Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 15-15.481
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frouin
Rapporteur :
Mme Depelley
Avocat général :
M. Weissmann
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Sevaux et Mathonnet
Vu la connexité joint les pourvois n° N 15-15. 481 à H 15-15. 545 ;
Sur le premier moyen commun aux pourvois :
Attendu, selon les arrêts attaqués (Douai, 30 janvier 2015), que la société 3 Suisses France faisait partie du groupe 3 Suisses International lequel était détenu à 51 % par le groupe de droit allemand Otto ; que le groupe 3 Suisses International était structuré en quatre domaines d'activité dont le commerce à destination des particuliers exercé par la société Commerce BtoC, laquelle contrôlait plusieurs enseignes et sociétés dont la société 3 Suisses France ; qu'à partir du mois de décembre 2010, la société 3 Suisses France a réuni son comité d'entreprise en vue de la présentation d'un projet de réorganisation emportant la fermeture des espaces boutiques et le licenciement économique de l'ensemble des salariés qui y travaillaient ; que soixante cinq des salariés licenciés en janvier 2012 dans le cadre de ces fermetures ont contesté la validité de ces licenciements pour insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi et demandé la condamnation in solidum des sociétés 3 Suisses France, 3 SI Commerce, anciennement dénommée 3 SI BtoC, et Argosyn, anciennement dénommée 3 Suisses International ;
Attendu que les sociétés font grief aux arrêts de les condamner in solidum à verser aux salariés une indemnité au titre de la nullité du licenciement alors selon le moyen :
1°/ que hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l'égard du personnel employé par une autre société de ce groupe, que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; que la fixation, par la direction d'un groupe, de la stratégie d'ensemble du groupe et des objectifs des différentes entités qui le composent ne prive pas les filiales de ce groupe de toute autonomie dans la définition et la mise en oeuvre de leur politique commerciale et, plus généralement, dans la gestion de leur activité économique ; qu'en se bornant en l'espèce à relever, pour affirmer que la société 3 Suisses France ne disposait d'aucune autonomie dans la définition de sa politique commerciale, que le groupe fixait sa vision, sa stratégie et présentait au conseil d'administration ses objectifs et ses plans à trois ans pour l'ensemble des enseignes du groupe, ce qui est insuffisant à faire ressortir une immixtion de la direction du groupe dans la gestion économique de la société 3 Suisses France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ que la centralisation des fonctions supports des différentes filiales opérationnelles d'un groupe au sein d'une société holding et la conclusion de conventions d'assistance technique entre ces filiales opérationnelles et la société holding n'ont pas pour effet de transférer la gestion économique et sociale de ces filiales à la société holding, ni par suite de créer une situation de co-emploi ; qu'en se bornant à relever, pour caractériser une immixtion des sociétés 3 Suisses International et 3 SI BtoC dans la gestion économique et sociale de la société 3 Suisses France, qu'un contrat de prestation de services administratifs et d'assistance technique, conclu avec la société 3 Suisses International et mis en oeuvre par la société 3 SI BtoC, prévoyait la fourniture d'une assistance à la société 3 Suisses France dans différents domaines moyennant rémunération et que des services relevant auparavant des différentes enseignes de la division « B to C » ont été centralisés au sein de la société 3 SI BtoC entraînant le transfert des équipes informatiques, ressources humaines et comptables au sein de cette société, sans constater qu'au-delà de la simple assistance technique prévue au contrat, les sociétés 3 Suisses International et 3 SI BtoC se seraient substituées à la société 3 Suisses France dans la gestion économique et sociale de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
3°/ qu'en se bornant à relever que les services prévus au contrat d'assistance technique conclu avec la société Argosyn et mis en oeuvre par la société 3 SI Commerce consistaient notamment en « l'assistance et la coordination en matière de stratégie et de développement », en une « assistance à la mise en place et au développement d'outils de prévision économique et de suivi budgétaire ainsi qu'en la mise en place d'un secrétariat général compétent en matière de ressources humaines et notamment de recrutement, formation, mobilité », la cour d'appel n'a fait ressortir ni que ce contrat aurait excédé un domaine purement technique, ni qu'il aurait conduit à déposséder la société 3 Suisses France de toute autonomie dans les domaines économique et social ; qu'elle a en conséquence privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
