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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 20 juillet 2020, n° 19/03971

PAU

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

M. Magnon, M. Darracq

T. com. Pau, du 10 déc. 2019

10 décembre 2019

Exposé des faits et procédure :

Jean Marc S. exerçait, depuis le 1er avril 1996, à titre individuel l'activité de travaux de terrassement et était immatriculé au répertoire des métiers.

Par acte authentique du 19 novembre 2013 passé devant Me Bernard S., notaire à Morlaas, Jean Marc S. a déclaré insaisissables ses droits sur une maison d'habitation sise [...], figurant au cadastre de la commune sous le numéro section ZN n°17 et 43 d'une surface totale de 20 a 3ca, immeuble lui appartenant au titre de la communauté de biens existant entre lui et son épouse Brigitte D..

La déclaration d'insaisissabilité a été publiée au service de la publicité foncière du 28 novembre 2013.

Le 9 février 2015, Jean Marc S. a cessé son activité professionnelle et déclaré cette cessation d'activité au répertoire des métiers.

Par jugement du 30 juin 2015, le tribunal de commerce de Pau a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de Jean Marc S...

La selarl B. & associés représentée par Alix B. a été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.

La selas Egide, venue aux droits de la selarl B. & associés, se voit opposer la déclaration notariée d'insaisissabilité établie le 19 novembre 2013.

Par acte du 24 janvier 2019, la société Egide venant aux droits de la selarl B. & associés, prise en la personne de maître Alix B. liquidateur judiciaire de Jean Marc S. a fait assigner Jean Marc S. aux fins de voir déclarer inopposable à la liquidation judiciaire la déclaration notariée d'insaisissabilité du 19 novembre 2013.

Par jugement du 10 décembre 2019, le tribunal de commerce de Pau a :

- déclaré recevable et bien fondée l'action

- jugé que la déclaration notariée d'insaisissabilité du 19 novembre 2013 a été privée de tout effet au moment où Jean Marc S. a perdu le statut d'entrepreneur individuel par sa radiation au répertoire des métiers

- jugé que la déclaration notariée d'inaliénabilité du 19 novembre 2013 est inopposable à la liquidation judiciaire de Jean Marc S.

- débouté la selas Egide de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile (cpc)

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires à ce dispositif

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.

Par déclaration en date du 20 décembre 2019, Jean Marc S. a relevé appel du jugement.

La clôture est intervenue le 20 mai 2020.

Dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et en application de la loi 2020-290 du 23 mars 2020, la fixation de l'affaire a été reportée avec procédure de dépôt sans audience au 23 juin 2020 selon les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020.

Vu l'acceptation du recours à la procédure sans audience dans le cadre de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 de maître Justine G. en date du 23 juin 2020 et de maître Corinne T. en date du 10 juin 2020.

Vu la vérification du dépôt des dossiers de plaidoirie par le Premier président de la cour d'appel de Pau pour le dépôt du 23 juin 2020 selon ordonnance d'organisation des services en date du 11 juin 2020 et après communication aux avocats des parties du feuilleton des dossiers retenus et précisant la composition de la cour et la date de délibéré fixée au 9 septembre 2020.

Les parties ont été avisées par message RPVA que le délibéré sera rendu par anticipation le 20 juillet 2020.

Prétentions et moyens des parties’ :

Vu les conclusions notifiées le 26 mars 2020 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Jean Marc S. demandant, au visa des articles L640-2 et L640-3 et suivants et L526-1 et suivants du code de commerce, de :

- réformer le jugement

- dire l'action prescrite

- dire la selas Egide sans qualité à agir

- à titre principal, dire sa déclaration d'insaisissabilité opposable à la liquidation judiciaire, les règles commerciales s'appliquant en dépit de sa radiation au répertoire des métiers

- à titre subsidiaire, si la radiation devait entraîner la fin de la qualité d'artisan, la procédure de liquidation judiciaire est nulle et non avenue et Jean Marc S. devra bénéficier d'une procédure de surendettement, la liquidation judiciaire devra être annulée et la selas Egide n'est pas concernée par la déclaration d'insaisissabilité

- en tout état de cause, condamner la selas Egide à verser à Jean Marc S. 6.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et 2.000 euros en application de l'article 700 du cpc.

Vu les conclusions notifiées le 16 février 2020 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la selas Egide en qualité de liquidateur judiciaire de Jean Marc S. demandant, au visa des articles L526-1 et L526-2 du code de commerce, de :

- confirmer le jugement déféré à l'exception du rejet de la demande de la société Egide sur le fondement de l'article 700 du cpc

- condamner Jean Marc S. à lui verser 2.500 euros en application de l'article 700 du cpc et juger que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure collective.

Motifs de la décision :

- sur la prescription de l'action :

L'appelant soulève la prescription de l'action de la Selas Egide, es qualités, sur le fondement de l'article L631-8 du code de commerce relatif à la demande de modification de la cessation des paiements qui doit être présentée dans le délai d'un an de l'ouverture de la procédure collective.

L'appelant n'explique pas en quoi cet article s'appliquerait à l'action visant à déclarer inopposable la déclaration d'insaisissabilité de l'article L526-1 du code de commerce.

Le débiteur peut opposer à son liquidateur la déclaration d'insaisissabilité fondée sur l'article L526-1 du code de commerce qu'il a effectué avant d'être mis en liquidation judiciaire.

Contrairement au droit commun de la saisie immobilière, la procédure de vente aux enchères publiques d'un bien dépendant d'une liquidation judiciaire, ne commence pas à la délivrance d'un commandement de saisie mais par une décision du juge-commissaire qui, saisi, soit par un créancier, soit par le liquidateur va, selon l'auteur de la saisine, ordonner ou autoriser la vente par voie de saisie immobilière.

Le juge-commissaire devra, après avoir entendu les contrôleurs, le liquidateur et le débiteur, fixer dans son ordonnance la mise à prix, les conditions essentielles de la vente et déterminer les modalités de publicité. Cette ordonnance se substitue au commandement aux fins de saisie (article 126 du décret du 27 décembre 1985). Elle doit être notifiée au débiteur lequel dispose d'un recours qu'il pourra exercer seul au titre d'un droit propre.

Mais si ce recours n'a pas été exercé ou s'il a été rejeté, la décision du juge-commissaire devient définitive et avec elle, la validité et les conditions de la vente de telle sorte que le débiteur ne dispose plus de droit propre à faire valoir au cours des opérations de saisie proprement dite, et notamment au cours de l'audience éventuelle.

En l'espèce, le liquidateur judiciaire, avant d'entamer les opérations de saisie des biens du débiteur ou de requête en autorisation de vente du dit bien, cherche à reconstituer le gage commun des créanciers et a été informé de l'exception d'opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité du 19 novembre 2013 de Jean Marc S. portant sur un bien commun du couple qui sera opposée à toute ordonnance d'autorisation de vente d'actifs du juge commissaire.

Dès lors, son action, à défaut de contestation d'une quelconque action judiciaire de vente ou de saisi du bien, visant à déterminer si le bien litigieux est dans le gage des créanciers, n'est soumise à aucune prescription extinctive. Il convient de confirmer le jugement de ce chef.

- sur l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité du 19 novembre 2013 :

À titre principal sur le fond, la partie appelante considère que la déclaration d'insaisissabilité demeure opposable aux créanciers professionnels dès qu'elle a été régulièrement publiée à tous les créanciers postérieurs à la publication. Elle se fonde sur l'arrêt chambre commerciale du 14 mars 2018 n° 16-27302 ainsi que celui du 28 juin 2011 n° 10-15482 pour la dire opposable à la procédure collective.

La Selas Egide, es qualités, fait valoir que, pour bénéficier de l'opposabilité d'une telle déclaration d'insaisissabilité, il faut répondre au critère de l'article L 526-1 du code de commerce et par conséquent conserver le statut de professionnel.

Elle rappelle que l'insaisissabilité de droit de la résidence principale de l'entrepreneur individuel n'est intervenue qu'avec la loi Macron du 6 août 2015 qui est inapplicable aux procédures collectives ouvertes avant ladite loi, comme l'a déjà précisé l'arrêt du 29 mai 2019 n° 18-16097.

En l'espèce, Jean Marc S. a cessé son activité depuis le 9 février 2015 et s'est fait radier du répertoire des métiers avant de déposer le bilan en juin 2015, le tribunal de commerce ayant prononcé sa liquidation judiciaire par jugement du 30 juin 2015.

Jean Marc S. rappelle à bon droit que, selon l'article L 640-3 du code de commerce, la procédure de liquidation judiciaire ouverte aux personnes visées à l'article L640-2 après la cessation de leur activité professionnelle dès lors que tout ou partie de leur passif provient de leur activité professionnelle.

Il bénéficiait donc, après radiation de son activité au répertoire des métiers, des dispositions de l'article L640-1 du code de commerce dès lors qu'il a lui-même déposé le bilan en faisant valoir un passif professionnel.

L'article L526-1 du code de commerce, dans sa version antérieure à la loi du 6 août 2015 dispose que «'par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ainsi que sur tout bien foncier bâti ou non bâti qu'elle n'a pas affecté à son usage professionnel. Toutefois, cette déclaration n'est pas opposable à l'administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l'encontre du déclarant, soit des manoeuvres frauduleuses, soit l'inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, au sens de l'article 1729 du code général des impôts. Cette déclaration, publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant.

Lorsque le bien foncier n'est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l'objet de la déclaration que si elle est désignée dans un état descriptif de division. La domiciliation du déclarant dans son local d'habitation en application de l'article L. 123-10 ne fait pas obstacle à ce que ce local fasse l'objet de la déclaration, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire.’ »

S'il ne précise pas la durée des conditions d'opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité ni si la perte de la qualité d'exploitant professionnel annihile les effets la déclaration d'insaisissabilité préalablement publiée, ce texte vise à protéger certains biens de l'exploitant dans le cadre de son activité professionnelle à l'égard de ses créanciers professionnels.

Dès lors, le mandataire judiciaire ne peut se prévaloir de l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité de biens régulièrement désignés et publiés à l'égard de créanciers professionnels apparus postérieurement à cette publication.

Lorsqu'une procédure collective a été régulièrement ouverte au bénéfice de l'exploitant, fut il radié du registre professionnel, la déclaration d'insaisissabilité du bien litigieux est opposable au liquidateur judiciaire, en l'espèce à la selas Egide, es qualités, en dépit du fait que le débiteur a radié son activité quelques mois avant le dépôt de bilan.

ll convient d'infirmer le jugement et de dire opposable à la procédure collective la déclaration d'insaisissabilité du 19 novembre 2013.

- sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral :

Jean Marc S. sollicite des dommages-intérêts sans déterminer précisément le préjudice moral subi du seul fait de la procédure initiée pour déterminer le gage commun des créanciers. Cette action avait l'avantage de préciser le périmètre des actifs de JM S. avant distribution du produit de leur réalisation.

Ce dernier ne subit donc aucun préjudice de l'action judiciaire exercée. La selas Egide es qualités n'a fait qu'exercer ses droits sans aucun abus établi.

Il convient de débouter JM S. de sa demande de dommages-intérêts.

- sur les demandes accessoires :

La selas Egides, es qualités, qui succombe en appel, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui seront passés en frais privilégiés de la procédure collective.

En revanche, eu égard à la situation respective des parties, chacune d'elles conservera la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

- Infirme le jugement, mais seulement en ce qu'il a jugé que la déclaration notariée d'inaliénabilité du 19 novembre 2013 est inopposable à la liquidation judiciaire de Jean Marc S.,

Et statuant à nouveau sur le chef infirmé,

- dit que la déclaration notariée d'inaliénabilité du 19 novembre 2013 est opposable à la liquidation judiciaire de Jean Marc S.

- confirme le jugement pour le surplus

- condamne la Selas Egide, es qualités, aux dépens d'appel et dit qu'ils seront passés en frais privilégiés de la procédure collective

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame SALMERON, Président, et par Madame SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.