Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n° 00-16.713
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Weber
Rapporteur :
M. Villien
Avocat général :
M. Baechlin
Avocats :
SCP Ghestin, SCP Thomas-Raquin et Benabent
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 2000), rendu en matière de référé, que plusieurs maîtres de l'ouvrage, dont la société CCTG, sont intervenus pour la réalisation d'une zone urbaine d'aménagement concerté ; que la société Constructions métalliques tourangelles (CMT), aux droits de laquelle vient la société Barbot CM, a été chargée de l'exécution des travaux de toitures, et s'est intégrée à un groupement constitué de plusieurs autres entreprises de gros oeuvre ; qu'après exécution, un différend s'est élevé concernant l'apurement des comptes et la société Barbot CM a demandé en référé à la société CCTG le paiement de provisions sur le solde des prix des travaux et l'indemnisation de débours supplémentaires ;
Attendu que la société CCTG fait grief à l'arrêt de dire que le marché de la société Barbot avait perdu son caractère forfaitaire, alors, selon le moyen :
1° que le marché à forfait ne peut être révisé qu'en cas de bouleversement de l'économie du contrat, la seule existence de travaux supplémentaires et le dépassement de leur prix ne suffisant pas à caractériser un tel bouleversement ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a constaté que les parties avaient conclu un accord global d'indemnisation des entrepreneurs et qu'ont été acceptés divers travaux supplémentaires et des devis complémentaires ayant fait l'objet de onze avenants au marché de base intervenus dans le cadre de la réalisation d'un marché complexe et évolutif ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser le bouleversement de l'économie du contrat (laquelle n'a au demeurant pas même été analysée par les juges du fond) qui serait résulté de ce protocole du 26 avril 1993 et des cinq avenants au marché de base, la cour d'appel a violé l'article 1793 du Code civil ;
2° que le protocole du 26 avril 1993 conclu entre les maîtres de l'ouvrage et le groupement d'entreprises avait pour objet d'indemniser de façon globale et forfaitaire le groupement d'entreprises de toutes les modifications du marché de base et des difficultés rencontrées ; qu'en déduisant de ce protocole un bouleversement économique du marché, autorisant une révision du prix, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1793 du Code civil ;
3° que seul un bouleversement de l'économie du marché à forfait concernant le " lot toiture " que la cour d'appel a prétendu isoler du marché global aurait permis une révision de ce marché ; qu'en se référant à une convention du 26 avril 1993 et à des avenants concernant le marché global, sans caractériser un bouleversement de l'économie du " lot toiture ", isolé du marché global, la cour d'appel a derechef violé l'article 1793 du Code civil ;
4° que le juge des référés ne peut allouer une provision que si l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; qu'en tranchant la difficulté sérieuse du bouleversement de l'économie du contrat, autorisant une révision du prix, la cour d'appel a violé l'article 809, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le " protocole d'accord " du 26 avril 1993 entre les maîtres de l'ouvrage, au nombre desquels la société CCTG et le groupement d'entreprises, tirait clairement les conséquences des difficultés rencontrées par celles-ci en leur consentant une indemnisation globale de dix millions de francs, et qu'étaient en outre acceptés divers travaux et devis complémentaires représentant onze avenants au marché de base, la cour d'appel a pu retenir, par motifs propres et adoptés, sans trancher de contestation sérieuse, que les nombreuses difficultés rencontrées avaient bouleversé l'économie du contrat, et que les modifications intervenues au cours de la réalisation d'un ensemble complexe et évolutif avaient, de par leur nature, leur coût et leur ampleur, fait perdre à ce marché, comprenant le lot " toiture ", son caractère forfaitaire initial ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société CCTG fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Barbot une provision au titre des débours supplémentaires, alors, selon le moyen :
1° que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'il résulte des propres énonciations du rapport d'expertise que la société CMT n'a apporté aucune justification des plus-values qu'elle réclame, " se contentant d'affirmations non contrôlables " ; qu'en faisant droit aux prétentions de la société Barbot CM, venant aux droits de CMT, par adoption dudit rapport d'expertise, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;
2° que, dans ses conclusions d'appel, la société CCTG faisait valoir que l'expert avait constaté que la société CMT n'avait apporté aucun justificatif aux plus-values qu'elle réclame pour accorder forfaitairement, sans justification, poste par poste, une indemnité à CMT ; qu'en énonçant que la société CCTG ne formulait que " des appréciations d'ordre général " sur les travaux de l'expert, sans énoncer ses prétentions et les moyens sur lesquels ces prétentions étaient fondées, la cour d'appel a violé l'article 954 du nouveau Code de procédure civile ;
3° qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions péremptoires de la société CCTG faisant valoir qu'il résultait des propres constatations et appréciations de l'expert, adoptées par la cour d'appel, que la société Barbot CM n'apportait pas la preuve de ses prétentions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant énoncé, par motifs propres et adoptés, que la somme qu'elle retenait au titre des débours supplémentaires (2 498 988,02 francs HT, soit 2 963 811,65 francs TTC) était celle proposée par l'expert lui-même, et que ces évaluations n'étaient pas utilement critiquées par la société CCTG, la cour d'appel a souverainement déterminé, répondant aux conclusions, le montant de l'indemnisation due à l'entrepreneur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société CCTG fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une provision à la société Barbot, au titre du solde du prix des travaux, alors, selon le moyen, que, dans ses conclusions d'appel, la société CCTG avait fait valoir que l'expert, M. X..., n'avait pris que partiellement en compte les versements qu'elle avait directement effectués pour le " lot toiture " entre les mains du mandataire du groupement pour une somme de 22 485 167,06 francs TTC ; qu'en énonçant que les calculs de l'expert qui avaient pris en compte les sommes directement versées à la société Caillebotis, sous-traitant de CMT, n'étaient pas utilement contestés par la société CCTG, sans répondre aux conclusions invoquant les versements effectués entre les mains du mandataire commun du groupement, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à un simple argument relatif à des versements effectués, qui n'était assorti d'aucune offre de preuve ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs :
REJETTE le pourvoi.