit, infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau,
- désigner un mandataire ad hoc ayant pour mission, dans le respect des statuts de Largardère SCA et des dispositions légales et réglementaires, de convoquer une assemblée générale des actionnaires de L. SCA afin de provoquer la délibération desdits actionnaires dans les cinquante jours calendaires à compter de sa désignation avec pour ordre du jour :
- la révocation de M. Gilles P. en tant que membre du conseil de surveillance de L. SCA,
- la nomination de Mme Virginie B. en tant que membre du conseil de surveillance de Largardère SCA,
- les pouvoirs en vue des formalités,
et avec pour résolutions :
- résolution A (Révocation de M. Gilles P. en tant que membre du conseil de surveillance de L. SCA: l'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, révoque avec effet immédiat M. Gilles P. de ses fonctions de membre du conseil de surveillance,
- résolution B (Nomination de Mme Virginie B. en tant que membre du conseil de surveillance de L. SCA: l'assemblée générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires, nomme avec effet immédiat Mme Virginie B. en qualité de membre du Conseil de surveillance de Largardère SCA, pour une durée de quatre ans prenant fin à 1'issue de 1'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2023,
- résolution C (Pouvoirs en vue des formalités: l'assemblée Générale, statuant aux conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales ordinaires confère au président de l'assemblée générale ou au porteur d'un original, d'une copie on d'un extrait certifié conformes du procès verbal de ses délibérations, tous pouvoirs pour effectuer toutes formalités et tous dépôts partout où besoin sera,
- décider que le mandataire ad hoc le pouvoir d'engager L. SCA auprès de tout tiers dont le concours serait jugé par lui nécessaire pour la réalisation de sa mission, et notamment de tout huissier de justice sollicité pour établir le procès verbal de cette assemblée générale et des prestataires de services habituels de la société pour la tenue de ses assemblées générales et la comptabilisation des votes,
- décider que le mandataire ad hoc aura également pour mission de présider cette assemblée générale et son bureau et de veiller à la régularité de son déroulement,
- décider que le mandataire ad hoc tiendra informée 1'appelante de 1'accomplissement de sa mission, et qu'il respectera et fera respecter le contradictoire pour les décisions à prendre durant l'exercice de sa mission,
- dire qu'une provision pour frais de 60 000 euros sera versée an mandataire ad hoc et sur sa demande par L. SCA et qu'à défaut d'un tel versement, cette somme pourra être
avancée par l'appelante, qui devra en être remboursée par L. SCA,
- enjoindre à L. SCA et chacun de ses gérants de pleinement coopérer avec le mandataire ad hoc en vue de l'exercice de sa mission,
- donner acte à Vivendi SE qu'elle se réserve de compléter cet ordre du jour dans le respect des conditions applicables au dépôt de projets de résolutions, si la préservation de ses droits le justifiait au regard des décisions que pourrait prendre L. SCA, et qu'il lui appartiendrait d'en tenir la cour informée,
- décider qu'en cas de difficultés rencontrées par le mandataire ad hoc dans l'exercice de sa fonction il en sera référé aux parties et à la cour.
Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, mais les éléments les plus importants développés par les appelants seront rappelés comme suit:
- les appelants se prévalent de l'article L. 225 ' 103 du code de commerce applicable aux sociétés en commandite par actions par renvoi de l'article L. 226 ' 1 du code de commerce qui permet la convocation d'une assemblée générale par un mandataire, désigné en justice, à la demande d'un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins 5 % du capital social, soit d'une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120, sans avoir à justifier de l'urgence, la disposition précitée ne la prévoyant que lorsque la désignation du mandataire est faite 'à la demande de tout intéressé',
- il leur revient seulement selon eux de démontrer que cette demande est conforme à l'intérêt social de la société c'est-à-dire que les appelants n'agissent pas simplement dans leur intérêt personnel,
- ils soutiennent qu'il ne revient pas au juge des référés de se substituer à l'assemblée générale pour apprécier l'opportunité d'une décision qui relève du seul pouvoir de cette assemblée mais seulement de juger de la conformité de la demande dont il est saisi au regard de l'intérêt social,
- le tribunal a donc outrepassé ses pouvoirs en statuant en réalité sur l'opportunité de cette demande et en se prononçant sur la régularité du fonctionnement des organes sociaux, considérant de façon erronée que la demande n'avait été formée qu'en vue de satisfaire les intérêts propres des demanderesses,
Pour démontrer que leur demande est conforme à l'intérêt général de la société les appelants font valoir que:
- les modifications de la structure commanditée de L. et l'accord de partenariat doublé d'une déclaration de concert des familles A. et L. justifient la convocation d'une assemblée générale, groupe A. exerçant désormais une influence majeure sur l'associé commandité ARCO et des incertitudes pesant sur les contours du partenariat conclu, et la nomination de Mme B. en remplacement de Mme S.-W. confortant les doutes sur l'influence du groupe A.,
- le renouvellement de la gérance confiée Arnaud L. sept mois avant la date prévue est une manifestation du défaut d'indépendance du conseil de surveillance qui n'exerce plus son rôle de contre-pouvoir,
- la démission de deux membres du conseil de surveillance en août 2020 met à jour une crise de gouvernance,
- les résultats du premier semestre 2020 sont préoccupants et ne s'expliquent en effet pas seulement par le contexte sanitaire. Ils nécessitent une vigilance extrême de la part du conseil de surveillance dans les mois à venir,
- Ainsi, selon les appelants, indépendamment de leurs intérêts particuliers, il est de l'intérêt social de convoquer l'assemblée générale pour permettre aux actionnaires commanditaires de se prononcer sur la composition du conseil de surveillance qui devra assurer ce contrôle, sans attendre celle prévue au 2ème trimestre 2020, et qui devra surveiller particulièrement la stratégie du groupe, sa situation financière pouvant entraîner des cessions d'actifs ou des options d'achat portant sur l'actif le plus important et le plus rentable du groupe.
Par conclusions remises au greffe le 19 novembre 2020, auxquelles la cour fait expressément référence pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions, la société L. demande à la cour la confirmation de la décision en toutes ses dispositions, le débouté de l'ensemble des demandes des sociétés Vivendi et Amber et leur condamnation à lui payer chacune la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction au profit de maître T. conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La société L. fait valoir que:
- les appelantes ont entrepris une tentative de déstabilisation qui a commencé dès mai 2020 en ce qui concerne les fonds Amber, des actions en justice ayant déjà été introduites pour contester l'assemblée générale du 5 mai 2020, actions qui n'ont pas abouti,
- les appelantes tentent de semer la confusion avec d'autres dispositions du code de commerce concernant notamment les SARL qui permettent à ou plusieurs associés de demander la convocation d'une assemblée générale ou la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de la convoquer,
- si elle ne conteste pas qu'un actionnaire détenant plus de 5% du capital puisse demander la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale, cette demande n'entraîne pas la convocation de droit de l'assemblée générale et cette faculté doit être réservée aux hypothèses exceptionnelles de défaillance de l'organe normalement habilité,
- les sociétés Vivendi et Amber doivent donc démontrer que le conseil de surveillance ne remplit pas ses fonctions statutaires ou n'est plus à même d'assurer une orientation conforme à l'intérêt de la société, ce qu'a recherché le tribunal de commerce, rappelant que le seul désaccord avec les décisions du conseil de surveillance ne suffit pas à justifier le dysfonctionnement de celui-ci, - la recomposition du conseil de surveillance date d'à peine 6 mois et a été confirmée par l'assemblée générale, la société Amber ayant à l'époque exprimé sa satisfaction d'y voir siéger des membres dont elle demande aujourd'hui la révocation,
- la décision de renouvellement anticipé du mandat de gérant de Arnaud L. était justifiée par la nécessité de mettre en phase la stratégie des 4 prochaines années avec le mandat du gérant,
- le désir de contrôler le conseil de surveillance ne justifie pas la convocation d'une assemblée générale et il sera temps en mai 2021, lors de la prochaine assemblée générale annuelle de mettre ces questions à l'ordre du jour, sans qu'il y ait lieu de la devancer au risque de perturber la société à un moment où il faut au contraire rassurer les marchés,
- en réalité alliées de circonstances les sociétés Amber et Vivendi poursuivent un intérêt propre, et n'ont pas accepté le partenariat conclu avec le Groupe A. en août 2010, et elles souhaitent prendre le contrôle de la société,
- ce partenariat n'a pourtant en rien modifié la composition du capital et le contrôle d'ARCO (associée commanditée et gérante) et n'entraîne aucun contrôle de la gérance de L., puisque le groupe A. a seulement prix une participation d'environ 1/4 du capital de L. Capital, société 'faîtière' d'ARCO,
- les résultats semestriels de L. n'ont rien d'inquiétants et sont le résultat de la crise sanitaire qui a fortement touché l'activité 'travel retail' et non pas d'une quelconque faute du gérant,
- enfin le renouvellement du mandat d'Arnaud L. n'a rien d'illégal ni d'anormal et n'a pas pu motiver la demande de convocation d'une assemblée générale puisque la demande en a été annoncée dès l'annonce du pacte avec Groupe A. et avant le renouvellement du mandat du gérant auquel il ne pourrait en tout état de cause être mis fin puisqu'il a débuté le 17 août 2020 et que le gérant ne peut être révoqué que sur décision unanime des commandités après avis du conseil de surveillance.
