Cass. 3e civ., 29 janvier 2003, n° 01-13.636
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chemin
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 20 avril 2001) que l'EARL Métairie (l'EARL), qui exploite un élevage de porcs, et dont M. X... est l'un des dirigeants, a confié à la société Emeraude Elevage Equipement (EEE) la fourniture et l'installation d'une machine à soupe ; que cette machine ne fonctionnant pas normalement, l'EARL a, après expertise, assigné la société EEE en réparation et que celle-ci a appelé en garantie la société Acemo, fournisseur du matériel ;
Attendu que les sociétés EEE et Acemo font grief à l'arrêt de condamner la première à indemniser l'EARL et la seconde à garantir la société EEE à hauteur de la moitié de cette condamnation, alors, selon le moyen :
1 / que les éléments d'équipement qui ne sont pas indissociables du bâtiment font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de 2 ans ; que la cour d'appel constate que la société Emeraude élevage équipement a fourni et installé dans les bâtiments à usage d'élevage de porcs de l'EARL Métairie une "machine à soupe" "destinée à distribuer par la voie de deux cuves et d'un jeu de canalisations et de vannes, un mélange d'aliments et d'eaux pour les animaux, cette distribution se faisant de manière automatisée par ordinateur, le même ordinateur pilotant, dans le cas d'espèce les deux cuves et la répartition de leurs contenus dans des bâtiments différents" ;
qu'elle constate encore que l'installation consistait dans la mise en place d'un "ensemble de vannes, de pompes et de câbles et en procédant aux raccordement de ces équipements entre eux et avec le réseau existant de canalisation et de circuits" ; d'où il suit qu'en retenant néanmoins que "l'installation défectueuse destinée à assurer l'alimentation automatisée de porcs (...) ne constitue pas davantage un élément constitutif ou d'équipement d'un ouvrage de bâtiment", la cour d'appel ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations et viole l'article 1792-3 du Code civil ;
2 / que, et en toute hypothèse les dommages-intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation ; qu'il en est ainsi spécialement lorsque l'exécution de l'obligation requiert le concours du créancier ; d'où il suit qu'en condamnant la société Emeraude élevage équipement à payer des dommages-intérêts compensant le dysfonctionnement de l'installation livrée à l'EARL Métairie pour la période du 1er juillet 1992 au 31 décembre 1993, tout en constatant que seul l'assureur de l'EARL avait adressé une mise en demeure le 20 décembre 1993, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1146 du Code civil, violé ;
3 / que la mise en demeure doit émaner du créancier et adressée au débiteur de l'obligation contractuelle inexécutée ; qu'en se bornant à faire état d'une mise en demeure adressée par l'assureur de l'EARL Métairie, sans en relater les termes interpellatifs, la cour d'appel ne justifie toujours pas légalement sa décision au regard de l'article 1146, violé derechef ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant exactement retenu que le dysfonctionnement d'un équipement industriel, ne relevant pas des travaux de construction, objet de la garantie légale des constructeurs, n'entrait pas dans le domaine des articles 1792 et suivants du Code civil, et relevé qu'en l'espèce l'installation défectueuse n'avait pas donné lieu par elle-même à des travaux de construction et que, destinée à assurer l'alimentation automatisée de porcs, elle ne constituait pas un élément constitutif ou d'équipement d'un ouvrage de bâtiment, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que la société EEE avait été mise en demeure d'intervenir par lettre de l'assureur du 20 décembre 1993, la cour d'appel, sans être tenue de procéder à une recherche non demandée relative aux termes et à l'auteur de cette mise en demeure a décidé à bon droit que s'agissant de la réparation du dommage né de l'inexécution de l'obligation, la société EEE devait être condamnée à réparer le préjudice subi pour la période du 1er juillet 1992 au 31 décembre 1993 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses trois premières branches :
Attendu que la société Acemo fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir la société EEE, alors, selon le moyen :
1 / que l'étendue de l'obligation d'information qui pèse sur le prestataire de service varie selon que le client est ou non un professionnel avisé ou se prétend tel ; qu'en jugeant que la société Acemo avait manqué à son obligation de conseil à l'égard de l'EARL Métairie sans rechercher, comme l'y invitait cette société dans ses conclusions, si le fait que M. X... soit un professionnel averti, se prétendant en outre parfaitement compétent dans le domaine de l'élevage et de l'informatique, n'était pas de nature à alléger ou à faire disparaître cette obligation d'information, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
2 / que l'obligation de conseil en matière informatique implique que les parties se renseignent réciproquement et que le client fasse connaître précisément à son fournisseur ses exigences ; qu'en jugeant que la société Acemo avait failli à son obligation de résultat en ne réalisant pas une installation convenant à l'usage spécifique auquel elle était destinée sans rechercher, comme l'y invitaient les écritures de la société Acemo, si le fait que le client n'avait pas exprimé ses besoins dès l'origine, n'atténuait pas cette obligation de conseil, la cour d'appel a, de nouveau, entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
3 / que l'expert n'a pas établi de lien de causalité entre le préjudice subi par l'EARL Métairie et les dysfonctionnements de l'installation d'alimentation ; qu'il a, en effet, indiqué dans son rapport d'expertise qu'"il est difficile voire impossible d'attribuer la part de préjudice à diverses causes car le fonctionnement de l'installation d'alimentation peut ne pas être la seule en cause" et qu'"il apparaît dans les documents fournis par M. X... que diverses autres causes sont citées" ; qu'il en a donc déduit que si "le préjudice maximum de M. X... se monte à quatre cent soixante quatre mille six cent quatre vingt francs", "le refus de M. X... de fournir les documents ne permet pas d'affirmer que ce préjudice maximum soit le préjudice réel" ; qu'aussi, en affirmant que l'expert "estime que le préjudice économique et financier maximum subi par l'EARL Métairie et lié aux désordres de la machine était de 464 680 francs", la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise et violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Acemo avait réalisé l'installation des machines à soupe et de l'ordinateur pilotant la distribution d'aliments et procédé à sa mise en route, qu'elle avait ainsi nécessairement vu que son installation était raccordée à des réseaux existants inadaptés et constaté le type d'élevage pratiqué par l'EARL, que le fait que celle-ci ait voulu limiter l'investissement en conservant les canalisations et circuit existant ne pouvait constituer une cause d'exonération dès lors qu'aucun élément ne permettait d'affirmer que son dirigeant avait une compétence notoire en la matière et que les négligences imputées à l'EARL pour s'adapter à ce nouveau matériel n'étaient pas non plus causes d'exonération, dès lors qu'il s'agissait, selon l'expert, de la première machine de ce type et qu'elle était programmée pour un élevage standard, ce qui impliquait à la charge de l'installateur et non de l'éleveur, dès l'origine, une programmation adaptée au type d'élevage spécifique concerné, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, et a souverainement évalué le préjudice, sans dénaturer le rapport de l'expert, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.