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Décisions

Cass. 3e civ., 5 décembre 2001, n° 00-14.522

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Weber

Rapporteur :

M. Philippot

Avocat général :

M. Baechlin

Avocats :

SCP Gatineau, SCP Baraduc et Duhamel

Versailles, 4e ch., du 7 févr. 2000

7 février 2000

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 février 2000), que, par acte authentique du 31 août 1994, la société en nom collectif Place de Costa Rica (SNC), dont la société Crédit immobilier général (CIG) est le gérant, a acquis la propriété d'un groupe d'immeubles ;

qu'elle a confié à la société Cabinet Edgar Quinet, par mandat exclusif de vente du 25 octobre 1994, la mission de vendre soixante appartements, vacants ou loués ; que pour l'essentiel, les promesses de vente ont été signées durant le dernier trimestre 1994, et les actes authentiques dressés durant le premier trimestre de 1995 ; que l'assemblée générale des copropriétaires ayant décidé, le 7 novembre 1995, de faire effectuer des travaux d'étanchéité de la dalle formant terrasse du parking, plusieurs acquéreurs parmi lesquels les consorts A... ont assigné la SNC, son gérant et le Cabinet Edgar Quinet en leur reprochant de leur avoir dissimulé au moment de la vente cette nécessité de travaux importants, et de leur avoir ainsi causé par dol un préjudice dont ils demandent réparation ;

Attendu que les consorts A... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes à l'encontre du CIG, en tant qu'associé de la SNC, alors, selon le moyen :

1 / que tout acte manifestant solennellement la volonté du créancier de réclamer ce qui lui est dû équivaut à une mise en demeure ;

que l'assignation en justice, signifiée par huissier, vaut donc mise en demeure par acte extrajudiciaire ; qu'en l'espèce, les consorts A... avaient bien assigné la société SNC Place de Costa Rica par acte d'huissier, ce qui constituait donc sa mise en demeure, restée infructueuse ; que dès lors, la formalité de l'article 10 de la loi du 24 juillet 1966 avait été respectée, ce qui autorisait les consorts A... à poursuivre paiement de leur créance auprès d'un associé de la société en nom collectif, tenu personnellement et indéfiniment des dettes sociales ; que la cour d'appel, qui a jugé la demande des consorts A... irrecevable à l'encontre du CIG, associé de la SNC Place de Costa Rica, a violé l'article 10 de la loi du 24 juillet 1966 ;

2 / que l'article 10 de la loi du 24 juillet 1966 ne subordonne aucunement la possibilité de mettre en demeure la société et de poursuivre un de ses associés à la fixation de la créance par une décision de justice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a affirmé que les consorts A... étaient dans l'impossibilité de mettre en demeure la société tant que leur créance éventuelle n'était pas fixée, a ajouté une condition à la loi, et violé l'article 10 de la loi du 24 juillet 1966 ;

3 / que, en tout état de cause, les juges du fond doivent observer le principe du contradictoire ; qu'il leur incombe en conséquence de provoquer les observations préalables des parties lorsqu'ils soulèvent un moyen d'office ; qu'en l'espèce, aucune partie, et en particulier ni le CIG ni la SNC, n'avait soulevé le moyen tiré de la nécessité d'une mise en demeure par acte extrajudiciaire de la société restée infructueuse pour réclamer paiement à l'un de ses associés, ni l'absence en l'espèce d'une telle formalité ; que si la cour d'appel pouvait soulever ce moyen d'office, elle devait en revanche au préalable provoquer les observations des parties ; que faute de l'avoir fait, elle a violé le principe du contradictoire et l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les consorts A... qui avaient assigné par acte des 13 et 19 août 1996 la SNC et le CIG, poursuivaient cette dernière société en sa qualité d'associée de la SNC et tenue à ce titre indéfiniment et solidairement des dettes sociales, selon les dispositions de l'article 10 de la loi du 4 juillet 1966, devenu l'article L. 221-1 du Code de commerce, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, qu'ils n'avaient pas respecté la formalité édictée par le second alinéa de cet article aux termes duquel les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire, a pu en déduire qu'ils étaient irrecevables en leurs demandes contre le CIG, sans violer le principe de contradiction, abstraction faite du motif surabondant, selon lequel ils étaient d'ailleurs dans l'impossibilité de faire cette mise en demeure tant que leur créance sur la SNC n'était pas fixée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que les consorts A... font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes dirigées contre la SNC et le Cabinet Edgar Quinet, alors, selon le moyen :

1 / que la réticence dolosive qui n'a d'incidence que sur le prix en amenant une partie à contracter à des conditions financières qu'elle n'aurait pas acceptées autrement justifie l'allocation à la victime de ce dol d'une indemnisation pécuniaire pouvant prendre la forme de la restitution de l'excès de prix qu'elle a été conduite à payer du fait du dol ;

qu'une telle action en dommages-intérêts, tendant uniquement à la réduction du prix obtenu par dol, et non à la nullité de la vente, ne peut aucunement être rejetée au motif que la victime aurait de toute manière conclu la vente, et que le dol n'a donc pas déterminé son consentement ;

qu'en l'espèce la cour d'appel a rejeté l'action des consorts A..., tendant non à la nullité des ventes mais uniquement à l'allocation de dommages-intérêts correspondant au supplément de prix soutiré par dol, au prétexte que le surplus de prix consécutif à la réticence litigieuse ne les aurait pas dissuadés d'acquérir les appartements ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1382 du Code civil ;

2 / que le dol émanant du mandataire est assimilé au dol du contractant représenté ; que l'aveu judiciaire émanant d'une partie et portant sur des faits susceptibles de jouer à son détriment fait pleine foi contre son auteur, et constitue à tout le moins, en l'absence des conditions d'un tel aveu, un commencement de preuve par écrit ou une présomption dont les juges du fond doivent analyser le sens et la portée ;

qu'en l'espèce, la société SNC Place de Costa Rica soutenait elle-même devant les juges du fond que c'était la société Cabinet Edgar Quinet, son mandataire, qui s'était gardée de transmettre aux acheteurs l'information relative aux travaux à effectuer, portée à sa connaissance dès 1994, alors qu'elle y était tenue, et ce dans le but de percevoir sa commission ; que la SNC caractérisait ainsi la volonté du Cabinet Edgar Quinet de masquer une information importante, susceptible de modifier le consentement des acheteurs ; que loin de constituer une quelconque excuse pour la SNC Place du Costa Rica, cette affirmation constituait en réalité l'aveu, qui plus est judiciaire, de l'existence de faits susceptibles de constituer un dol dont l'auteur n'était autre que son mandataire ; que dans la mesure où le dol du mandataire est assimilé au dol du contractant représenté, les juges du fond étaient à tout le moins tenu de rechercher si les faits reconnus par la société venderesse dans ses écritures ne caractérisaient pas son dol ;

que la cour d'appel, qui n'a tenu aucun compte de cette reconnaissance explicite, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1354 du Code civil ;

3 / que, lorsque les parties concluent une promesse de vente, mais différent tous les effets du contrat jusqu'à la rédaction d'un acte authentique, c'est la conclusion même du contrat définitif qui est retardé ; qu'ainsi, tant que l'acte authentique n'est pas conclu, le contrat n'est pas formé, et le dol commis par l'une des parties peut donc avoir une influence sur le consentement de l'autre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la nécessité de travaux importants avait été portée à la connaissance de la SNC venderesse en janvier 1995, c'est-à-dire à un moment où les actes authentiques de vente n'avaient pas encore été conclus ; qu'elle a cependant écarté l'existence d'un dol et d'une intention dolosive au prétexte que la venderesse n'avait connu cette information que postérieurement à la conclusion des promesses de vente ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les contrats de vente avaient été définitivement formés dès l'époque de ces promesses, ou si au contraire leur formation même n'était pas retardée jusqu'à la rédaction des actes authentiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;

4 / qu'il incombe au vendeur professionnel de délivrer spontanément à l'acheteur profane une information complète et circonstanciée sur la chose achetée, sans qu'il puisse lui reprocher de n'avoir pas cherché à s'informer ; que c'est bien le vendeur professionnel qui est seul débiteur de l'obligation d'information ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui a reproché aux acheteurs de ne pas justifier avoir effectué des démarches auprès de leur vendeur pour obtenir des renseignements complémentaires sur les travaux à intervenir, quand c'était à la société venderesse de fournir aux acheteurs une information complète, a violé les articles 1116, 1134 et 1137 du Code civil ;

5 / que la simple réticence volontaire d'une information importante constitue un dol ; que l'existence de mensonges positifs ou d'informations trompeuses n'est pas une condition légale du dol ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui a reproché aux consorts A... de ne pas prétendre avoir été expressément trompés par les réponses de leur vendeur, quand ils invoquaient une réticence, a abusivement fait de l'existence de mensonges ou d'informations trompeuses positifs une condition du dol, et partant violé l'article 1116 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que les précisions des actes authentiques étaient suffisamment claires pour que les acquéreurs eussent connaissance de l'importance des réfections à effectuer, que les renseignements communiqués par le syndic au notaire dans le courant du premier trimestre 1995 et normalement portés par ceux-ci à la connaissance des acquéreurs, mentionnaient comme travaux à prévoir la réfection complète de l'étanchéité des parkings et le renforcement des poutres métalliques et béton armé, avec la précision qu'une étude d'architecte était en cours et que le syndic ne disposait pas d'estimation des coûts, qu'il n'était pas établi que le coût eut été connu et sciemment dissimulé par le vendeur et son mandataire, qu'il n'était pas démontré que les travaux à effectuer sur l'immeuble édifié en 1930, dont le coût représentait une part infime du prix de vente, eussent été déterminants du consentement des acquéreurs, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a pu déduire de ces motifs l'absence de réticence dolosive ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.