Par conclusions remises au greffe le 19 novembre 2020, auxquelles la cour fait expressément référence pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions, l'Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires (« l'ADAM ») demande à la cour de:
- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a déclaré l'intervention volontaire de l'ADAM
recevable,
- réformer la décision déférée en ce qu'elle a:
- débouté les sociétés Amber Capital et Vivendi de l'intégralité de leurs demandes;
- condamné les sociétés Amber Capital solidairement et la société Vivendi à payer
chacune à la société L. SCA la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,
Et statuant à nouveau:
- faire droit aux demandes des sociétés Vivendi, Amber Capital UK LLP et Amber Capital Italia SGR SpA tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc afin de convoquer une assemblée générale de la société L. SCA pour statuer sur les résolutions proposées,
- statuer ce que de droit quant aux dépens d'appel et ce dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ADAM fait essentiellement valoir que:
- l'action L. qui cotait 56,40 euros quand elle est entrée à son capital ne valait plus que 19,43 euros en décembre 2019, les pertes ont été historiques,
- le président du conseil de surveillance, M. V. qui en avril 2020 affirmait que le conseil serait vigilant quant au renouvellement du mandat de M. L. un an plus tard, a finalement laissé ce renouvellement se faire de façon anticipée et sans exercer son rôle, ce que l'ADAM considère comme une trahison, et les circonstances de ce renouvellement décidé en quelques jours rendent peu crédibles la mise en oeuvre d'une véritable stratégie dont aucun détail n'est connu et dont l'énoncé est fait de généralités,
- le pacte de concert du groupe A. avec L. qui modifie la structure de l'un des associés commandités de la SCA, par ailleurs gérant de la société, est de nature à conférer au Groupe A. une influence sur les orientations et la gestion de la société et est susceptible de n'être que le prélude à un rapprochement opérationnel entre le groupe L. et le groupe LVMH en raison des nombreuses synergies qui existent entre les actifs des deux groupes,
- il est de l'intérêt de la société L. SCA, au regard des décisions incompréhensibles prises par son conseil de surveillance depuis la dernière assemblée et des enjeux à venir, d'être dotée d'un conseil de surveillance composé de nouveaux membres,
- dès lors que la demande en est faite par un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins 5 % du capital social, cette convocation est de droit et les seules conditions à remplir sont l'absence de convocation de l'assemblée par les organes légalement ou statutairement compétents, ainsi que, ajouté par la jurisprudence la conformité de la demande à l'intérêt social qui signifie que la demande ne doit pas viser seulement à la satisfaction de fins propres au demandeur, mais doit tendre à une fin légitime,
- toutes les décisions qui ont été prises par le conseil de surveillance de la SCA depuis l'assemblée du 5 mai 2020 témoignent d'un manque total d'indépendance de ce dernier vis-à-vis de la gérance et d'un manque de loyauté vis-à-vis des actionnaires commanditaires dont il est censé être 'l'émanation' et notamment le renouvellement anticipé du mandat de Arnaud L. suivi du remplacement en urgence par cooptation d'un membre du conseil de surveillance à la suite de la démission de deux de ses membres,
- la demande est conforme à l'intérêt social car deux des candidats au conseil de surveillance proposés par les sociétés Vivendi et Amber Capital sont des candidats indépendants et non des représentants de ces dernières et le fait qu'une demande soit conforme à l'intérêt de plusieurs actionnaires n'exclut en rien qu'elle soit également conforme à l'intérêt social dont il convient de rappeler qu'il comprend notamment, sinon principalement, l'intérêt commun des actionnaires,
L'ADAM souligne enfin que Qatar holding, habituellement taisant, a d'ailleurs déclaré la soutenir.
