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Décisions

CA Paris, 12e ch. B, 18 mars 1997, n° 96/07119

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Morat

Avocats :

Me Guetta, Me Khellaf, Me Karila

CA Paris n° 96/07119

17 mars 1997

RAPPEL DE LA PROCEDURE  

LE JUGEMENT 

C. a régulièrement formé opposition à 1’execution d’un jugement de défaut en date du 5 septembre 1996 qui l’a condamné à la peine de 5 mois d’emprisonnement avec sursis et à payer une amende de 10.000 francs pour abus de confiance commis à PARIS, courant Septembre 1995, délit prévu et réprimé par les articles 314-1, 314 -1 al 2, 314-10 du Code pénal ;

Par ce même jugement, il a été en outre condamné à payer à la partie civile la somme de 111.550 francs et 19 centimes à titre de dommages intérêts ainsi que celle de 4.000 francs au titre de l'article 475-1 du C.P.P.

Le Tribunal a déclaré recevable l’opposition formée par C., au jugement en date du 25 janvier 1996 rendu par la 13ème Chambre

A mis le jugement à néant

A déclaré C. coupable d’abus de confiance

A condamné C. à DEUX MOIS d’emprisonnement avec sursis.

SUR L’ACTION CIVILE 

A déclaré recevable la constitution de partie civile de la Société D.

A condamné C. à payer à la STE D., partie civile la somme de 105210,79 francs à titre de dommages-intérêts, et en outre la somme de 3.000 francs au titre de l’article 475-1 du C.P.P.

LES APPELS

Appel a été interjeté par 

Monsieur C., le 16 septembre 1996 contre D. (STE)

M. le Procureur de la République, le 16 septembre 1996 contre Monsieur C.

DEROULEMENT DES DEBATS 

A l’audience publique du 18 FEVRIER 1997, Mme le Président a constaté l’identité du prévenu ;

Ont été entendus :

Mme le Président MORAT, en son rapport ;

C. en ses interrogatoire et moyens de défense ;

Maître GUETTA Norbert, Avocat en sa plaidoirie ;

Monsieur BLACHON, Avocat General, en ses réquisitions ;

Maître KHELLAF Nejya et Maître KARILA Jean Pierre, Avocats de la partie civile en leur plaidoirie ;

C. et son avocat à nouveau qui ont eu la parole en dernier.

Mme Le Président a ensuite déclaré que l’arrêt serait prononcé le 18 MARS 1997.

DECISION

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par le prévenu et le Ministère Public à l’encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé de la prévention.

Par voie de conclusions déposées par son avocat, C. allègue que les premiers juges ont fait une inexacte appréciation tant des faits que du droit de la cause.

Il demande à la Cour d’infirmer le jugement dont appel, de le relaxer des fins de la poursuite, de débouter la partie civile de l’intégralité de ses demandes, de condamner cette dernière à lui verser 10.000 francs au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale .

C. fait valoir qu’il a exploité en nom propre entre 1986 et la fin de l’année 1995 une épicerie située à PARIS, rue Secrétan, que dans le cadre de ses activités, il achetait auprès de ses divers fournisseurs toutes sortes de denrées alimentaires et boissons qu’il revendait et que son fournisseur en vins, champagne et alcools était la Sté D.

C. précise qu’il a toujours honoré ses échéances à l'égard de ce dernier mais qu’il a connu fin 1995 des difficultés dans l’exploitation de son commerce.

C. rappelle que par jugement du 12 Octobre 1995 le Tribunal de Commerce de PARIS a, sur déclaration de cessation de paiement, prononcé à son encontre l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, et que Me DIDIER a été désigné en qualité de représentant des créanciers et M. LE TAILLANTER en qualité d’administrateur judiciaire.

Le prévenu souligne que la STE D. bénéficiait d’un compte créditeur et régularisait le 17 octobre 1995 une déclaration de créances pour un montant de 137.109,75 francs ventilée comme suit:

- factures impayées: 25 559,25 francs 

- marchandises confiées en dépôt vente: 111 550,19 francs.

C. soutient que ses relations avec la Sté D. s’inscrivent dans le cadre classique d’un fournisseur à un revendeur au détail, qu'il convient de requalifier les contrats faussement libellés "dépôt vente" en contrats de vente, les faits étant en contradiction flagrante avec une telle qualification, la Société D. ayant simplement tenté, par le biais d’une procédure pénale, d’échapper aux conséquences de l'ouverture du redressement judiciaire.

C. expose que les factures congés portent exclusivement sur des spiritueux assujettis tant à la T.V.A. à 18,60% qu’a la cotisation de sécurité sociale de 8,40 francs par litre, les vins et jus de raisin n'étant pas soumis au prélèvement destinés à la sécurité sociale.

C. soutient que la STE D. facturait séparément les spiritueux d’une part, et les vins et jus de raisin d’autre part, pour retarder ou échapper au règlement de ladite cotisation.

