Cass. com., 7 octobre 2020, n° 19-11.759
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Vallansan
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi et Sureau
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2018), la société Centre chirurgical Marcadet a été mise en liquidation judiciaire le 22 janvier 2008 et le tribunal a, le 26 février suivant, arrêté un plan de cession en faveur de la société Kapa santé, ce plan portant notamment sur le bail qui liait la société débitrice à la société Marcimo, aux droits de laquelle sont venues la société Immobilière Marcadet, puis la société [...] (le bailleur).
2. La société Kapa santé, autorisée par le tribunal, s'est substituée, pour l'exécution du plan, la société Clinique Paris Montmartre, devenue sa filiale à 100 % et dont elle a ultérieurement cédé les titres à M. T....
3. La société Clinique Paris Montmartre a été mise en liquidation judiciaire le 23 février 2015, laissant des loyers impayés. Le bailleur a assigné la société Kapa santé en paiement du montant des loyers impayés, en sa qualité de garant solidaire.
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Kapa santé fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au bailleur le montant des loyers restant dus, alors « que, conformément à l'article L. 642-9, alinéa 3, du code de commerce, l'auteur de l'offre de reprise retenue par le tribunal de la procédure collective demeure garant solidaire des engagements qu'il a souscrits dans sa proposition de reprise, quant à la poursuite des contrats qui y figurent, en cas de substitution, autorisée, d'un cessionnaire, mais ne garantit pas l'exécution, des obligations nées des contrats cédés par le cessionnaire substitué ; qu'en se bornant à affirmer que l'engagement de la société Kapa santé, dans son offre de reprise, imposait à celle-ci de garantir le règlement des loyers dus après la cession par le cessionnaire substitué, sans constater que la société Kapa santé s'était engagée personnellement envers la société [...], bailleur, venant aux droits de la société Marcadet Simar, à garantir envers elle la bonne exécution du bail par le repreneur substitué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 642-9, alinéa 3, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 642-9, alinéa 3, du code de commerce :
5. Selon ce texte, l'engagement de poursuivre les contrats résultant du plan arrêté par le tribunal ne s'étend pas à la garantie, envers les cocontractants cédés, de la bonne exécution des obligations par le cessionnaire substitué, sauf engagement contraire de l'auteur de l'offre à l'égard du créancier.
6. Pour condamner la société Kapa santé au paiement des loyers, l'arrêt retient qu'il ressort des termes clairs et précis de l'offre de reprise émise par cette société le 6 février 2008, homologuée par jugement du 26 février suivant, visant le bail au titre des éléments d'actifs repris, que celle-ci s'est expressément engagée à se porter « garant et répondant solidaire », « sans aucune limitation ni réserve quant aux obligations devant être prises par le repreneur » à compter de la cession.
7. En se déterminant ainsi, sans constater que la société Kapa santé, qui s'était obligée, conformément à la loi, à garantir l'exécution des engagements résultant du plan, c'est-à-dire à garantir que le repreneur substitué poursuivait le contrat de bail, avait, en outre, garanti au bailleur la bonne exécution, par ce repreneur, des obligations née du contrat repris, tel le paiement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. La société Kapa santé fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cour d'appel n'était pas fondée à retenir tout à la fois que l'engagement qu'aurait pris la société Kapa santé d'être garante des loyers dus par la société Clinique Paris Montmartre trouvait un « écho » dans le procès-verbal des délibérations de son conseil d'administration du 1er décembre 2014 et dans la lettre du 8 novembre 2014, adressée au bailleur, « par la voix de son président, M. T... », en réalité président de la Clinique Paris Montmartre, cessionnaire substitué et preneur, et qu'il importait peu que cet engagement fût subordonné au fait que le bailleur s'abstienne de voies d'exécution intempestives et qu'il demande l'annulation de la procédure d'expulsion de la clinique ; que la cour d'appel, qui a considéré qu'une autorisation de garantie donnée par un organe interne à la société Kapa santé, acte postérieur de plus de six ans à sa proposition de reprise, et l'information, donnée au bailleur par le preneur, cessionnaire substitué, de ce que le loyer serait payé si le bailleur s'abstenait dans la mise en oeuvre des voies d'exécution, confirmaient néanmoins la garantie qu'aurait émise la société Kapa santé en 2008 quant à l'exécution des obligations nées du bail cédé par le cessionnaire substitué, tout en refusant de prendre en compte le caractère conditionnel de l'engagement de payer des loyers, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs dépourvus de toute cohérence, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
9. Tout jugement doit être motivé.
10. Pour condamner la société Kapa santé, l'arrêt, par motifs adoptés, relève encore que l'engagement de cette dernière au paiement des loyers est confirmé par celui pris par M. T..., président de la société Kapa santé, dans une lettre adressée le 8 novembre 2014 au bailleur, de prendre en charge l'ensemble des arriérés de loyers, et que le conseil d'administration de la société Kapa santé a, le 1er décembre 2014, autorisé la société à se porter garant à première demande de la société Clinique Paris Montmartre, au profit du bailleur en ce qui concerne les loyers échus et impayés par cette dernière au 31 décembre 2014.
10. En statuant ainsi, cependant qu'il n'a jamais été constaté que M. T... était dirigeant de la société Kapa santé, ce qui était contesté, et que, par ailleurs, une autorisation de garantie des loyers consentie de manière limitée par le conseil d'administration de cette société, prise en 2014, ne devait être d'aucune utilité dès lors que l'arrêt retenait que la garantie était due dès la réalisation de la cession en exécution du plan, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs incohérents, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.