Cass. 3e civ., 16 février 2005, n° 03-16.880
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Weber
Rapporteur :
M. Villien
Avocat général :
M. Cédras
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Parmentier et Didier
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 15 mai 2003), que Mme X... a chargé la société Loichon, assurée par la Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF) de construire une maison individuelle, la Société d'exploitation de l'entreprise de construction Raymond Juillet, assurée par la Mutuelle du Mans Assurances IARD (MMA), intervenant pour la pose de l'ossature ; que le 10 avril 1984, Mme X... a conclu avec la société Loichon une convention de mise à disposition gratuite de l'immeuble, qui a été utilisé comme pavillon témoin ; que cette société a restitué la maison en juillet 1985 à Mme X..., qui l'a vendue alors aux époux Y... ; qu'ayant constaté des désordres, ces derniers ont assigné Mme X..., les constructeurs et les assureurs en réparation de leur préjudice ;
Attendu que la MAAF et la MMA font grief à l'arrêt de dire recevable comme non prescrite l'action en responsabilité décennale, alors, selon le moyen :
1 / que la réception amiable est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage accepte avec ou sans réserve l'ouvrage qui lui a été livré ou lui sera livré ; que pour l'application de ce texte, cette acceptation peut résulter, tacitement, de la prise de possession assortie du paiement des travaux ; que la prise de possession d'un immeuble d'habitation résulte du pouvoir d'user de la chose, fût-ce pour la mettre à la disposition d'autrui, à titre onéreux ou même gratuit ; qu'en exigeant, dès lors, outre l'habitabilité de l'immeuble réceptionnable et exempt de vices apparents, la nécessité d'une "prise de possession effective" ou d'une "remise effective" c'est-à-dire d'une occupation ou habitation effective par la propriétaire, la cour d'appel a ajouté au texte une condition qui n'y figure pas et violé, par fausse interprétation, l'article 1792-6 du Code civil ;
2 / qu'en constatant expressément que Mme X..., maître de l'ouvrage, avait passé, le 10 avril 1984, une convention de jouissance gratuite au profit de la société Loichon, la cour d'appel a caractérisé de la part de la première un acte d'usage et de dépossession, impliquant une possession préalable, en qualité de propriétaire ; qu'en considérant, dès lors, que le maître de l'ouvrage n'avait pas eu une possession effective à cette date, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792-6 du Code civil ;
3 / que les motifs ambigus ou contradictoires équivalent à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la remise effective de l'ouvrage a eu lieu lorsqu'en août 1985 le constructeur a "rétabli dans la jouissance de l'immeuble" la propriétaire, ce qui implique que cette dernière avait dans un premier temps été "établie" dans cette jouissance (dès le 10 avril 1984) puis dans un deuxième temps avait été "privée" de cette possession et enfin dans un troisième temps avait été "rétablie" dans cette possession ; qu'en décidant cependant que le constructeur avait conservé seul cette jouissance sans discontinuité depuis l'ouverture du chantier et jusqu'à ce qu'il rétablisse la propriétaire dans ce droit, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs contradictoires et à tout le moins ambigus, violant, de ce chef, l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / qu'en reportant la réception tacite à la date de la revente (8 juillet 1985) par Mme X..., du fait de la remise effective survenue au mois d'août 1985, pour en faire délivrance à ses sous-acquéreurs, les époux Y..., la cour d'appel a, derechef, retenu des motifs ambigus, qui ne caractérisent pas davantage la prise de possession effective érigée par elle en principe, et a encore méconnu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / que le juge a le pouvoir de prononcer la réception -qui n'est pas un événement facultatif- contre la volonté du maître de l'ouvrage d'accepter à l'amiable de recevoir l'ouvrage dès l'instant où l'immeuble est habitable et en état d'être reçu, fût-ce avec réserves ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que l'immeuble était "habitable et réceptionnable dès le 10 avril 1984" ; qu'en refusant, dès lors, de fixer la réception à cette date où le maître de l'ouvrage n'était pas en droit de la refuser, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé par refus d'application l'article 1792-6 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que Mme X..., qui n'avait jamais habité l'immeuble, avait laissé à la société Loichon la jouissance des lieux, que cette dernière en avait conservé la détention sans discontinuité depuis l'ouverture du chantier en 1983 jusqu'à la revente opérée par Mme X... aux époux Y... en 1985, et que bien qu'elle ait intégralement payé le prix des travaux, Mme X... n'avait jamais pris possession des lieux dans des conditions lui permettant de se rendre compte de l'état de l'ouvrage et de formuler, le cas échéant, des réserves, la cour d'appel, qui s'est déterminée par le fait qu'il n'existait pas la preuve de la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter alors celui-ci, et non par la seule constatation d'une absence de prise de possession effective, qui n'a pas constaté que Mme X... ait utilisé le bien avant le 10 avril 1984, et qui n'était pas saisie d'une demande de prononcé d'une réception judiciaire, a pu retenir, sans se contredire, ni se déterminer par des motifs ambigus, que Mme X... n'avait effectivement reçu l'immeuble qu'à la date du 8 juillet 1985, où elle en avait pris possession en vue de le revendre aux époux Y..., manifestant ainsi sa volonté non équivoque de procéder à cette date à la réception du bien ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.