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Décisions

Cass. 3e civ., 7 octobre 2014, n° 13-19.448

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Terrier

Avocats :

SCP Roger, Sevaux et Mathonnet, SCP Yves et Blaise Capron

Bordeaux, du 9 avr. 2013

9 avril 2013


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 9 avril 2013), que la société civile immobilière Saint-Louis immobilier 1 (la SCI) a consenti à la société Bordeaux distribution un bail à construction d'une durée de trente ans à compter du 1er janvier 1983 ; qu'en exécution de ce bail, la société Bordeaux distribution a fait édifier un bâtiment sous la forme d'un « hypermarché » exploité par la société Sofibor ; que des désordres étant apparus sur le carrelage refait, en 2001, par la société JM Branger, assurée par la société Swisslife assurance de biens (la société Swisslife), la SCI et les sociétés Bordeaux distribution et Sofibor ont assigné la société JM Branger et la société Swisslife, sur le fondement décennal, en réparation de leurs préjudices ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la SCI et la société Sofibor font grief à l'arrêt de les débouter de toutes leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en déboutant, dans le dispositif de son arrêt, la SCI et la société Sofibor de leurs demandes, quand elle retenait, dans les motifs de son arrêt, que ces demandes étaient irrecevables, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif, en violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que l'obligation de garantie décennale assumée par le constructeur d'un ouvrage constitue une protection légale qui est attachée à la propriété de l'ouvrage ; qu'en estimant que la SCI était irrecevable à agir en son action en garantie décennale, quand elle constatait que le bail à construction conclu, le 23 novembre 1982, entre la SCI et la société Bordeaux distribution stipulait que sa durée était de trente ans et qu'à l'expiration de ce bail à construction, l'immeuble construit sur la parcelle de terrain objet de ce bail se retrouverait dans le patrimoine de la SCI et, partant, quand il résultait de ses propres constatations qu'à la date où elle statuait, la SCI était propriétaire de l'ouvrage litigieux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les dispositions de l'article 1792 du code civil ;

3°/ qu'une personne autre que le propriétaire de l'ouvrage est recevable à exercer une action en garantie décennale dès lors qu'elle peut invoquer un préjudice personnel lui conférant un intérêt direct et certain à agir ; qu'en estimant que la société Sofibor était irrecevable à agir en son action en garantie décennale, sans répondre au moyen, soulevé par la société Sofibor dans ses conclusions d'appel, qui était tiré ce que les mesures qui étaient nécessaires pour remédier aux désordres litigieux perturberaient, pendant plusieurs mois, l'exploitation du fonds de commerce dont elle était le locataire-gérant et lui causeraient un préjudice financier, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et a violé, en conséquence, les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant retenu que la SCI ne serait propriétaire de l'ouvrage qu'à l'expiration du bail à construction, d'une durée de trente ans, dont elle n'a pas mentionné la date de prise d'effet et que les travaux avaient été commandés par la société Bordeaux distribution, propriétaire de l'ouvrage, la cour d'appel, sans contradiction et abstraction faite de l'utilisation sans conséquence d'un terme impropre, a pu en déduire, répondant aux conclusions, que seule la société Bordeaux distribution avait la qualité de maître d'ouvrage et que la SCI et la société Sofibor étaient sans qualité pour agir sur le fondement des dispositions de l'article 1792 du code civil ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Bordeaux distribution fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que tout constructeur d'ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; que des désordres affectant une partie du carrelage d'un immeuble à usage d'hypermarché, tenant à des décollements de carreaux, des brisures, des fissurations et à l'absence ou à la forte dégradation de joints périphériques, situés dans plusieurs allées de l'hypermarché où le passage de clients et du personnel est important, rendent, même en l'absence d'interruption ou de ralentissement de l'exploitation de l'hypermarché liés à ces désordres, cet immeuble impropre à sa destination d'hypermarché ; qu'en considérant, par conséquent, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, que l'immeuble à usage d'hypermarché litigieux n'avait pas été rendu impropre à sa destination par les désordres affectant son carrelage, quand elle constatait l'existence de désordres affectant une partie du carrelage de l'immeuble à usage d'hypermarché litigieux, tenant à des décollements de carreaux, des brisures, des fissurations et à l'absence ou à la forte dégradation de joints périphériques, situés dans plusieurs allées de l'hypermarché où le passage de clients et du personnel est important, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé, en conséquence, les dispositions de l'article 1792 du code civil ;