MOTIFS:
Les deux appels étant relatifs à la même ordonnance et tendant à des fins similaires, il convient de les joindre dans le souci d'une bonne administration de la justice.
L'article L. 225-103 du code de commerce prévoit sous un chapitre consacré aux sociétés commerciales, que l'assemblée générale est convoquée par le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas. L'alinéa 2 précise qu'à défaut, l'assemblée peut également être convoquée (...) par un mandataire désigné en justice, à la demande, soit de tout intéressé en cas d'urgence, soit par un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins 5% du capital social, soit d'une association d'actionnaires répondant aux conditions fixées par l'article L. 225-120 du code de commerce.
L'article R. 225-65 du code de commerce précise que les actionnaires peuvent à leurs frais charger l'un d'entre eux de demander au président du tribunal de commerce statuant en référé la désignation du mandataire mentionné à l'article L. 225-103. L'ordonnance fixe l'ordre du jour de l'assemblée.
Le recours à ce texte est un mécanisme subsidiaire de convocation de l'assemblée, en ce qu'il vient se substituer aux organes sociaux légalement et statutairement compétents qui sont en l'espèce la gérance ou le conseil de surveillance (article 19 des statuts). Toutefois, la mise en demeure préalable de ces organes n'est pas imposée pour permettre l'action des minoritaires.
Il n'est pas contesté que les sociétés Amber et Vivendi réunissaient chacune bien plus de 5% du capital social lors de l'acte introductif d'instance.
L'article L. 225-103 du code de commerce ne pose pas d'autre condition explicite à l'aboutissement de cette demande et il n'est notamment pas nécessaire de caractériser une quelconque urgence. En revanche la jurisprudence impose qu'il soit vérifié que la demande soit conforme à l'intérêt social et non à la satisfaction des seules fins propres des demandeurs. Comme pour tout droit, celui-ci ne peut être utilisé abusivement, par exemple pour la seule satisfaction d'un intérêt personnel qui serait contraire à l'intérêt social.
En l'espèce, les demandeurs, estimant que le conseil de surveillance ne joue plus son rôle, font valoir leur volonté d'y être représentés et ce, dans les meilleurs délais et sans attendre l'assemblée annuelle, compte tenu des dysfonctionnements qu'ils allèguent. Ils ajoutent qu'il appartiendra à l'assemblée générale de décider des révocations et nominations demandées et qu'il n'appartient pas au juge des référés du tribunal de commerce et à la cour à sa suite de se prononcer au lieu et place de celle-ci.
La demande portant sur la seule convocation d'une assemblée générale, il ne revient en effet pas à la cour de rechercher s'il est opportun ou non de révoquer puis de nommer des membres du conseil de surveillance à quelques semaines de l'assemblée générale annuelle, mais seulement de déterminer s'il est ou non conforme à l'intérêt social de la société de permettre à l'assemblée générale de se prononcer sur cette demande d'une partie des actionnaires commanditaires et ce en cours d'exercice et à quelques mois de l'assemblée générale annuelle.
A cet égard, il sera relevé que la société L. est une société en commandite par actions et que les actionnaires commanditaires disposent dans une telle structure de pouvoirs très réduits par rapport aux actionnaires commandités, et qu'aux termes de l'article L. 226-4 du code de commerce les membres du conseil de surveillance sont nommés par l'assemblée générale ordinaire des actionnaires, seule compétente, qu'aux termes de l'article L. 226-9, al. 1er, le conseil de surveillance assume le contrôle permanent de la gestion de la société et dispose à cet effet des mêmes pouvoirs que les commissaires aux comptes.