C. allègue que dans les deux cas, il s’agissait bien de contrats de vente et non d'un dépôt vente.

C. soutient que les éléments constitutifs du délit d’abus de confiance tels que définis par l'article 314-1 du Code pénal ne sont pas réunis en l'espèce, les marchandises ne lui ayant jamais été remises à charge pour lui de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé mais lui ayant été livrées dans le cadre d’un contrat de vente.

L’Avocat de la partie civile par voie de conclusions régulièrement déposées sollicite la confirmation de la décision critiquée et la condamnation du prévenu à lui verser 10.000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le Conseil de la Société D. allègue avoir confié à C. à titre de dépôt vente 111 550,19 francs de marchandises.

II soutient que ces marchandises devaient lui être immédiatement réglées et qu’elles n'ont été ni payées, ni restituées.

La partie civile fait plaider par ailleurs qu’à la suite d’une requête en revendication elle avait pu récupérer après le jugement du 25 janvier 996, 3224,25 francs toutes taxes comprises de marchandises de sorte que le montant de son préjudice ne s’élève plus qu’à 108.325,94 francs.

La Société D. soutient que certaines des marchandises avaient été confiées à C. en dépôt vente et que d’autres lui avaient été vendues avec clause de réserve de propriété.

Elle expose qu’elle confie de manière habituelle des marchandises à ses clients en dépôt vente pour mieux contrôler la gestion de ces derniers, mais qu’en ce qui concerne les spiritueux, la législation douanière imposant de verser des droits sur les alcools vendus dans un délai de 30 jours, elle avait préféré renoncer à utiliser le dépôt vente et avait choisi par souci de simplification d’appliquer le contrat de vente.

La Société D. invoque que la mention "dépôt vente" apparait bien sur les bordereaux et qu’il est indiqué sur chaque document " Règlement par dépôt vente. Conditions de règlement au verso".

La Société D. soutient que C. ne peut aujourd’hui prétendre qu’il s’agissait de contrats de vente simple.

Elle demande à la Cour en conséquence de ne pas requalifier les contrats critiqués, de considérer que C. s’est bien rendu coupable d’un abus de confiance, et de confirmer le jugement entrepris.

 M. l'Avocat Général requiert confirmation de la décision déférée.

La Cour relève que C. agissait pour son propre compte et exploitait son commerce de manière totalement indépendante par rapport à la Société D.

Cette dernière n'exerçait en effet aucun contrôle sur l’activité de son cocontractant, le prix de vente était librement fixe par ce dernier, les ventes étaient faites au nom et pour le compte de C. et le risque commercial de l'invendu restait à la charge de celui-ci.

La Cour relève que la Société D. a accepté de livrer de nouvelles marchandises alors que les premières n’étaient pas encore vendues et payées et qu’elle a ainsi effectué des livraisons successives de mars 1995 à septembre 1995 sans réclamer le retour des marchandises invendues.

Il convient en outre, de souligner qu’aucune mise en demeure de restituer n’a été adressée par la Sté D. à M. C.

La Cour constate par ailleurs qu’aucun document intitulé facture n’était remis pour les achats de vins et de jus de raisin, et que le document libellé " Bordereau dépôt vente " tenait en fait lieu de facture et devait être payé selon accord entre les parties.

La Cour considère que les relations entre la Société D. et C. s’inscrivent ainsi dans un cadre classique de contrat de vente d’un fournisseur à un revendeur au détail.

La preuve de la précarité de la remise invoquée par la partie civile n'est pas rapportée.

La différence de qualification des contrats concernant les spiritueux d’une partie vins et jus de raisin, d’autre part émanant d’ailleurs de la seule plaignante, se rapporte à la nature des produits livrés et non à une différence existant entre les conventions passées entre les parties. 

La Société D. procédait ainsi à des ventes successives sans s’inquiéter du sort des marchandises livrées.

Le transfert de propriété des marchandises à C. s’opérait en conséquence dès la formation du contrat conformément aux dispositions de l'article 1582 du Code Civil.

II convient en conséquence de requalifier les contrats ayant liés C. a la Société D. libellées improprement "Dépôt Vente" en contrat de vente. 

Le délit d’abus de confiance qui consiste d’après les dispositions de l'article 314-1 du Code pénal à détourner au préjudice d’autrui des valeurs, ou un bien quelconque qui lui ont été remis ou qu’elle a accepté à charge de les rendre, de les reprendre ou d’en faire un usage déterminé n'est ainsi pas constitué en l’espèce. C. étant devenu propriétaire des marchandises dès la formation du contrat et débiteur en conséquence d’une simple obligation civile de paiement.

La Cour, par infirmation, relaxera donc C. des fins de la poursuite et déboutera la partie civile de ses demandes fins et conclusions.

La Cour par ailleurs déclarera irrecevable la demande du prévenu fondée sur l'article 475-1 du Code de procédure pénale, seule une partie civile pouvant bénéficier des dispositions de cet article.

 PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement dont appel.

RELAXE C. des fins de la poursuite.

Déboute la partie civile des ses demandes, fins et conclusions.

Déclare irrecevable la demande du prévenu fondée sur l'appel des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.