4°/ qu'une société appartenant à un groupe ne peut être considérée co-employeur des salariés d'une autre société du même groupe qu'en cas d'immixtion générale et permanente de la première dans la gestion sociale de la seconde ; qu'en se bornant à relever que le contrat d'assistance mis en oeuvre par la société 3 SI BtoC conduisait au transfert des équipes ressources humaines en son sein, que le directeur des ressources humaines de la société 3 SI BtoC avait indiqué disposer d'un « pouvoir permanent pour agir dans toutes les sociétés relevant du domaine (B to C) dont la société 3 Suisses France » et vouloir centraliser l'organisation du recrutement afin de disposer d'une vision globale des postes à pourvoir, ce qui est insuffisant à faire ressortir une prise en main générale et permanente, par la société 3 SI BtoC, de la gestion sociale de la société 3 Suisses France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
5°/ qu'une société appartenant à un groupe ne peut être considérée co-employeur des salariés d'une autre société de ce groupe qu'à la condition que soit caractérisée une immixtion générale et permanente de la première dans la gestion sociale de la seconde ; qu'en l'espèce, les sociétés exposantes faisaient valoir qu'après la création de la société 3 SI BtoC et la centralisation des services support en son sein, la société 3 Suisses France avait conservé sa propre direction des ressources humaines qui procédait seule notamment au recrutement des salariés, aux licenciements et à la gestion des relations sociales, comme en attestaient des contrats de travail et lettres de licenciement, notamment de cadres supérieurs, signés par la seule directrice des ressources humaines de l'entreprise, des accords collectifs d'entreprise négociés et conclus par cette même directrice et des procès-verbaux de réunions du comité d'entreprise auxquelles cette directrice avait seule participé, en qualité de représentant de l'employeur ; qu'étaient également versés aux débats les rapports d'entretien d'évaluation, notamment de cadres de l'entreprise, établis par des cadres de direction de la société 3 Suisses France ; qu'en affirmant que la société 3 Suisses France était totalement dépossédée de son pouvoir de recrutement et, plus largement, qu'elle n'était plus autonome dans la gestion sociale, sans s'expliquer sur ces éléments qui étaient de nature à faire ressortir que la société 3 Suisses France assurait la direction quotidienne de son personnel et la gestion des relations sociales, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ que la mise en place de procédures harmonisées ou d'outils de gestion visant à homogénéiser les pratiques au sein d'un groupe, qui procède de la simple coordination des actions économiques des sociétés appartenant à un même groupe, ne crée pas une situation de co-emploi ; qu'en relevant encore, pour attribuer la qualité de co-employeur à la société 3 SI BtoC et à la société 3 Suisses International, la mise en place d'un « système d'information intéressant les ressources humaines » concernant les enseignes les plus importantes du groupe dont la société 3 Suisses France, et la diffusion, par le secrétaire général du groupe, d'un support d'entretien annuel d'évaluation destiné à mutualiser, homogénéiser et harmoniser les meilleures pratiques d'entretien, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs radicalement inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
7°) qu'en se bornant à relever, s'agissant de la gestion économique de la société 3 Suisses France, que les problèmes de nature contractuelle, administrative et financière rencontrés par la société 3 Suisses France étaient gérés par le service comptabilité clients et bancaire de la société 3 SI BtoC, et que le service juridique de la société 3 Suisses International est intervenu, à deux reprises, dans la gestion de difficultés d'ordre juridique intéressant la société 3 Suisses France, la cour d'appel n'a pas caractérisé une immixtion générale et permanente des sociétés 3 Suisses International et 3 SI BtoC dans la gestion économique de la société 3 Suisses France et a, en conséquence, encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
8°/ que dans leurs conclusions d'appel, les sociétés 3 Suisses France et 3 SI BtoC soulignaient que la société 3 Suisses France avait conservé sa propre direction financière, qu'elle établissait elle-même des bons de commandes et était destinataire des factures des produits commandés, y compris pour des approvisionnements d'un montant particulièrement élevé ; que, pour le justifier, elle produisait plus d'une centaine de factures et bons de commandes ; qu'en évoquant le rôle du service comptabilité clients et bancaire de la société 3 SI BtoC sur les approvisionnements de la société 3 Suisses France, sans s'expliquer sur ces éléments établissant que la société 3 Suisses France restait maîtresse de ses approvisionnements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 455 du code de procédure civile ;
9°/ qu'en relevant encore, pour affirmer que les sociétés 3 SI BtoC et 3 Suisses International doivent être considérées comme co-employeurs de la société 3 Suisses France, l'existence d'une « confusion » ou d'une « distinction malaisée » entre la société 3 SI BtoC et la société 3 Suisses International, la cour d'appel s'est encore fondée sur des motifs impropres à faire ressortir une situation de co-emploi de chacune de ces sociétés avec la société 3 Suisses France, privant encore sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
10°/ que ne caractérise pas une situation de co-emploi le fait que le capital d'une société soit détenu pour l'essentiel par une autre société, qu'elles aient leur siège social à la même adresse et que leurs équipes dirigeantes soient composées pour partie des mêmes personnes ; que ne caractérise pas non plus une situation de co-emploi le fait qu'une société mère apporte assistance à sa filiale, notamment lors de la mise d'une réorganisation impliquant un licenciement collectif ; qu'à supposer adoptés les motifs des premiers juges, en relevant encore que le capital de la société 3 Suisses France est détenu directement par la société 3 SI BtoC et indirectement par la société 3 Suisses International, que les trois sociétés ont le même siège social, qu'elles ont des équipes dirigeantes en partie communes et que les sociétés 3 SI BtoC et 3 Suisses International ont apporté assistance à la société 3 Suisses France à l'occasion de la fermeture des espaces boutiques et des recherches de reclassement, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé qu'au moment de la réorganisation, la société 3 SI Commerce anciennement dénommée Commerce BtoC se confondait totalement avec la société 3 Suisses International, dont elle n'était qu'une émanation et n'avait pour objet que de faciliter la transformation de la société 3 Suisses France et des autres sociétés du domaine en de simples " business unit " relevant directement du groupe, que la distinction de la société Commerce BtoC avec la société 3 Suisses international était particulièrement malaisée comme en atteste le fait que les contrats d'assistance, mis en oeuvre par la société Commerce BtoC, avaient été conclus avec la société 3 Suisses international ; que cette réorganisation a conduit à une immixtion de la société BtoC dans la gestion économique et sociale de la société 3 Suisses France par le transfert de ses équipes informatiques, comptables et surtout de ressources humaines notamment dans la formation, la mobilité et le recrutement ; qu'ainsi au cours d'une réunion du comité d'entreprise le 10 novembre 2010, tant le directeur général de la société 3 Suisses France et membre du comité de direction BtoC que le directeur des ressources humaines de la société et du domaine BtoC rappelaient que ce dernier disposait d'un pouvoir permanent pour agir dans toutes les sociétés relevant de ce domaine dont la société 3 Suisses France ; que ce même directeur mentionnait au cours de cette réunion que l'organisation du recrutement était centralisée afin qu'il puisse disposer d'une vision globale de tous les postes à pourvoir dans le domaine, la société 3 Suisses France étant totalement dépossédée de son pouvoir de recrutement ; qu'il qualifiait de cabinet de recrutement le service ressources humaines BtoC, devenu le seul interlocuteur par l'effet d'une délégation de fait dans ce secteur par la société 3 Suisses France afin que son dirigeant ne s'occupe plus désormais que de l'opérationnel ; qu'en outre la société Commerce BtoC, prenait en charge tous les problèmes de nature contractuelle, administrative et financière rencontrés par la société 3 Suisses France au moyen de son service comptabilité clients et bancaire dont le contrôle s'exerçait jusqu'aux feuilles de caisse mensuelles que les responsables des espaces 3 Suisses France devaient transmettre régulièrement à ce service ; qu'enfin, c'est le service juridique de la société 3 Suisses international qui a substitué la société 3 Suisses France dans ses démarches auprès du parquet à l'occasion des poursuites pénales engagées contre des hôtesses prévenues de détournement d'argent au préjudice de la société 3 Suisses France et a été amené à intervenir pour dénoncer les contrats conclus avec les retoucheuses à l'occasion de la fermeture des espaces ;
Qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a ainsi caractérisé, au delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activité et de direction se manifestant par une immixtion des sociétés 3 Suisses International devenue Argosyn et Commerce BtoC devenue 3 SI Commerce dans la gestion économique et sociale de la société 3 Suisses France ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.