Cass. com., 12 mai 2015, n° 13-28.504
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Le Dauphin
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Piwnica et Molinié
Statuant tant sur le pourvoi n° B 13-28. 504 formé par la société civile professionnelle Henri et Serge X... et les sociétés MMA IARD SA et MMA IARD assurances mutuelles que sur le pourvoi incident relevé par la société Clico Investment Bank Limited et joignant ces pourvois au pourvoi n° B 14-11. 028, formé par la Selarl Y..., agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Caraïbes investissements, la société Batelière investissement, la société d'exploitation de la Batelière, M. Z..., agissant en qualité de liquidateur de cette dernière, MM. Olin, Ralph, Yan et Donald A..., la société Financière de gestion en patrimoine et la société Sofinpar, qui attaquent le même arrêt ;
Donne acte aux parties demanderesses au pourvoi n° B 14-11. 028 du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le comité d'entreprise de l'hôtel Batelière et Mme B... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1992, la société anonyme Caraïbes investissements a acquis « l'hôtel La Batelière », situé à Schoelcher (Martinique), tandis que la société à responsabilité limitée Batelière investissement, sa filiale, faisait l'acquisition d'un terrain attenant à l'hôtel ; qu'en 2006, le groupe Fram a cédé les actions représentant le capital de la société Caraïbes investissements à la société d'exploitation de la Batelière (la société SEB), contrôlée par MM. Olin, Ralph, Yan et Donald A... ; que pour le financement de cette opération, la société Clico Investment Bank Ltd (la banque), immatriculée à Trinidad et Tobago, a, par acte du 16 novembre 2006, consenti un prêt d'un montant de 12, 5 millions d'euros à la société Batelière investment Ltd, la société Seb, représentée par M. Ralph A..., figurant comme partie à l'acte de prêt, en tant que « société mère » ; que par acte du 22 novembre 2006, établi par M. Serge X..., notaire, membre de la société civile professionnelle de notaires « Henri et Serge X... » (la SCP X...), les sociétés Caraïbes investissements et Batelière investissement ont, en garantie de la créance de la banque, chacune consenti à celle-ci une hypothèque, la première sur l'hôtel et, la seconde, sur le terrain attenant ; que la société Caraïbes investissements a été mise en redressement judiciaire, la Selarl Y... (la Selarl Y...) étant désignée en qualité d'administrateur, puis de commissaire à l'exécution du plan de redressement ; que l'administrateur du redressement judiciaire de la société Caraïbes investissements et la société Batelière investissement, faisant valoir que les garanties hypothécaires souscrites le 22 novembre 2006 étaient contraires à l'intérêt de ces sociétés, ont assigné la banque afin qu'elles soient déclarées nulles ; que celle-ci a appelé la SCP X... en garantie ; que les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, ses assureurs, sont intervenues à l'instance ; qu'après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription triennale de l'action en nullité de l'acte du 22 novembre 2006, la cour d'appel a rejeté la demande d'annulation formée par la société Caraïbes investissements, accueilli celle formée par la société Batelière investissement et, retenant que la SCP X... avait manqué à son obligation de conseil à l'égard de la banque, condamné celle-là, solidairement avec ses assureurs, à lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique du pourvoi de la Selarl Y..., ès qualités :
Attendu que la selarl Y..., ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'acte du 22 novembre 2006 à l'égard de la société Batelière investissement, ainsi que sa demande en paiement de dommages-intérêts dirigée contre la banque alors, selon le moyen :
1°/ que l'absence de contestation de la validité d'un contrat par une partie n'établit pas son opposabilité à l'égard de cette dernière ; qu'en écartant le moyen soulevé par la société d'exploitation de la Batelière tiré de la nullité du contrat de prêt en relevant que celui-ci n'avait « pas été contesté » devant les juridictions du pays où il avait été passé, la cour d'appel a statué par un motif impropre à établir sa validité et partant, l'opposabilité d'un tel contrat à l'égard de « l'exposante », violant ainsi l'article 1134 du code civil ;
