CA Lyon, 3e ch. A, 29 juin 2017, n° 16/07456
LYON
Arrêt
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 23 décembre 2011, la S.C.I. MYTHOMAUDE a consenti à la S.A.R.L. SERIC BGC un bail commercial pour une durée de neuf années du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2020 moyennant un loyer annuel de 14.400 € HT charges comprises.
Le 25 février 2015, les parties ont signé une convention de résiliation amiable et anticipée par laquelle la société SERIC BGC s'engageait à quitter les lieux au plus tard le 30 avril 2015, à régler les loyers et charges dus à cette date, soit une somme de 1.255 € HT, entre le 1er et le 5 avril et à verser, le jour de la signature de la convention, une indemnité de résiliation fixée à 2.510 € HT.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 mai 2015, la société MYTHOMAUDE a mis en demeure la société SERIC BGC de régler la somme de 4.518 € TTC représentant le loyer d'avril et l'indemnité de résiliation.
Par acte du 5 juin 2015, la société MYTHOMAUDE a assigné en référé, non pas la société SERIC BGC qui avait été radiée du registre du commerce et des sociétés le 29 avril 2015, mais la société SERIC LYON ; par ordonnance du 1er juillet 2015, cette dernière a été condamnée au paiement de la somme de 4.518 € à titre provisionnel et de celle de 600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile..
Cette somme a été payée par deux chèques du 10 juin 2015 adressés à la société MYTHOMAUDE durant la procédure de référé.
Le 23 décembre 2015 la société MYTHOMAUDE a assigné la société SERIC LYON remettant en cause la convention de résiliation amiable du 25 février 2015 et demandant l'entier règlement des loyers qui auraient été exigibles en l'absence de convention de rupture.
La société SERIC LYON a indiqué qu'elle était étrangère au litige et que c'était la société SERIC GROUP qui venait aux droits de la société SERIC BGC ; la société MYTHOMAUDE a fait assigner cette dernière et a demandé la jonction des procédures.
Par jugement rendu le 28 septembre 2016, le tribunal de commerce a :
- dit que l'appel en cause de la société SERIC GROUP venant aux droits de la société SERIC BGC est recevable,
- prononcé la jonction des deux instances,
- donné acte à la société MYTHOMAUDE qu'elle renonce à toute demande contre la société SERIC LYON,
- débouté la société MYTHOMAUDE de l'ensemble de ses demandes à l'égard de la société SERIC GROUP venant aux droits de la société SERIC BGC,
- débouté la société SERIC GROUP venant aux droits de la société SERIC BGC de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la société MYTHOMAUDE à payer à la société SERIC LYON la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société MYTHOMAUDE à payer à la société SERIC GROUP venant aux droits de la société SERIC BGC, la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société MYTHOMAUDE aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue le 20 octobre 2016, la société MYTHOMAUDE a interjeté appel.
Par conclusions numéro 1 déposées le 19 janvier 2017, la société MYTHOMAUDE demande à la cour de :
- confirmer la jonction des instances l'opposant aux sociétés SERIC LYON et SERIC GROUP,
- infirmer l'intégralité des autres dispositions du jugement entrepris,
- en conséquence, accueillir ses demandes, la dire bien fondée et en conséquence,
- lui donner acte de ce qu'elle ne formule plus aucune demande à l'encontre de la société SERIC LYON,
- condamner la société SERIC GROUP venant aux droits de la société SERIC BGC à lui payer :
* la somme de 49.698,00 € TTC,
* à titre de dommages et intérêts, la somme de 2.000 €,
* sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3.360 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et la somme de 2.160 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- rejeter toutes autres demandes contraires,
- condamner la société SERIC GROUP venant aux droits de la société SERIC BGC aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société MYTHOMAUDE confirme qu'elle renonce à toute demande à l'encontre de la société SERIC LYON mais estime que pour autant il ne peut être alloué à celle-ci une indemnité procédurale, ni en première instance ni en appel, car les sociétés SERIC BGC, SERIC GROUP et SERIC LYON ont le même siège social, le même gérant et le même conseil, que les sociétés SERIC BGC et SERIC GROUP ont le même objet social ; que devant le juge des référés la société SERIC LYON a indiqué que les chèques de paiement avaient été envoyés mais non qu'elle n'était pas la débitrice ; qu'ainsi, en n'évoquant pas la transmission universelle de patrimoine qui avait eu lieu, les sociétés SERIC ont entretenu une confusion. De plus, les sociétés SERIC LYON et SERIC GROUP, ont refusé la première, d'accepter son désistement et la seconde, d'intervenir volontairement en première instance, comme elle l'a proposé dès qu'il a été justifié que la société SERIC LYON ne venait pas aux droits de sa locataire ; que de plus, les deux sociétés ayant le même conseil, la société SERIC LYON n'a pas subi de préjudice au titre des frais irrépétibles.
Sur les demandes qu'elle dirige à l'encontre de la société SERIC GROUP, elle soutient que la convention du 25 février 2015 doit être remise en cause aux motifs suivants :
- la convention a été rédigée par le conseil de la locataire sans qu'elle soit assistée d'un professionnel de sorte qu'elle n'a pas pu apprécier la portée de son engagement et qu'elle a été victime d'un dol destiné à la léser,
- l'indemnité qui lui a été proposée est sans commune mesure avec celle à laquelle elle aurait pu prétendre,
- elle a dû engager une procédure de référés pour obtenir le paiement du loyer d'avril et de l'indemnité de résiliation fixée par la convention,
- aucun exemplaire de la convention signée par la société SERIC BGC ne lui a été transmis,
- aucun esprit de concession n'a animé cette transaction en dépit de la contrepartie dérisoire qui lui a été accordée contre l'abandon de ses droits,
- la société SERIC BGC a fait preuve de violences psychologiques et économiques en utilisant de manière illégitime sa situation de puissance économique à son encontre comme le démontrent les attestations versées aux débats, les dirigeants du groupe SERIC ayant indiqué qu'en cas de refus d'accepter la résiliation, ils entameraient une procédure de liquidation judiciaire de la société SERIC BGC et que dans ce cas là, le bailleur ne pourrait prétendre à aucune indemnité.
Sur sa demande de dommages-intérêts, elle met en avant l'ancienneté du contentieux, la durée de la procédure, les difficultés occasionnées depuis la prise de conscience du comportement des sociétés SERIC.
Dans le denier état de leurs conclusions numéro 1 déposées le 2 février 2017, les sociétés SERIC GROUP et SERIC LYON demandent à la cour de :
- déclarer leurs demandes recevables et bien fondées,
- rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société MYTHOMAUDE,
- confirmer le jugement entrepris dans son entier dispositif,
- condamner la société MYTHOMAUDE à verser à la société SERIC GROUP :
* la somme de 5.000 €, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* la somme de 8.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société MYTHOMAUDE à verser à la société SERIC LYON :
* la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société MYTHOMAUDE aux entiers frais et dépens.
S'agissant de la condamnation de la société MYTHOMAUDE au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les sociétés intimées font valoir que :
- l'appelante a commis une erreur grossière en assignant la société SERIC LYON devant le juge de référés puis devant le tribunal de commerce car elle n'a pas vérifié qui était son contractant,
- la société MYTHOMAUDE ne peut tenir pour responsable de son erreur la société SERIC LYON au motif que celle-ci a cru suffisant de rappeler, lors de l'instance de référé, que les sommes réclamées avaient été payées sans préciser qu'elle n'était pas concernée par la procédure, procédure que la société MYTHOMAUDE a cependant maintenue dans le seul but d'obtenir une indemnité procédurale,
- par la suite et alors que l'action en paiement n'avait plus d'objet, l'appelante a assigné la société SERIC LYON au fond et elle n'a admis son erreur que tardivement sans pour autant vouloir en assumer les conséquences alors qu'elle a fait des diligences pour se défendre engageant ainsi des frais qui se poursuivent en appel ; la société MYTHOMAUDE a fait preuve d'un acharnement procédural à l'égard de la société SERIC LYON qui n'est pas justifié par la prétendue confusion, laquelle ne peut résulter de l'organigramme d'un groupe qui n'a pas été pensé dans le seul dessein de tromper l'appelante.
