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Décisions

Cass. com., 19 octobre 1999, n° 97-21.601

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Métivet

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

Me Garaud, Me Choucroy, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Paris, du 7 oct. 1997

7 octobre 1997

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 1997), que la société Lagardère SCA, estimant qu'une opération de restructuration qu'elle projetait en accord avec MM. A... et D... l'amènerait à franchir les seuils du tiers et de la moitié du capital de la société Filipacchi Médias, a saisi le Conseil des marchés financiers (le Conseil) d'une demande de dérogation à l'obligation de déposer une offre publique d'achat, sur le fondement de l'article 5-4-6 a) de son règlement général, selon lequel une telle dérogation peut être accordée si l'acquisition résulte d'une fusion ou d'un apport partiel d'actif, approuvé par les actionnaires de la société visée ; que M. C..., actionnaire de la société Filipacchi Médias, a formé un recours devant la cour d'appel de Paris contre la décision du Conseil du 2 juillet 1997 accordant la dérogation sollicitée ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. C... reproche à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu à ordonner la production au dossier des pièces qu'il demandait et, en conséquence, n'y avoir lieu à surseoir à statuer alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'extrait d'un procès-verbal d'une séance des délibérations du Conseil, paraphé par le président, dont la production aux débats est destinée à établir que l'un des membres présents n'a pas pris part à celle des délibérations de l'ordre du jour qui concerne une société dans laquelle il détient un mandat, ne comporte aucune mention d'où il résulte nécessairement, qu'il n'y a pas pris part et qu'ainsi a été respectée l'interdiction prescrite par l'article 30 de la loi du 2 juillet 1996, en l'absence de toute mention dans cet extrait, que le membre du Conseil, à qui l'article 30 faisait interdiction de délibérer sur une affaire à l'ordre du jour, a satisfait à l'obligation qui lui était alors faite de porter cette information à la connaissance du président et que, cette information ayant été tenue à la disposition des membres du Conseil, la délibération à laquelle il ne devait pas prendre part, s'est déroulée conformément aux mesures appropriées prises par le président du Conseil pour assurer le respect desdites obligations et interdictions, qu'en se déterminant comme elle a fait la cour d'appel a violé les articles 30 de la loi du 2 juillet 1996 et 5 du décret du 3 octobre 1996 ; alors, d'autre part, qu'en l'état d'un extrait du procès-verbal de séance des délibérations du Conseil, dont la mention liminaire permet seulement de supposer qu'un nombre indéterminé de membres présents n'ont pas pris part aux délibérations, en application des dispositions de l'article 30 de la loi du 2 juillet 1996, mais ont été réputés absents au sens du premier alinéa de l'article 4 du décret n° 96-868 du 3 octobre 1996, et dont les mentions qui suivent ajoutent : " I. Opérations financières 1° Examen des conséquences du changement de contrôle d'une société. - Jean-Bernard B..., puis Isabelle Y... rejoignent la séance du Conseil ; 2° Demande de dérogation à l'obligation de déposer un projet d'offre publique. A.../Patricia X... IV. Questions diverses Philippe Z... rejoint la séance du Conseil ", ledit extrait qui ne mentionne pas qu'à l'instar de Patricia X..., Philippe Z... n'a pas participé à la délibération concernant la société dont il détenait un mandat, ne pouvait être retenue comme faisant preuve du contraire ; et ce, alors d'autant que le membre de phrase le concernant dans cet extrait ne permet pas de savoir si l'intéressé a quitté la séance avant que la délibération ne débute ou seulement au moment du vote du Conseil ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait la cour d'appel a dénaturé le sens clair et précis de l'extrait du procès-verbal ; et alors, enfin, que l'article 5 du décret du 3 octobre 1996, disposant que le procès-verbal des délibérations du Conseil établi lors d'une séance, ne constitue qu'un " projet " tant qu'il n'a pas été ratifié par le Conseil lors de sa séance suivante, la cour d'appel ne pouvait retenir l'extrait du procès-verbal des délibérations qui lui était produit comme faisant preuve d'un fait qui n'y était d'ailleurs pas énoncé, sans s'être au préalable assurée qu'en sa séance suivante, le Conseil avait approuvé les termes dudit procès-verbal ;

qu'en se déterminant comme elle l'a fait la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des dispositions de l'article 5 du décret du 3 octobre 1996 ;

Mais attendu, en premier lieu, que M. C... ayant soutenu dans ses écritures devant la cour d'appel que l'extrait de procès-verbal de la séance du 2 juillet 1997 produit par le Conseil était " difficilement compréhensible ", est irrecevable à soutenir devant la Cour de Cassation, à l'appui d'un grief de dénaturation, que ses termes étaient clairs et précis ;

Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions, que M. C... ait soutenu devant la cour d'appel les prétentions qu'il fait valoir au soutien des première et troisième branches du moyen ; que celui-ci est donc nouveau ; qu'il est mélangé de fait et de droit ;

D'où il suit que le moyen est irrecevable en ses trois branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. C... fait encore le même reproche à l'arrêt et lui fait, en outre, grief d'avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil du 2 juillet 1997, alors, selon le pourvoi, que l'article 5-4-7 du règlement général disposant que si le Conseil accorde la dérogation demandée, il le fait connaître par un avis publié par la Société des bourses françaises, précisant notamment le motif de la dérogation accordée et le cas échéant la teneur des engagements souscrits par l'acquéreur, cet avis ne se confond pas avec la décision au vu et en exécution de laquelle il a été publié, pas plus que la motivation de l'avis publié -en l'absence de production de la décision motivée qui en constitue le soutien- ne peut suppléer l'absence de motivation de cette dernière, la conformité de la motivation de l'avis publié à celle de la décision qui en constitue le soutien, devant, par ailleurs, pouvoir être vérifiée par le juge à la demande de toute partie intéressée ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 5-4-6 et 5-4-7 du règlement général, ainsi que de l'article 5 du décret du 3 octobre 1996 ;

Mais attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de la procédure, que contrairement aux allégations du pourvoi, la cour d'appel a statué au vu de la décision du Conseil du 2 juillet 1997 ; d'où il suit que le moyen manque en fait ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. C... fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il demandait par lettre du 16 juin 1997, à être entendu par le Conseil au cas où la société Lagardère SCA présenterait une nouvelle demande de dérogation et que le président de ce Conseil par lettre du 29 juin lui a répondu " Bien entendu, toute personne intéressée peut spontanément adresser au Conseil ses remarques et observations comme l'écrit la Cour demandes, pièces et mémoires qui sont alors joints aux dossiers examinés en séance. Si vous y avez convenance, je vous invite à procéder de la sorte, à me transmettre une note que je ne manquerai pas de produire au Conseil. Si vous souhaitez commenter oralement une telle note, vous pouvez le faire auprès de Mme Marie-Josèphe E... secrétaire général adjoint, au cours d'une réunion à organiser dans des délais compatibles avec l'instruction du dossier " ; que ce faisant le président du Conseil excédait ses pouvoirs, le secrétaire général adjoint du Conseil n'étant pas au nombre de ses membres aux termes de l'article 27 de la loi du 2 juillet 1996, cependant que sa vocation à diriger les services administratifs ne lui confèrent un pouvoir autre qu'administratif pour concourir au respect oral du principe du contradictoire, au cas où le Conseil serait saisi de la demande de dérogation dont s'agit ; que c'est à tort et en violation de l'article 27 de la loi susvisée que la cour d'appel a décidé que par l'offre qui lui était faite de développer oralement sa demande écrite devant le secrétaire général adjoint du Conseil, avait été respecté le principe du contradictoire ; et alors, d'autre part, que si la lettre du 3 juillet 1997 portant à sa connaissance la décision arrêtée la veille par le Conseil est assortie de la précision " Votre position sur ce dossier a été soumise et examinée par le Conseil ", il ne résulte d'aucune des pièces produites, dont l'extrait du procès-verbal des délibérations, que dans sa séance de la veille, les membres du Conseil aient eu communication pour en délibérer, tant de sa lettre motivée du 16 juin 1997, que de sa requête également motivée du 22 juin suivant, tendant à la mise en oeuvre d'une procédure publique sur les actions Filipacchi Médias du fait de la prise de contrôle par Lagardère SCA de NEMM, société mère de A... ", ce dont il résulte qu'ayant usé de la faculté qui lui était ouverte de faire valoir ses observations, il est fondé à se plaindre de ce que le principe du contradictoire n'avait pu être respecté à son égard lors de la séance du 2 juillet 1997, où le Conseil avait délibéré sur la demande de dérogation à laquelle il était opposé ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient que le Conseil n'est pas tenu de prendre sa décision autrement que par l'examen des demandes, pièces et mémoires qui lui sont adressés ou dont il peut demander la production ; que si aux termes de l'alinéa 9 de l'article 27 de la loi du 2 juillet 1996, il peut entendre des personnalités qualifiées, les dispositions de ce texte ne lui font pas obligation d'entendre en séance toute personne intéressée par l'opération examinée qui en fait la demande ; que l'arrêt constate que M. C... a été invité à adresser ses remarques et observations écrites au Conseil, et a ainsi pu faire valoir ses observations sur la demande de dérogation soumise au Conseil par la société Lagardère SCA ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche du moyen ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que M. C... fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi, que contrairement à l'opinion émise par le Conseil dans l'avis publié le 3 juillet 1997 et déclarée exacte par l'arrêt attaqué, Lagardère SCA n'avait pas justifié au Conseil que son opération complexe remplissait l'une des conditions définies à l'article 5-4-6 a) du règlement général pour obtenir une dérogation à l'obligation de déposer un projet d'offre publique d'achat des actions de Filipacchi Médias dès lors que, de la demande de dérogation dont Lagardère SCA avait saisi le Conseil, tout comme de l'avis contesté, il ressortait qu'avant de procéder à la fusion-absorption par Filipacchi Médias de NEMM, qui en avait le contrôle pour détenir 49,7 % de son capital représentant 62 % des droits de vote, Lagardère SCA qui détenait 3,7 % des actions Filipacchi Médias, le reste des actions étant dispersé dans le public, s'était déjà assuré le contrôle de cette société aux termes de conventions passées avec MM. A... et D..., seuls actionnaires de NEMM, et de l'économie desquelles il résultait qu'en contrepartie de la cession immédiate de 39 % de leurs actions NEMM, au prix " fixé par transparence correspondant à 1 200 francs par action Filipacchi Médias " MM. A... et D... se voyaient garantir le reclassement " après fusions " du reliquat de leurs actions sur le marché avec le bénéfice d'une garantie de prix de 1 200 francs, initialement accepté pour 39 % de NEMM, l'exécution de cette convention postulant et impliquant nécessairement de la part de MM. A... et D... la conclusion d'un accord avec Lagardère SCA, ayant pour objet de la laisser disposer seule de la majorité des droits de vote, qu'ensemble ils détenaient désormais dans Filipacchi Médias ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans tenir compte qu'avant " fusions " les conventions sus analysées, constitutives d'un tout indissociable, avaient été exécutées par la réalisation de la vente des 39 % des actions de NEMM, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 5-4-6 a) du règlement général ; alors, d'autre part, que par identité de motifs, elle a également violé mais par refus d'application l'article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966, en ce que cet article dispose qu'une société est considérée comme ayant le contrôle d'une autre, " lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote de cette société, en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés et actionnaires, et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société " ; alors, en outre, que dans HFP -Hachette A... presse - Filipacchi Médias ait détenu une participation minoritaire de 34 % représentant 70 % de la valeur de ses actions et Lagardère SCA une participation majoritaire de 66 %, avec les droits de vote correspondants ne suffit pas pour établir que " préalablement aux opérations de regroupement " devant se traduire par l'absorption de NEMM par Filipacchi Médias et l'apport à elle fait par Lagardère SCA de sa participation de 66 % dans HFP " Lagardère SCA exerçait la maîtrise de la part essentielle des actifs de Filipacchi Médias " comme l'aurait attesté la méthode de l'intégration globale appliquée pour l'établissement des comptes consolidés, ce fait étant d'ailleurs étranger aux dispositions de l'article 5-4-6 a) du règlement général ;

