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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 2 juillet 1998, n° 96/10434

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Française de l’Afrique Occidentale (Sté)

Défendeur :

Crédit Maritime Caisse Régionale du Finistère (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Verdun-Gastou, SCP Garrabos Gerigny Freneaux

Avocats :

Me Boulanger, Me de Raoul

T. com. Paris, du 12 févr. 1996, n° 94/6…

12 février 1996

Considérant que la société commerciale de l’Ouest Africain S.C.O.A a fait appel d’un jugement contradictoire du 12 février 1996 du Tribunal de Commerce de PARIS qui

- l’a condamnée à payer à la Caisse régionale du Finistère du CREDIT MARITIME, sous déduction des sommes déjà reçues de l’administrateur judiciaire de la société PRIMEL,

- 3.487.407,63 francs avec intérêts au taux de 12,75 % l’an

- 1.061.476,61 francs avec intérêts au taux de 9 % l’an

- 949.465,54 francs avec intérêts au taux de 14,25 % l’an à compter pour chacun des prêts du 19 janvier 1994 ;

- l’a déboutée de sa demande de compensation de ces sommes avec la valeur nominale des parts détenues par la société PRIMEL dans le capital de la Caisse susvisée,

- a ordonné l’exécution provisoire de la décision et l’a condamnée à verser 20.000 francs au titre de l’article 700 du N.C.P.C. à la caisse et à supporter les dépens ;

Considérant que la société S.C.O.A. expose :

-  que la société en nom collectif PRIMEL a été transformée en société anonyme le 27 février 1991 et qu’elle même en était l’actionnaire majoritaire lorsqu’elle en a cédé le contrôle le 29 avril 1991 à la société HUBSCH ALIMENTAIRE,

-  que la caisse régionale du Finistère du CREDIT MARITIME ci-après appelée C.R.F.C.M. l’a assignée le 18 juillet 1994 en tant qu’ancien associé en nom collectif en paiement des soldes de trois prêts accordés à la société PRIMEL les 25 novembre et 25 décembre 1988 pour la construction d’une installation frigorifique et de bassins couverts soit :

* un prêt du 25 novembre 1988 de 1.550.000 francs dont 62.000 francs retenus pour souscription au capital du CREDIT MARITIME à titre de nantissement, à échéances trimestrielles de février 1990 à novembre 1998 et garanti par un nantissement de fonds de commerce à concurrence de 1.550.000 francs,

* un prêt du 25 novembre 1988 de 1.020.000 francs dont 10.000 francs retenus de même, à échéances de septembre 1989 à juin 2004 et garanti par une hypothèque,

* un prêt du 25 décembre 1988 de 4.330.000 francs dont 129.900 francs retenus encore de même que ci-dessus, à échéances de novembre 1989 à Aout 2004, garanti par hypothèque,

-  que la société PRIMEL a cessé de payer les redevances au-delà du 30 novembre 1993 et la C.R.F.C.M. a notifié la déchéance du terme par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 janvier 1994 et a mis en demeure la société PRIMEL de lui régler 5.132.032,21 francs et la société S.C.O.A. de payer la même somme en sa qualité d’ancien associé de la société en nom collectif ;

-  le Tribunal de Commerce de MORLAIX a ouvert le 1er juin 1994 une procédure de redressement judiciaire à rencontre de la société PRIMEL ;

Que la société S.C.O.A. soutient que l’associé d’une société en nom collectif est tenue d’une garantie analogue à celle d’une caution et en déduit qu’elle peut opposer, par application de l’article 2037 du Code Civil, les fautes commises par la C.R.F.C.M. qui a laissé les dirigeants de la société PRIMEL procéder en novembre 1993 au " dépeçage du fonds de commerce" de leur société à l’occasion de deux opérations d’apports partiels d’actifs appauvrissant la société PRIMEL, et qui n’a pris elle-même aucune garantie ;

Qu’elle reproche à la C.R.F.C.M. d’avoir attendu six mois après l’ouverture de la procédure collective pour se préoccuper du recouvrement des créances alors qu’elle ne pouvait ignorer les conséquences des apports de deux sur trois des départements de la société PRIMEL aux sociétés PRIMEL GASTRONOMIE et PRIMEL MAREE, publiés le 18 décembre 1993, qui ont appauvri la société PRIMEL et ont diminué la valeur du fonds de commerce nanti ; qu’elle fait grief à la C.R.F.C.M. de n’avoir pas fait opposition à ces opérations ;

Qu’elle observe subsidiairement que la déclaration de créance de la C.R.F.C.M. au passif du redressement judiciaire de la société PRIMEL ne mentionne pas d’intérêts ni mode de calcul d’intérêts et porte sur des sommes inférieures à celles qui lui sont réclamées ; qu’elle ajoute que 201.900 francs de parts souscrites par la société PRIMEL doivent être imputées sur la créance ;

Qu’elle demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a assimilé les obligations d’un porteur de parts de la société PRIMEL à celles d’une caution, de l’infirmer pour le surplus, de la décharger de son obligation de garantie, d’ordonner le remboursement avec intérêts au taux légal à compter du 18 mars 1996 eux-mêmes capitalisés, de la somme de 6.990.484,42 francs et de condamner la C.R.F.C.M. à lui verser 30.000 francs pour ses frais irrépétibles ;

Qu’à titre subsidiaire, elle propose une réduction des demandes au montant des sommes déclarées, le rejet de toute demande d’intérêts non déclares et la défalcation du prix des parts de la C.R.F.C.M. que la société PRIMEL à souscrites ;

Considérant qu’après avoir conclu à la nullité de l’appel sans préciser la raison ce qui dispense la Cour de l’obligation d’une réponse, la Caisse Régionale du Finistère du Crédit Maritime C.R.F.C.M. soutient que la transformation de la société en nom collectif en société anonyme et la cession des actions de la société PRIMEL appartenant à la société S.C.O.A. ne modifient en rien la responsabilité du passif social antérieur incombant aux anciens porteurs de parts de la société en nom collectif ;

Qu’elle précise que la société PRIMEL éprouvait de sérieuses difficultés depuis 1991, qu’elle a filialisé deux de ses branches en novembre 1993 mais qu’elle n’a pas échappé à l’ouverture le 1er juin 1994 d’une procédure collective étendue le 16 novembre suivant aux sociétés PRIMEL GASTRONOMIE et PRIMEL MAREE ;

Qu’elle dément qu’un associé d’une société en nom collectif puisse être assimilé à une caution qui n’est pas un codébiteur solidaire, et en déduit que la S.C.O.A. ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 2037 du Code Civil ; qu’elle nie avoir commis des fautes et conteste que la société PRIMEL se soit appauvrie puisque ses apports d’actifs ont pour contrepartie la réception de titres de participation, et que la société S.C.O.A. ait subi un quelconque préjudice ;

Qu’elle soutient que l’opposition aux opérations contestées n’est qu’une faculté offerte par la loi du 24 juillet 1966 mais était impossible du fait que la créance de la C.R.F.C.M. n’était ni liquide ni exigible avant le 12 janvier 1994, soit près de quatre semaines après la publication des projets ;

Qu’elle prétend que la créance d’intérêts a été déclarée et que les parts nanties ne sont remboursables qu’au terme d’une attente de cinq années ; qu’elle demande le rejet des prétentions de la société S.C.O.A., la confirmation du jugement et la condamnation de la société S.C.O.A. à lui verser 30.000 francs pour ses frais irrépétibles ;

Considérant que dans le dernier état de ses conclusions la société S.C.O.A. devenue Compagnie Française de l’Afrique Occidentale C.F.A.O. demande à titre subsidiaire le remboursement de trop perçus de 46.533,74 francs, 26.208,71 francs et 8.928,33 francs avec intérêts aux taux respectifs de 12,75 %,9 % et 14,25 % l’an du 19 janvier au 18 mars 1994 et avec intérêts au taux légal au-delà, ainsi que de 1.547.596,97 d’intérêts indus versés avec intérêts au taux légal à compter du 18 mars 1996 et d’ordonner la capitalisation des intérêts ;

Considérant que le porteur de parts d’une société en nom collectif transformée en société anonyme demeure tenu, après la transformation des dettes sociales nées antérieurement à celle-ci ; qu’il en est codébiteur indéfini et solidaire selon l’article 10 de la loi du 24 juillet 1966 sous la seule réserve d’une vaine mise en demeure de la société elle-même ; que cette condition de mise en oeuvre de sa solidarité et la faculté de subrogation après paiement qu’elle l’implique ne suffisent pas à faire de son obligation une simple garantie ; qu’il ne peut se prévaloir des dispositions protectrices de la caution et en particulier de l’article 2037 du Code Civil d’application restrictive en tant qu’exception ;

Que le codébiteur solidaire doit cependant comme toute personne physique ou morale répondre des conséquences dommageables de ses fautes ; que l’action en responsabilité quasi délictuelle de la société S.C.O.A. est fondée à condition que la demanderesse apporte la preuve d’une faute de la C.R.F.C.M. et d’un dommage que celle-ci lui aurait causé ; que la subrogation dont elle disposerait si elle payait une dette de la société PRIMEL, lui permet de prétendre en effet pouvoir obtenir réparation, sous quelque forme que ce soit, de toute faute qui aurait compromis ou amoindri ses recours et engendré de ce fait un préjudice ;

Que l’inapplicabilité des dispositions de l’article 2037 du Code Civil est un faux problème ;

Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers Juges ont exclu que les opérations d’apport d’actifs de la société PRIMEL à des filiales, auxquelles la société S.C.O.A. reproche à la C.R.F.C.M. de ne pas s’être opposée, n’ont nullement affecte les suretés hypothécaires dont deux des trois prêts étaient assortis, et que la décision d’extension de la procédure collective de la société PRIMEL à ses filiales a préservé les droits que la C.R.F.C.M. peut tirer, en tant que créancier subrogé, du nantissement garantissant le troisième prêt ;

Qu’à défaut d’un préjudice qu’elle aurait engendré, la filialisation incriminée ne saurait fonder l’action de la société S.C.O.A. ; qu’il n’est pas nécessaire de ce fait de se prononcer sur la faute que la C.R.F.C.M. aurait pu commettre en négligeant de s’y opposer ;

Considérant que le codébiteur solidaire est tenu de l’intégralité de la dette et ne peut se prévaloir de ce que la déclaration faite par le créancier au passif d’un autre codébiteur n’a concerné qu’une partie de la créance, dès lors que l’insuffisance alléguée de la déclaration n’a pas porté atteinte à ses recours ;

Que la C.R.F.C.M. demande cependant à la société S.C.O.A. de payer des dettes de la société PRIMEL en application de l’article 10 de la loi du 24 juillet 1966 ; qu’elle ne peut exiger plus que le paiement de ses créances existantes ce qui exclue les créances ou fractions de créances qu’elle aurait laissé éteindre ;

Que la C.R.F.C.M. justifie de ce que ses créances résultant des trois prêts ont été admises au passif de la société PRIMEL pour des montants et intérêts légèrement supérieurs tant à ceux des déclarations initiales qu’à ceux que la C.R.F.C.M. réclame à la société S.C.O.A. ; que celle-ci n’apporte la preuve d’aucun préjudice ;

Qu’une copie de chacun des contrats de prêt était jointe à la déclaration initiale de créance ; que la créance d’intérêts se trouvait ainsi régulièrement déclarée en son assiette et en son taux ;

Considérant en revanche que la C.R.F.C.M. n’est pas fondée à refuser à la société S.C.O.A. le bénéfice du nantissement existant sur la participation à son capital social souscrite par la société PRIMEL dès lors que la société S.C.O.A. aurait payé la créance et se trouverait subrogée dans les droits de la C.R.F.C.M., gage inclus, à l’encontre de la société PRIMEL ;

Que le remboursement de la participation "pourra être différé" certes, selon l’article 14 des conditions générales des prêts, "dans un délai maximum de cinq ans après le remboursement de la dernière échéance du prêt conformément aux articles des statuts de l’établissement préteur relatifs à la qualité de sociétaire" ;

Qu’il ne s’agit que d’une faculté de différer un paiement ; que son apparente potestativité en rend la validité contestable ; qu’il n’est justifié d’aucune raison de différer le remboursement ; qu’il convient de réouvrir les débats d’autant que les chances dont le paiement est demandé, comportent un anatocisme qui n’apparait ni légal, ni contractuel dans la mesure ou la CRFCM y a incorporé des intérêts échus après déchéance du terme et demande ainsi des intérêts sur un montant englobant déjà des intérêts ;

PAR CES MOTIFS

Constate que la société SCOA devenue CFAO ne justifie d’aucun préjudice susceptible d’influer sur son obligation de payer les créances de la CRFCM sur la société PRIMEL en tant qu’ancienne associée de cette société en nom collectif,

Dit toutefois que la CRFCM ne peut exiger de la CFAO plus que les créances qu’elle possède sur la société PRIMEL mais constate que les créances de la CRFCM ont été admises au passif de la société PRIMEL pour des montants et intérêts supérieurs à ce qui est demandé à la société CFAO de payer,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société SCOA devenue CFAO à payer à la CRFCM, sous déduction des sommes déjà versées à la CRFCM par l’administrateur judiciaire de la société PRIMEL, diverses sommes assorties d’intérêts sous réserve que ne soient pas inclus dans le principal des intérêts échus après déchéance du terme des prêts concernés, ainsi que 20.000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les dépens de première instance.

Dit que la société CFAO sera en droit de demander le remboursement de la participation de la société PRIMEL au capital de la CRFCM en tant que créancier nanti lorsqu’elle aura acquis cette qualité par paiement des créances de la CRFCM,

Ordonne la réouverture des débats afin de permettre aux parties de mieux s’expliquer sur les modalités d’exercice de ce droit et sur l’incorporation d’intérêts échus après la déchéance du terme dans les chances sur lesquelles la CRFCM réclame des intérêts,

Fixer la nouvelle clôture au 2 octobre 1998,

et les nouveaux débats à l’audience du jeudi matin 15 octobre 1998 à 9 heures 30,

Réserve les frais irrépétibles et dépens d’appel.