2°/ qu'aux termes de la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 20 du contrat de prêt litigieux, les parties avaient convenu que « les tribunaux et cours de Trinidad et Tobago seront compétents, de manière non-exclusive, pour juger et trancher (i) les demandes d'octroi de mesures provisoires qui resteront en vigueur jusqu'au débat sur le fond tranché par les arbitres tel que défini par l'article 21, (ii) les demandes de mainlevée ou de changement desdites ordonnances et (iii) les appels » ; que cette clause n'excluait donc pas la possibilité, pour les parties, de contester directement devant les juridictions de Fort-de-France la validité du contrat de prêt ; qu'en écartant cependant le moyen soulevé par la société d'exploitation de la Batelière tiré de la nullité du contrat de prêt litigieux motif pris que ce contrat n'avait pas été contesté « devant les juridictions du pays étranger (Trinidad et Tobago) où il avait été passé », la cour d'appel a méconnu les termes de la clause attributive de juridiction qui réservait une compétence « non-exclusive » des tribunaux et cours de Trinidad et Tobago, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;
3°/ que le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut relever d'office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à s'en expliquer contradictoirement ; qu'en jugeant que la Société d'Exploitation de la Batelière était mal fondée à soutenir que M. Ralph A... n'avait pas valablement engagé cette société lors de la signature de l'acte de prêt en relevant d'office le moyen tiré de l'existence d'une prétendue ratification, au moins tacite, du mandat donné par le représentant de cette société à M. Ralph A..., sans avoir préalablement rouvert les débats pour permettre aux parties de présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°/ qu'une sûreté consentie par une société en garantie d'un prêt contracté par une société tierce est nul dans la mesure où elle est contraire à son intérêt social ; que ni le consentement unanime des associés de la société garante, ni l'existence d'une communauté d'intérêts entre cette dernière et la société emprunteuse ne font échec à cette nullité ; qu'en retenant la validité du cautionnement hypothécaire consenti par la société Caraïbes investissements en relevant qu'elle appartenait au groupe de sociétés bénéficiant du prêt litigieux et que ses actionnaires y avaient unanimement consenti, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-18 du code de commerce ;
5°/ qu'est contraire à l'intérêt social d'une société, et par conséquent non valable, la garantie consentie par cette dernière qui, nonobstant l'existence d'une contrepartie, grève si lourdement son patrimoine qu'elle expose la société, en cas de mise en oeuvre de la garantie, à sa disparition totale ; qu'en retenant la validité du cautionnement hypothécaire consenti par la société Caraïbes investissements en relevant que le prêt garanti constituait la contrepartie de cet engagement, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait pourtant été invitée, si la garantie souscrite ne présentait pas une disproportion telle qu'elle était de nature à compromettre, lors de sa réalisation, l'existence même de cette société caractérisant ainsi sa contrariété à l'intérêt social de cette dernière, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-18 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que les motifs critiqués par les trois premières branches, par lesquels la cour d'appel a apprécié le bien-fondé de la demande de la société d'exploitation de la Batelière tendant à ce que l'acte du 16 novembre 2006 soit déclaré nul et en tous cas inopposable à son égard en raison du défaut de pouvoir prétendu de la personne qui y figurait comme son représentant, étant sans incidence sur le rejet, seul critiqué par le moyen, de la demande d'annulation de l'acte du 22 novembre 2006 en tant qu'il contient l'affectation hypothécaire d'un immeuble par la société Caraïbes investissements en garantie de la créance de la banque née du prêt consenti par celle-ci à la société Batelière investment Ltd, ces griefs sont inopérants ;
Et attendu, en second lieu, que, serait-elle établie, la contrariété à l'intérêt social de la sûreté souscrite par une société à responsabilité limitée en garantie de la dette d'un tiers n'est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement ; que le moyen qui, en ses deux dernières branches, soutient une thèse contraire, ne peut qu'être rejeté ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses trois premières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le premier moyen du pourvoi de la SCP X... et de ses assureurs :