2°/ que tout constructeur d'ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; que des désordres affectant un élément d'équipement d'un immeuble à usage d'hypermarché et créant une situation dangereuse pour le personnel et les clients de cet hypermarché rendent cet immeuble impropre à sa destination d'hypermarché ; que l'absence d'intervention des commissions d'hygiène et de sécurité habilitées ou de mise en demeure ne permet pas, à elle seule, d'exclure l'existence d'une telle situation dangereuse ; qu'en énonçant, après avoir relevé que la société Bordeaux distribution produisait des éléments de preuve de nature à établir le caractère dangereux du carrelage de l'immeuble à usage d'hypermarché litigieux, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, qu'aucune intervention des commissions d'hygiène et de sécurité habilitées, ni aucune mise en demeure ne permettaient d'établir que les défauts affectant le carrelage de l'immeuble à usage d'hypermarché litigieux eussent été à l'origine d'un non-respect de normes sanitaires ou autres pouvant établir une impropriété à la destination du carrelage mis en oeuvre, la cour d'appel s'est fondée sur une circonstance qui était insuffisante pour que sa décision fût légalement justifiée et a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1792 du code civil ;

3°/ que tout constructeur d'ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; que des désordres affectant un élément d'équipement d'un immeuble à usage d'hypermarché et créant une situation contraire aux règles d'hygiène relatives à l'exploitation d'un hypermarché rendent cet immeuble impropre à sa destination d'hypermarché ; que l'absence d'intervention des commissions d'hygiène et de sécurité habilitées ou de mise en demeure ne permet pas, à elle seule, d'exclure l'existence d'une telle situation ; qu'en énonçant, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, qu'aucune intervention des commissions d'hygiène et de sécurité habilitées, ni aucune mise en demeure ne permettaient d'établir que les défauts affectant le carrelage de l'immeuble à usage d'hypermarché litigieux eussent été à l'origine d'un non-respect de normes sanitaires ou autres pouvant établir une impropriété à la destination du carrelage mis en oeuvre, quand l'absence d'intervention des commissions d'hygiène et de sécurité habilitées ou de mise en demeure ne suffisait pas à exclure que les désordres litigieux eussent entraîné, comme l'avait soutenu la société Bordeaux distribution, une stagnation anormale des eaux de lavage incompatible avec les règles d'hygiène élémentaires qui doivent être respectées dans un hypermarché, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une circonstance qui était insuffisante pour que sa décision fût légalement justifiée, a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1792 du code civil ;

4°/ que tout constructeur d'ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en énonçant, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, qu'il n'avait été justifié, malgré les demandes de l'expert judiciaire, d'aucun changement dans la disposition des rayonnages depuis l'ouverture de l'hypermarché exploité dans l'immeuble litigieux, quand cette circonstance n'excluait, en aucune manière, que les désordres en cause eussent rendu l'immeuble litigieux impropre à sa destination, la cour d'appel la cour d'appel s'est fondée sur une circonstance qui était insuffisante pour que sa décision fût légalement justifiée et a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1792 du code civil ;

5°/ qu'en se bornant à affirmer, par motifs adoptés des premiers juges, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, que l'exploitation de l'hypermarché se trouvant dans l'immeuble litigieux se poursuivait sans difficulté, sans justifier, d'une quelconque manière cette appréciation, la cour d'appel s'est déterminée par voie de simple affirmation et, partant, par une apparence de motivation, et a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que de nouveaux désordres constatés au-delà de l'expiration du délai décennal qui est un délai d'épreuve peuvent être réparés au titre des dispositions de l'article 1792 du code civil s'ils trouvent leur siège dans l'ouvrage ou la partie d'ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l'expiration de ce délai ; qu'en énonçant, par conséquent, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, que, lors du dépôt du rapport d'expertise, le 7 novembre 2011, alors que la prescription décennale était acquise, les désordres n'affectaient que 14 % de la surface du carrelage et qu'aucune généralisation des désordres sur toute cette surface ne s'était donc produite, quand les désordres qui affecteraient l'ensemble de la surface du carrelage litigieux trouveraient leur siège dans la partie d'ouvrage où les désordres de même nature avaient été constatés et dont la réparation avait été demandée en justice avant l'expiration du délai décennal, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1792 du code civil ;

7°/ Que les dallages ou carrelages ne constituent pas des éléments d'équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du code civil ; qu'en estimant le contraire, par motifs adoptés des premiers juges, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1792-3 du code civil ;

8°/ que tout constructeur d'ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, et ceci que cet élément d'équipement soit dissociable ou non de cet ouvrage ; qu'en se fondant, dès lors, par motifs adoptés des premiers juges, pour débouter la société Bordeaux distribution de ses demandes, sur la circonstance que le carrelage litigieux était dissociable de l'ossature du bâtiment sans atteinte à la dalle de compression, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1792 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté qu'il n'était argué d'aucune interruption ou ralentissement de l'exploitation commerciale, que les désordres n'affectaient qu'une partie limitée du carrelage et ne s'étaient pas généralisés pendant le délai d'épreuve décennal et qu'aucune intervention des services d'hygiène et de sécurité ne permettait d'établir que les désordres avaient été à l'origine d'un non-respect des normes sanitaires, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a souverainement retenu que l'ouvrage n'avait pas été rendu impropre à sa destination, et, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants tirés de la garantie de bon fonctionnement et du caractère dissociable du carrelage, en a exactement déduit que les désordres invoqués ne relevaient pas de la garantie décennale ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.