Sur la convention litigieuse, les intimées en soutiennent la validité sur le fondement des articles 1134 et 2044 du code civil, aux motifs que :
- la convention n'est pas une transaction mais un accord révocatoire de contrat par lequel les parties ont décidé, d'un commun accord et sous conditions, satisfaites à ce jour, de mettre fin à un bail,
- le principe de concession réciproque ne trouve donc pas à s'appliquer pas plus que l'article 2053 du code civil sur la modification des transactions,
- en matière de bail commercial, l'accord révocatoire n'est soumis à aucune condition de forme et l'appelante ne prouve pas que l'accord ne respecte pas le droit commun des contrats auquel il est soumis.
Elles contestent le dol invoqué par l'appelante, aucune manœuvre dolosive n'étant prouvée, le recours à un professionnel dans la rédaction de l'acte, seul fait invoqué, étant destiné à sécuriser les rapports juridiques entre les parties et le rédacteur n'étant pas intervenu dans la négociation librement menée entre les parties.
Elles ajoutent que, contrairement à ce qu'avance l'appelante, la convention a bien été régularisée comme l'atteste l'exemplaire qu'elles produisent.
Sur la violence invoquée et qu'elles contestent, elles expliquent que la direction du groupe a dû choisir entre déposer une déclaration de cessation des paiements conduisant à la liquidation judiciaire de la société SERIC BGC ou bien opérer une transmission universelle de patrimoine afin de faire supporter les pertes par la société mère ; que la décision était conditionnée par la cessation, ou non, des relations calamiteuses d'une part, avec Bruno G., qui était gérant et associé de la société SERIC BGC et dont la gestion catastrophique avait conduit la société à l'état de cessation des paiements, et d'autre part, avec la société MYTHOMAUDE, de laquelle Bruno G. était associé et dont la gérante était son épouse. La résiliation du bail a permis à la société MYTHOMAUDE de bénéficier d'une indemnité qu'elle n'aurait pas perçue dans le cadre d'une liquidation judiciaire en raison du gouffre financier laissé par Bruno G. ; elle a permis également d'alléger considérablement le passif et par-là à la société mère de le prendre en charge.
En conséquence, la décision du groupe était dictée par l'intérêt social et relevait de sa prérogative la plus élémentaire. Or, l'exercice d'un droit, en dehors d'un abus, ne peut pas constituer une violence.
Pour plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour renvoie, en application de l'article 455 du code de procédure civile aux conclusions déposées par les parties et ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes de la société MYTHOMAUDE :
Aux termes de l'article 1134 du code civil antérieur à l'ordonnance du 10 février 2016, les parties peuvent révoquer une convention par consentement mutuel.
Selon l'article 2044 du code civil, les parties peuvent conclure une transaction pour mettre fin à une contestation née ou prévenir une contestation à naître.
En l'espèce la société MYTHOMAUDE et la société SERIC BGC ont résilié, par convention du 25 février 2005, de manière amiable et anticipée le bail à usage commercial qu'elles avaient conclu le 1er janvier 2012 pour une durée de neuf années expirant le 31 décembre 2020 et ont réglé les conséquences de cette résiliation.
Cet accord qui n'a pas mis fin à une contestation née et n'a pas prévenu de contestation à naître n'est pas une transaction au sens de l'article précité de sorte que le moyen tenant à l'absence de concessions réciproques est inopérant.
S'agissant du dol invoqué par la société MYTHOMAUDE, il lui appartient de le prouver.
Le fait que l'acte ait été rédigé par le conseil de la SERIC BGC alors que la société MYTHOMAUDE n'était pas assistée d'un professionnel relève du choix de cette dernière ; il ne caractérise pas une manoeuvre dolosive de la part de la SERIC BGC et ne permet pas de présumer que la société MYTHOMAUDE n'a pas été en mesure d'apprécier, comme elle l'affirme, le contenu et la portée de l'acte et ce d'autant moins, que l'accord avait été négocié directement entre les parties ainsi que le mentionne l'acte lui-même.