alors, encore, que si ce fait implique le contrôle de A... SCA, antérieurement au " regroupement " ci-dessus, la cour d'appel ne pouvait sans se contredire et violer l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, le tenir pour vrai en retenant également pour vrai le fait contraire, justificatif selon elle de la dérogation demandée au titre de l'article 5-4-6 a) du règlement général ; et alors, enfin, que sans commettre un excès de pouvoirs et violer les droits de la défense, une cour d'appel ne peut fonder sa décision sur un fait qu'elle retient pour vrai, tout en interdisant que la preuve de sa fausseté soit rapportée par les documents contractuels que détient une partie et dont l'autre lui demande d'ordonner à cette fin la production aux débats ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que l'acquisition par la société Lagardère SCA de 39 % du capital de la société NEMM, ne la faisait pas présumer contrôler cette dernière au sens de l'alinéa 2 de l'article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966, sa participation étant restée en deçà de 40 % des droits de vote, la cour d'appel, qui relève exactement qu'un transfert de contrôle de la société NEMM ne pouvait résulter, ni d'une volonté de retrait des actionnaires toujours majoritaires, ni d'une convention de vote dont l'objet était limité à la seule approbation d'une opération de restructuration et en outre soumise quant à ses effets à la mise en oeuvre de cette opération, a pu en déduire que le transfert de contrôle de la société Filipacchi Médias au " groupe " Lagardère résultait des seules opérations d'apport et de fusion, ce qui permettait l'application des dispositions de l'article 5-4-6 a) du règlement général ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant constaté qu'antérieurement aux opérations de regroupement, la société Lagardère SCA exerçait déjà la maîtrise de la part essentielle des actifs de la société Filipacchi Médias constituée par sa participation minoritaire dans la société Hachette Filipacchi presse, ce dont il résultait que les opérations en cause ne modifiaient pas la situation économique des actionnaires minoritaires de la société Filipacchi Médias, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 5-4-6 a) du règlement général ;

Attendu, en troisième lieu, que les deux dernières branches du moyen sont imprécises et ne répondent pas aux exigences de l'article 978, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;

D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en ses trois premières branches, est irrecevable en ses deux autres branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.