CE, 1e et 4e sous-sect. réunies, 2 juin 1989, n° 65631
CONSEIL D'ÉTAT
Ordonnance
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bauchet
Rapporteur :
M. Faure
Rapporteur public :
M. Tuot
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 28 janvier 1985 et 6 mai 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER, représentée par son maire en exercice, à ce dûment autorisé par délibération du conseil municipal en date du 18 décembre 1984, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°- annule le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 17 octobre 1984, en tant qu'il a condamné la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER à payer à la société nouvelle de constructions industrialisées (SNCI) les sommes de 576 955,36 F et 117 776,10 F au titre du règlement d'un marché passé pour la réalisation d'un ensemble d'équipements publics à vocation sanitaire et sociale,
2°- rejette la demande de la société nouvelle de constructions industrialisées devant le tribunal administratif de Paris en tant qu'elle porte sur les sommes de 576 955,36 F et 117 776,10 F,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 ;
Vu la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Faure, Maître des requêtes,
- les observations de la S.C.P. Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat de la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER, de Me Barbey, avocat de Me X... (syndic de la société nouvelle de constructions indutrialisées (S.N.C.I) et de la S.C.P. Urtin-Petit, Rousseau-Van Troeyen, avocat du Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises,
- les conclusions de M. Tuot, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande présentée par la société nouvelle de constructions industrialisées (SNCI) devant le tribunal administratif de Paris :
Considérant qu'aux termes de l'article 13-42 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché passé entre la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER et la société nouvelle de constructions industrialisées (SNCI) pour la réalisation d'un ensemble d'équipements publics à vocation sanitaire et sociale : "Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service quarante-cinq jours au plus tard après la date de la remise du projet de décompte final. Ce délai est ramené à un mois pour les marchés dont le délai d'exécution n'excède pas trois mois" ; qu'aux termes de l'article 13-44 du même document : "L'entrepreneur doit, dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'oeuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer ... Si la signature du décompte générl est refusée ou donnée avec réserves les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur, dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'oeuvre dans le délai de quarante-cinq jours indiqué ci-dessus. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après avoir reçu de l'entreprise un projet de décompte général daté du 2 juin 1980, la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER a arrêté le décompte définitif seulement le 19 novembre 1980 ; que la ville n'établit d'ailleurs pas à quelle date ce document a été notifié à la société nouvelle de constructions industrialisées ; que l'entreprise, qui disposait d'un délai de 45 jours pour faire connaître sa réponse, a adressé le 6 janvier 1981 au maître de l'ouvrage un mémoire de réclamation concernant le décompte ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que cette réclamation n'était pas tardive ;
Sur les conclusions de la requête portant sur le paiement de la somme de 576 955,36 F :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 3 et 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, le paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage, pour la part du marché dont il assure l'exécution, est subordonné à la double condition que, sur la demande de l'entrepreneur principal, le sous-traitant ait été "accepté" par le maître de l'ouvrage et que les conditions de paiement du contrat de sous-traitance aient été "agréées" par le maître de l'ouvrage ;
Considérant qu'alors même que la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER avait le 23 novembre 1979 invité la société nouvelle de constructions industrialisées à procéder aux formalités de déclaration des sous-traitants et qu'elle avait, lors de la réunion de chantier du 12 mars 1980 et à la suite des demandes de paiement direct présentées par les sous-traitants, réclamé à la société une "décomposition des marchés lot par lot", la ville ne pouvait être regardée comme ayant accepté ces sous-traitants ; que, par suite, lesdites entreprises sous-traitantes ne pouvaient bénéficier de la procédure de paiement direct ;
Considérant, en outre, que si la ville soutient qu'à défaut du paiement direct visé par le titre II de la loi précitée, les sous-traitants auraient pu bénéficier de l'action directe prévue par le titre III de ladite loi, un tel moyen ne saurait en tout état de cause être accueilli dès lors que les sous-traitants dont il s'agit n'auraient pu relever que du titre II applicable aux marchés de l'Etat et des collectivités publiques et que le titre III, selon l'article 11 de la loi, n'est applicable qu'aux contrats de sous-traitance qui n'entrent pas dans le champ d'application du titre II ;
Considérant, par suite, que la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER ne pouvait, comme elle l'a fait, retenir sur les sommes qu'elle devait à la société nouvelle de constructions industrialisées en exécution du marché litigieux, la somme de 576 955,36 F correspondant aux travaux exécutés par les sous-traitants ; que la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à payer ladite somme à la société nouvelle de constructions industrialisées ;
Sur les conclusions relatives aux intérêts moratoires de la somme de 576 955,36 F :
Considérant qu'aux termes de l'article 13-6 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché litigieux : "Si un sous-traitant de l'entrepreneur met en demeure le maître de l'ouvrage de lui régler directement certaines sommes qu'il estime lui être dues par l'entrepreneur au titre du contrat de sous-traitance, en application des dispositions des articles 6 et 8 ou 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, la personne responsable du marché peut retenir les sommes réclamées sur celles qui restent à payer à l'entrepreneur. Les sommes ainsi retenues ne portent pas intérêt. Si le droit du sous-traitant est définitivement établi la personne responsable du marché paie le sous-traitant et les sommes dues à l'entrepreneur sont réduites en conséquence." ;
Considérant que les dispositions susrappelées ne s'appliquent qu'au bénéfice des sous-traitants qui ont été acceptés par le maître de l'ouvrage ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus les sous-traitants de la société nouvelle de constructions industrialisées n'ont pas été acceptés par la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER ; qu'il suit de là que cette dernière ne saurait, en tout état de cause, utilement se prévaloir des dispositions précitées pour soutenir qu'elle ne pouvait être condamnée à payer les intérêts moratoires afférents à la somme de 576 955,36 F ; que, dès lors, il y a lieu de confirmer sur ce point le jugement du tribunal administratif ;
Sur les conclusions portant sur la retenue de garantie d'un montant de 117 776,10 F opérée par le maître de l'ouvrage :
Considérant que pour refuser à la société nouvelle de constructions industrialisées la restitution de la retenue de garantie, la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER invoque la circonstance que l'entrepreneur n'aurait pas contracté une assurance conforme à ses engagements ;
Considérant qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1971, applicable au marché litigieux par l'effet de l'article 9-1 du cahier des clauses administratives particulières, la retenue de garantie applicable aux marchés de travaux a pour but exclusif de garantir "contractuellement l'exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception par le maître de l'ouvrage" ; que l'article 3 de la même loi déclare nuls et de nul effet, qu'elle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de l'article 1er ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en admettant que la société nouvelle de constructions industrialisées n'ait pas, contrairement aux stipulations de l'article 6-4 du cahier susmentionné, contracté d'assurance garantissant notamment sa responsabilité décennale, la violation desdites stipulations ne saurait être regardée comme un manquement aux obligations que l'entrepreneur doit remplir pour obtenir, par application de l'article 326 du code des marchés publics, la restitution de la retenue de garantie ; que, par suite, la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à payer à la société nouvelle de constructions industrialisées le montant de la retenue de garantie opérée, soit 117 776,10 F ;
Considérant enfin que si la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER soutient que les premiers juges ne pouvaient la condamner à payer à l'entreprise des intérêts moratoires sur cette somme, de telles conclusions, faute d'être assorties de moyens permettant d'en apprécier le bien-fondé, sont irrecevables ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER doit être rejetée ;
Article 1er : La requête de la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la VILLE DE BOISSY-SAINT-LEGER, à la société nouvelle de constructions industrialisées (SNCI), à Me X..., syndic de la liquidation de biens, au crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME) et au ministre de l'intérieur.