Cass. com., 19 novembre 2002, n° 00-10.190
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Garnier
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Thomas-Raquin et Benabent, Me Blondel
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que M. Henry X..., comte Y... (M. X...), a déposé en classe 33, pour désigner du vin, d'une part le 3 avril 1989, sous le n 1 524 916, en renouvellement de précédents dépôts, le premier remontant à 1933, la marque nominale "Comte Y...", d'autre part le 27 janvier 1995, sous le n 95 556 001, la marque semi figurative composée de la même dénomination surmontée d'un blason comportant les armoiries familiales ; que par acte du 3 mars 1995, enregistré le 10 mars, il a donné licence exclusive d'exploitation de ces marques à la SCI du Château de Vosne Romanée (la SCI) ; que le 10 avril 1979, M. Xavier Y..., cousin de M. X..., a constitué la société Y..., qui, le 24 avril 1990, a déposé à l'INPI, sous le n 1 587 955, pour désigner des vins, la marque semi figurative constituée de cette dénomination et de deux blasons ; que cette société a été absorbée le 19 novembre 1990, par la société Maison Dufouleur Père et Fils (société Dufouleur) ; qu'après saisie-contrefaçon, M. X... et la SCI ont assigné la société Dufouleur en contrefaçon de marques, annulation de la marque contrefaisante, usurpation de titre nobiliaire et de blason et concurrence déloyale ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable l'action en contrefaçon de la marque n 95 556-001, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en statuant sans préciser si les deux factures de 1995 étaient antérieures au 10 mars 1995, le fait qu'elles aient concerné des millésines 1994 étant indifférent, dès lors que toute utilisation de la marque après le 10 mars 1995 constituait un acte de contrefaçon, la cour d'appel a violé l'article L. 715-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
2 ) que la demande tendait non seulement à la sanction des actes passés, mais encore à l'interdiction de leur renouvellement sous astreinte, qu'en refusant de prononcer cette interdiction, la cour d'appel a violé les articles L. 716-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, qu'ayant, par motifs adoptés, retenu par une appréciation souveraine des éléments de preuve, que les faits incriminés étaient antérieurs à la publication au BOPI de la demande d'enregistrement de la marque, et, par motifs propres, qu'aucun acte ultérieur n'était démontré à l'encontre de la société Dufouleur, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande en concurrence déloyale, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en statuant sans préciser si les deux factures de 1995 étaient antérieures au 10 mars 1995, le fait qu'elles aient concerné des millésimes 1994 étant indifférent, dès lors que toute utilisation de la marque après le 10 mars 1995 constituait un acte de contrefaçon, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
2 ) que la demande tendait non seulement à la sanction des actes passés, mais encore à l'interdiction de leur renouvellement sous astreinte, qu'en refusant de prononcer cette interdiction, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
3 ) que l'usage de la même dénomination pour désigner le même produit constitue en lui-même un acte de concurrence déloyale, peu important la différence de prix de vente de produits qui ne peut au contraire conduire qu'à une dévalorisation de cette dénomination ; qu'en écartant la concurrence déloyale pour cette raison, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
4 ) que le licencié d'une marque peut agir en concurrence déloyale contre celui qui utilise la même dénomination pour vendre le même produit, sans qu'il soit nécessaire que cette marque soit notoire ;
qu'en subordonnant l'action à une telle notoriété, la cour d'appel a violé les articles 1382 du Code civil et L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant par motifs adoptés, retenu par une appréciation souveraine des éléments de preuve, que les faits incriminés étaient antérieurs à la publication au BOPI de la demande d'enregistrement du contrat de licence de marque, et, par motifs propres, qu'aucun acte ultérieur n'était démontré à l'encontre de la société Dufouleur, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel qui a relevé par motifs propres et adoptés, que la SCI ne rapportait pas la preuve des agissements déloyaux allégués, a pu statuer comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 2 du Code civil, ensemble les articles L. 714-3 et L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour déclarer atteinte de forclusion, la demande en annulation de la marque n 1 587 955 déposée le 24 avril 1990, par la société Y..., aux droits de laquelle se trouve la société Dufouleur, et celle en contrefaçon de la marque n 1 524 916 déposée par M. X..., l'arrêt retient que "si l'action n'est pas recevable lorsque la totalité du délai s'est écoulé avant la promulgation de la loi nouvelle, il en est autrement lorsqu'une partie seulement de ce délai était accompli à cette date" ; qu'en l'espèce, la marque litigieuse ayant été déposée le 24 avril 1990, et l'assignation délivrée le 9 mai 1995, il y a eu tolérance de l'usage de la marque pendant plus de cinq ans ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions susvisées du Code de la propriété intellectuelle résultent de la loi du 4 janvier 1991, entrée en vigueur le 28 décembre 1991 et que les délais prévus par ce texte ne peuvent, sauf exception prévue par la loi elle-même, avoir d'effet que pour l'avenir, ce dont il résulte que le délai ne pouvait commencer à courir avant l'entrée en vigueur de la loi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. X... forclos en son action en annulation de la marque n 1 587 955 déposée par la société Y... le 24 avril 1990 et en contrefaçon de la marque n 1 524 916, l'arrêt rendu le 23 novembre 1999 entre les parties par la cour d'appel de Dijon, les renvoie devant la cour d'appel de Reims.