De même il appartient à la société MYTHOMAUDE de prouver la violence économique qu'elle impute à la société SERIC BGC à laquelle elle reproche d'avoir utilisé de manière illégitime sa situation de puissance économique et d'avoir abusé de l'état de dépendance de son cocontractant pour obtenir un contrat qu'elle n'aurait pas signé sans une telle contrainte et par-là un avantage excessif.
Elle produit les attestations du beau-frère, de la fille et d'une amie de Bruno G., qui était le gérant de la société SERIC BGC, et de son épouse Laurence G., qui était la gérante de la société MYTHOMAUDE, et qui rapportent les propos de ces derniers sur les circonstances dans lesquelles la convention de résiliation du bail a été signée.
Ces attestations qui ne contiennent pas la relation de faits auxquels leur auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés, ne constituent pas des témoignages au sens de l'article 202 du code de procédure civile et sont dépourvues de valeur probante.
De plus, le fait pour les dirigeants du groupe SERIC de mettre en avant l'ouverture d'une liquidation judiciaire de la société SERIC BGC et ses conséquences sur le bail ce qui ne pouvait résulter que de l'état de cessation des paiements de la société que son gérant, Bruno G., avait l'obligation légale de déclarer dans les 45 jours, pour proposer une résiliation amiable et anticipée du bail moyennant une indemnité afin de permettre la prise en charge du passif par la société SERIC GROUP, ne constitue ni une utilisation illégitime d'une situation de puissance économique ni l'exploitation d'un état de dépendance du bailleur.
En conséquence, il y a lieu, par confirmation du jugement entrepris, de débouter la société MYTHOMAUDE de ses demandes à l'encontre de la société SERIC GROUP.
Sur la demande reconventionnelle de la société SERIC GROUP, les dépens et les frais irrépétibles :
Le droit d'ester en justice ne peut donner lieu à dommages-intérêts que s'il a dégénéré an abus ce qui n'est pas caractérisé en l'espèce. Il y lieu de débouter la société SERIC GROUP de la demande présentée de ce chef.
Succombant dans son action et dans son recours, la société MYTHOMAUDE doit supporter les dépens de première instance et d'appel, garder à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a exposés et verser à la société SERIC GROUP une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'indemnité allouée par les premiers juges doit être confirmée et une indemnité complémentaire de 3.000 € doit être ajoutée en cause d'appel.
Sur les demandes de la société SERIC LYON :
Il relève de la responsabilité de celui qui agit en justice de vérifier l'identité et le domicile de la personne contre laquelle il entend diriger son action.
En l'espèce, l'extrait K bis de la société SERIC BGC, qui était le contactant contre lequel la société MYTHOMAUDE voulait diriger son action en référé puis devant le tribunal de commerce, mentionne au 16 mars 2015, soit antérieurement à l'introduction des instances, la déclaration de dissolution de la société par décision de l'associé unique la société SERIC GROUP, dont le siège social et le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés de Lyon, sont précisés, en application de l'article 1844-5 du code civil et à la date du 29 avril 2015, la radiation de la société par suite de transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique.
Ces mentions étant antérieures à l'introduction des instances, la mise en cause de la société SERIC LYON résulte du seul fait de la société MYTHOMAUDE.
Si cette négligence ne rend pas abusive la procédure à l'encontre de la société SERIC LYON ce qui conduit à débouter cette dernière de sa demande de dommages-intérêts, elle justifie la condamnation de la société MYTHOMAUDE à participer aux frais irrépétibles qu'elle l'a contrainte à exposer devant le tribunal de commerce puis devant la cour d'appel alors qu'elle avait abandonné ses demandes à son encontre en cours de première instance. L'indemnité allouée par les premiers juges doit être confirmée et une indemnité complémentaire de 2.000 € doit être ajoutée en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris,
Condamne la S.C.I. MYTHOMAUDE à payer à la S.A. SERIC GROUP, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en cause d'appel, une indemnité complémentaire de 3.000 €
Condamne la S.C.I. MYTHOMAUDE à payer à la S.A.R.L. SERIC LYON, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en cause d'appel, une indemnité complémentaire de 2.000 €,
Condamne la S.C.I. MYTHOMAUDE aux dépens d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.