Attendu que la SCP X... et ses assureurs font grief à l'arrêt de déclarer non prescrite l'action en nullité des garanties hypothécaires souscrites par les sociétés Caraïbes investissements et Batelière investissement alors, selon le moyen, que les actions en nullité des actes conclus par une société se prescrivent par trois ans si la cause de la nullité réside dans une irrégularité de la délibération ayant autorisé sa conclusion ; qu'en retenant pour juger que l'action en nullité des cautionnements conclus par les sociétés Caraïbes investissements et Batelière investissement n'était pas soumise à la prescription abrégée de l'article L. 235-9 du code de commerce, que ces cautionnements « n'éta ient pas un acte de la société mais une convention par cette société » bien que la nullité sollicitée ait reposée sur une irrégularité de la délibération en vertu de laquelle le cautionnement argué de nullité avait été conclu, la cour d'appel a violé l'article L. 235-9 du code de commerce ;
Mais attendu que la demande d'annulation de l'acte du 22 novembre 2006 étant fondée non sur une irrégularité préexistante à cet acte mais sur l'allégation d'un vice intrinsèque à celui-ci, la cour d'appel en a exactement déduit que cette demande n'était pas soumise à la prescription triennale de l'article L. 235-9, alinéa 1er, du code de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en sa première branche :
Attendu que la SCP X... et ses assureurs font encore grief à l'arrêt de déclarer la convention du 22 novembre 2006 nulle à l'égard de la société Batelière investissement et de les condamner à payer des dommages-intérêts à la banque alors, selon le moyen, que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en affirmant adopter les motifs des premiers juges qui auraient retenu que « la garantie hypothécaire souscrite par la société Batelière Investissement était contraire à son objet social », bien que les premiers juges se soient fondés sur la contrariété du cautionnement à l'intérêt social, la cour d'appel qui a entaché sa décision d'une contradiction a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le moyen dénonce une simple erreur matérielle qui a fait écrire à la page vingt de l'arrêt « objet social » au lieu « d'intérêt social » et qu'il y a lieu de réparer conformément aux dispositions de l'article 462 du code de procédure civile ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article L. 223-18 du code de commerce ;
Attendu qu'il résulte de ces dispositions, lesquelles doivent être mises en oeuvre à la lumière de celles de l'article 10 de la directive 209/ 101/ CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, ayant codifié la première directive 68/ 151/ CEE du Conseil, du 9 mars 1968, que, serait-elle établie, la contrariété à l'intérêt social ne constitue pas, par elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant d'une société à responsabilité limitée à l'égard des tiers ;
Attendu que pour annuler la garantie hypothécaire constituée par la société Batelière investissement au profit de la banque, l'arrêt relève, par motifs adoptés, que s'il n'est pas contestable que cette société a une communauté d'intérêts avec la société Caraïbes investissements, qui la détient à 100 %, et plus largement, avec le groupe A..., aucune contrepartie directe n'est venue équilibrer son engagement de « caution » ; qu'il ajoute, par motifs adoptés que le terrain donné en garantie constitue son unique actif immobilisé ; qu'il en déduit que cet acte est contraire à l'intérêt de la société Batelière investissement ;
Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi de la société civile professionnelle Henri et Serge X... et de ses assureurs, non plus que sur le pourvoi incident de la société Clico Investment Bank Limited :
Vu l'article 462 du code de procédure civile ;
Dit qu'à la page 20, alinéa 3 et alinéa 4, de l'arrêt attaqué, les termes « objet social » sont remplacés par les termes « intérêt social » ;
Dit qu'il sera fait mention de cette rectification sur la minute et sur les expéditions de l'arrêt rectifié ;
REJETTE le pourvoi n° B 14-11. 028 :
Et sur le pourvoi n° B 13-28. 504 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la convention passée le 22 novembre 2006 devant M. X..., notaire associé, est nulle à l'égard de la société Batelière investissement, ordonne en conséquence la mainlevée de la garantie hypothécaire souscrite par cette société et condamne solidairement la société civile professionnelle Henri et Serge X... et les sociétés MMA IARD SA et MMA IARD assurances mutuelles à payer, à titre de dommages-intérêts, la somme d'un million d'euros à la société Clico Investment Bank Limited, l'arrêt rendu le 25 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre.