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Décisions

Cass. crim., 26 janvier 2005, n° 04-82.334

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

M. Launay

Avocat :

SCP Vincent et Ohl

Bordeaux, du 9 mars 2004

9 mars 2004

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Michel,

- Y... François,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 9 mars 2004, qui a condamné le premier, pour corruption active, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 5000 euros d'amende et le second, pour complicité de corruption active, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi formé par Michel X... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur le pourvoi formé par François Y... :

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-3, 121-6, 121-7, 433-1, 433-22 et 433-23 du Code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François Y... coupable de complicité de corruption active ;

"aux motifs que compte tenu de sa qualité d'avocat, de son absence totale d'intérêt dans cette affaire, de la diligence avec laquelle il a informé son client, il n'y aucune raison de douter de la sincérité du témoignage de Pierre Z..., de la réalité des propos qu'il dit avoir entendus de la bouche de Michel X..., qui sont sans ambiguïté, et donc de la réalité de la proposition de corruption qui lui a été faite par celui-ci, dûment mandaté par François Y... ; qu'au demeurant, la version de X... n'est pas sérieusement crédible ; ( ) que Michel X... présente sa rencontre avec David A... comme fortuite, et sa visite avec Pierre Z... comme de son initiative propre, alors que François Y... a déclaré qu'il avait demandé à Michel X..., qui connaissait son dossier et lui avait déjà conseillé Depaw pour négocier avec le groupe AXA, de lui obtenir un rendez-vous avec David A... pour faire avancer son dossier et d'en parler avec Pierre Z... ; que devant le magistrat instructeur, Michel X... a d'ailleurs indiqué avoir rencontré ce dernier compte tenu de la demande expresse de François Y... de se mettre en quête d'un conseil ; qu'il ne peut être sérieusement soutenu que l'objet de cette rencontre avec Pierre Z... était de lui proposer d'assurer localement la défense des intérêts de François Y..., dans la mesure où d'une part François Y... avait déjà un conseil, en la personne de Me B..., avocat au barreau du Val d'Oise, d'autre part et surtout, étant déjà le conseil du liquidateur des sociétés SA Dupuy Engineering et SA Dupuy Machines, Pierre Z... ne pouvait assurer la défense des intérêts de leur dirigeant François Y... ; que les relations d'amitié de Michel X... avec ce dernier, ainsi que la mission qu'il a accepté de remplir auprès de David A..., ne pouvaient permettre à Michel X... d'ignorer la nature du litige opposant le liquidateur à celui qui se prétendait créancier de la SA Desa en vertu de conventions signées le 10 juin 1998 avec la SA Vamopar, ainsi que le rôle tenu par Pierre Z... dans ce dossier ; ( ) qu' il est établi qu'en réalité, Michel X... savait pertinemment, lorsqu'il a rendu visite à Pierre Z... le 26 octobre 1998, soit deux jours après son entretien avec David A..., que Pierre Z... était le conseil de ce dernier dans le dossier intéressant François Y... ;

qu'il ne peut donc valablement soutenir qu'il ignorait alors que Pierre Z... était le conseil du liquidateur et que le but de son entretien était de demander à Pierre Z... d'être localement le conseil de François Y... ; qu'au regard d'une part de la position d'opposition clairement adoptée par David A... sur la question de la subrogation, position parfaitement connue de François Y..., d'autre part, de l'importance pour ce dernier de voir le problème dénoué, la thèse selon laquelle il avait décidé de faire intervenir un tiers, non impliqué dans le dossier, auprès du conseil du liquidateur pour tenter de convaincre ce dernier d'infléchir sa position, prend toute sa cohérence ; que d'ailleurs Michel X..., interrogé sur la lettre de Pierre Z... quant à sa demande d'intervention pour que soit reconnu à son mandant la qualité de créancier de la société Desa, a fait état de troubles de la mémoire sans pour autant exclure avoir proposé de l'argent à Pierre Z... pour qu'il accepte d'intervenir auprès de David A... pour que ce dernier reconnaisse la qualité de François Y... de créancier et d'actionnaire de Desa ; que, de même, la concordance qui existe entre la date à laquelle cette proposition a été faite (le 26 octobre 1998) et la date à laquelle François Y... a déposé une requête en sursis des opérations de répartition de l'actif (le 22 octobre 1998), renforce la thèse d'une ultime démarche tentée par celui-ci pour s'opposer à la distribution de l'actif avant que les droits dont il se prévalait soient reconnus ; que dans ces conditions, la preuve est suffisamment rapportée que Michel X... a bien tenté de corrompre Pierre Z... ; qu'en sa qualité de liquidateur, David A... était chargé d'une mission de service public ; que le but de la corruption était d'obtenir de lui, par l'intermédiaire de Pierre Z..., qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, en l'espèce qu'il ne s'oppose plus à la subrogation dont François Y... se prévalait dans la procédure de liquidation judiciaire ; qu'en sa qualité de liquidateur, David A... exerçait et poursuivait les fonctions dévolues au représentant des créanciers ainsi que celles dévolues par le chapitre II du titre 1er (vérification des créances) ;

qu'il lui incombait de confectionner l'état de répartition dont l'ordonnancement par le juge-commissaire n'est plus prévu ; qu'il pouvait ainsi s'opposer à ce que François Y..., dont il contestait la qualité de tiers subrogé dans les créances initialement déclarées par le groupe AXA, puisse bénéficier de la répartition du boni de liquidation aux lieu et place du créancier initial ; que François Y... avait donc intérêt à ce que le liquidateur, au lieu de faire obstacle à sa prétendue subrogation, le fasse figurer dans l'état de répartition en qualité de créancier à la liquidation judiciaire de Desa et Dms, ou en tout cas acquitte en sa faveur les dividendes de la liquidation qui, sans ladite subrogation, revenaient au groupe AXA ; que la proposition d'un budget d'honoraires exceptionnel n'a pu être faite par Michel X... à Pierre Z... sans l'accord de son mandant, François Y... ; qu'il est ainsi suffisamment démontré que François Y... a en réalité demandé à Michel X... d'intervenir directement ou indirectement auprès de David A... pour que soient reconnus ses droits de créancier de la société Desa et non pas seulement pour que les opérations de liquidation judiciaire soient clôturées rapidement ; que François Y..., ayant donné des instructions à Michel X... pour exprimer la proposition de corruption, a scellé ainsi le pacte de corruption (arrêt, page 34 à 39) ;

"alors qu'en l'état de ces seules énonciations par lesquelles elle n'a pas caractérisé, autrement que par un motif d'ordre général et purement hypothétique, les instructions qu'auraient données François Y... en vue de la corruption de Me A... au moyen du versement d'honoraires à répartir entre lui et son conseil, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-3, 121-6, 121-7, 433-1, 433-22 et 433-23 du Code pénal, 2, 3, 418, 421, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, qui a déclaré François Y... coupable de complicité de corruption active, a déclaré recevable la constitution de partie civile de David A... et a condamné le prévenu à lui verser à la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts, outre diverses sommes sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"aux motifs que le conseil de la partie civile a précisé que David A... agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de liquidateur des sociétés SA Dupuy Ingineering et SA Dupuy Machines ; qu'il ne peut être sérieusement contesté que les agissements coupables de Michel X... et François Y... ont causé directement et personnellement à David A... un préjudice moral, s'agissant d'une tentative de corruption dans sa fonction de liquidateur des sociétés SA Dupuy Ingineering et SA Dupuy Machines ; que s'agissant d'un préjudice moral personnel, ledit David A... est en droit d'en obtenir réparation même après clôture de la procédure collective ; qu'il s'ensuit que sa constitution de partie civile est recevable (arrêt, pages 40 et 41) ;

"alors, d'une part, que le principe du double degré de juridiction fait obstacle à ce que la partie civile se constitue pour la première fois en cause d'appel ; qu'en l'espèce, il résulte des propres mentions du jugement qu'en première instance, David A... s'était constitué partie civile en qualité de mandataire liquidateur des sociétés Dupuy Engineering et Dupuy Machines ; que, dès lors, en admettant, pour la première fois en cause d'appel, la constitution de partie civile de David A..., en son nom personnel, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et a violé l'article 418 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 496 du même code ;

"et alors, d'autre part, et en tout état de cause, que la déclaration de la partie civile doit, à peine d'irrecevabilité, être antérieure aux réquisitions du Ministère Public sur le fond ; qu'en se bornant, pour admettre la recevabilité de la constitution de partie civile de David A..., à énoncer que le conseil de la partie civile a précisé que David A... agissait notamment en son nom personnel, sans indiquer si cette déclaration était ou non antérieure aux réquisitions du Ministère Public, la cour d'appel a violé l'article 421 du Code de procédure pénale" ;

Vu les articles 2, 4 et 515, alinéa 3, du Code de procédure pénale ;

Attendu que le principe du double degré de juridiction fait obstacle à ce qu'une cour d'appel déclare recevable une constitution de partie civile formée pour la première fois devant elle ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que David A..., qui a fait l'objet des manoeuvres constitutives de la corruption dont François Y... s'est rendu complice, s'était constitué partie civile devant les premiers juges "en qualité de mandataire liquidateur des sociétés Dupuy Engineering et Dupuy Machines", dont le prévenu avait été le dirigeant, et que devant les juges du second degré, il s'est présenté comme agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de liquidateur ;

Attendu que, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de David A..., contestée par le prévenu qui soutenait qu'en raison de la clôture des opérations de liquidation judiciaire des sociétés précitées, le liquidateur dessaisi n'avait plus qualité pour agir, l'arrêt énonce que celui-ci a subi, à titre personnel, un préjudice moral dont il est en droit d'obtenir réparation, même après clôture de la procédure collective ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que n'est pas recevable en cause d'appel la constitution de partie civile en une autre qualité que celle présentée devant les premiers juges, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs,

I - Sur le pourvoi de Michel X... :

Le REJETTE ;

II - Sur le pourvoi de François Y... :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions civiles, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 9 mars 2004, toutes autres dispositions étant expréssement maintenues ;

DECLARE IRRECEVABLE la constitution de partie civile de David A... en son nom personnel ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.