L'article 14 des statuts rappelle qu'il est attendu de ce conseil un rapport sur la gestion destiné à l'assemblée générale ordinaire qui est remis aux actionnaires en même temps que le rapport de la gérance et les comptes annuels de l'exercice. En outre toute opération de cession d'actions, ou d'émission de valeurs mobilières d'ARCO pouvant modifier son contrôle immédiatement ou à terme est soumise à l'agrément préalable de ce conseil qui doit faire connaître sa décision dans les 20 jours de la notification qui lui est faite du projet correspondant.
Ces pouvoirs restreints sont inhérents à cette forme sociale dont l'objectif est précisément de dissocier la détention du capital de la gestion de la société et d'assurer une pérennité de la gérance puisque le gérant ne peut être révoqué que par décision unanime des commandités, que le renouvellement de son mandat de six ans revient également aux commandités, seul l'accord du conseil de surveillance étant nécessaire et l'article 14 des statuts prévoyant une majorité des deux tiers des actionnaires pour refuser in fine la désignation d'un gérant proposée par les associés commandités.
Le conseil de surveillance ne peut donc s'immiscer dans la gestion de la société et il lui est même interdit de s'immiscer dans la gestion externe de la société.
Les participations prises par les investisseurs l'ont donc été en connaissance de ce rôle réduit et toute modification du capital, même importante, n'a donc pas vocation à être l'occasion de remise en cause systématique et immédiate de la composition du conseil de surveillance.
S'il est incontestable que l'intérêt propre des commanditaires est bien de participer à cette instance de contrôle permanent de la gestion, particulièrement en période de turbulences, il n'est pour autant pas établi que cet intérêt propre converge en l'espèce avec celui de la société, dès lors que si un mandataire était désigné à ce jour pour organiser une assemblée générale, le délai de convocation de l'assemblée, évalué par les demanderesses à plus de 50 jours, ne permettrait une telle réunion que quelques semaines avant la date effectivement prévue pour l'assemblée annuelle ordinairement tenue fin mai, alors que par ailleurs l'intérêt de cette convocation doublant les frais nécessaires à la réunion de l'assemblée générale en quelques semaines, n'est pas justifié par les sociétés Amber et Vivendi autrement que par la nécessité d'être au plus vite en mesure d'exercer une mission de surveillance effective de la gestion.
Or la cour relève :
- que, d'une part, l'objectif évoqué à plusieurs reprises tendant à la remise en cause avant le 31 mars 2021 de la décision du conseil de surveillance de renouveler par anticipation pour 4 années le mandat de M. Arnaud L., alors que cette décision n'a fait précédemment l'objet d'aucun recours, ne pourrait être que très difficilement atteint par une convocation anticipée de l'assemblée générale compte tenu des statuts de la société, supposerait notamment, outre les révocations et nominations sollicitées, à très bref délai une décision unanime des commandités le conseil de surveillance ne donnant que son accord aux nominations proposées par les associés commandités et est de toute évidence de nature à déstabiliser inutilement la société à quelques semaines de son assemblée annuelle,
- que, d'autre part, à défaut d'un manquement évident du conseil de surveillance à ses obligations, il n'est pas démontré que celui-ci, tel que composé à ce jour, par des membres agréés lors de la précédente assemblée générale, ne serait pas en mesure de remplir ses missions au cours des trois mois supplémentaires dont il bénéficierait avant qu'une nouvelle assemblée puisse statuer sur les demandes qui seront alors mises à l'ordre du jour par les sociétés Amber et Vivendi dans le cadre de cette assemblée annuelle.
Dès lors, il n'est pas démontré que les demandes des sociétés Amber Capital et Vivendi tendent à des fins conformes à l'intérêt social et il convient de confirmer la décision qui les a rejetées.
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction des affaires enrôlées sous les numéros de RG 20/14832 et 20/14841,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du 14 octobre 2020,
Y ajoutant,
Condamne in solidum les sociétés Amber Capital UK LLP et Amber Capital Italia SGR SpA à payer à la SCA L. la somme totale de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Vivendi SE à payer à la SCA L. la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes sur ce fondement,
Condamne in solidum les sociétés Amber Capital UL LLP, Amber capital Italia SGR SpA et Vivendi SE aux dépens d'appel ces derniers pouvant être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.