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Décisions

CEDH, 9 octobre 1979, n° 6289/73

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

Arrêt

CEDH n° 6289/73

8 octobre 1979

1. Laffaire Airey a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de lHomme ("la Commission"). A son origine se trouve une requête dirigée contre lIrlande et dont une ressortissante de cet État, Mme Johanna Airey, avait saisi la Commission le 14 juin 1973 en vertu de larticle 25 (art. 25) de la Convention.

2. La demande de la Commission, qui saccompagnait du rapport prévu à larticle 31 (art. 31) de la Convention, a été déposée au greffe de la Cour le 16 mai 1978, dans le délai de trois mois fixé par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) et à la déclaration par laquelle lIrlande a reconnu la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet dobtenir une décision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de lÉtat défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes des articles 6 par. 1, 8, 13 et 14 (art. 6-1, art. 8, art. 13, art. 14).

3. La Chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. P. ODonoghue, juge élu de nationalité irlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Balladore Pallieri, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 31 mai 1978, en présence du greffier adjoint, le président de la Cour a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. J. Cremona, M. Thór Vilhjálmsson, M. W. Ganshof van der Meersch, M. L. Liesch et M. F. Gölcüklü (article 43 in fine de la Convention et article 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

M. Balladore Pallieri a assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement). Empêché ultérieurement de participer à lexamen de laffaire, il a été remplacé par M. Wiarda, vice-président de la Cour (article 21 paras. 3 b) et 5 du règlement). Pour la même raison, le premier juge suppléant, M. Evrigenis, a par la suite remplacé M. Cremona (article 22 par. 1 du règlement).

4. Le président de la Chambre a recueilli, par lintermédiaire du greffier adjoint, lopinion de lagent du gouvernement de lIrlande ("le Gouvernement"), de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 15 juillet 1978, il a décidé que lagent présenterait un mémoire avant le 17 octobre 1978 et que les délégués auraient la faculté dy répondre par écrit dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le greffier le leur aurait communiqué.

Le greffe a reçu le mémoire du Gouvernement le 16 octobre 1978. Le 15 décembre 1978, les délégués de la Commission ont déposé le leur,accompagné dobservations de la requérante sur celui du Gouvernement; ils ont produit un autre document le 22 janvier 1979.

5. Le 1er février 1979, le président a fixé louverture de la procédure orale au 22 février 1979 après avoir consulté agent du Gouvernement et délégués de la Commission par lintermédiaire du greffier.

6. Les audiences se sont déroulées en public le 22 février, au Palais des Droits de lHomme à Strasbourg. Auparavant, la Chambre avait tenu au début de la matinée une brève réunion consacrée à leur préparation.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement:

Mme. J. Liddy, jurisconsulte adjoint

​​​au ministère des affaires étrangères,  agent,

M. N. McCarthy, S.C.,

M. J. Cooke, avocat, conseils,

M. L. Dockery, Chief State Solicitor,

M. A. Plunkett, Legal Assistant,

​​​Attorney-Generals Office,conseillers;

- pour la Commission:

M. J. Fawcett, délégué principal,

M. T. Opsahl, délégué,

Mme M. Robinson, sénateur, avocat, et

M. B. Walsh, Solicitor, qui avaient représenté

​​​la requérante devant la Commission, assistant les délégués ​​conformément à larticle 29 par. 1, deuxième phrase, du

​​​règlement de la Cour.

La Cour a ouï en leurs déclarations, ainsi quen leurs réponses à ses questions et à celles de son président, M. Fawcett, M. Opsahl et Mme Robinson pour la Commission, M. McCarthy pour le Gouvernement.

A laudience, la Commission a fourni un document à la Cour.

7. Sur les instructions de la Cour, le greffier a adressé le 26 février 1979 à lagent du Gouvernement le texte de certaines questions sur un aspect particulier de la cause. Il a reçu les réponses le 26 mars 1979 et les a communiquées le jour même aux délégués de la Commission. Le 6 avril 1979, le secrétaire adjoint de celle-ci la informé que les délégués navaient aucune observation à formuler à leur sujet.

FAITS

Les circonstances de lespèce

8. Mme Johanna Airey, citoyenne irlandaise née en 1932, réside à Cork. Issue dune famille de condition modeste, elle a commencé à travailler dès sa jeunesse en qualité de vendeuse. Elle sest mariée en 1953 et a quatre enfants dont le plus jeune reste à sa charge. Au moment de ladoption du rapport de la Commission elle touchait de lÉtat une indemnité de chômage, mais elle a un emploi depuis juillet 1978. En décembre 1978, son salaire hebdomadaire net sélevait à 39£99. En 1974, elle a obtenu en justice une ordonnance enjoignant à son époux de lui verser une pension alimentaire de 20 £ par semaine, montant porté à 27 £ en 1977 et à 32 £ en 1978.Cependant M. Airey, qui travaillait comme camionneur mais sest trouvé par la suite en chômage, a cessé de payer cette pension en mai 1978.

La requérante affirme que son mari est alcoolique; avant 1972, il laurait fréquemment menacée de sévices et lui en aurait parfois infligé. En janvier 1972, à lissue dune instance engagée par elle, le tribunal darrondissement (District Court) de Cork la condamné à une amende pour avoir recouru contre elle à des voies de fait. M. Airey a quitté le domicile conjugal en juin. Il ne la jamais réintégré; sa femme craint pourtant aujourdhui quil nessaie dy retourner.

9. Pendant huit années environ jusquen 1972, Mme Airey a cherché en vain à conclure avec lui un accord de séparation. En 1971, il a refusé de signer un acte préparé dans ce but par le solicitor de la requérante et les tentatives ultérieures de celle-ci pour lamener à se montrer coopératif ont échoué elles aussi.

Depuis juin 1972, elle sefforce darriver à un jugement de séparation de corps en invoquant la cruauté physique et mentale de son mari envers elle et leurs enfants. Elle a consulté à ce propos plusieurs solicitors, mais nen a trouvé aucun qui acceptât de la représenter, faute daide judiciaire et nayant pas elle-même les moyens financiers voulus.

En 1976, la requérante a saisi un tribunal ecclésiastique aux fins dannulation de son mariage. Sa demande demeure à létude; si elle aboutit, elle ne modifiera pas létat civil de lintéressée.

Droit interne

10. Si lon peut obtenir en Irlande, sous certaines conditions, un jugement de nullité - la constatation, par la High Court, quun mariage était nul et non avenu ab initio -, le divorce au sens de dissolution du mariage ny existe pas. Larticle 41 par. 3, alinéa 2, de la Constitution dispose en effet: "Il ne sera adopté aucune loi permettant de dissoudre le mariage."

En revanche, les époux peuvent se voir relever du devoir de cohabitation par un acte de séparation conclu entre eux, et qui les lie, ou par un jugement de séparation de corps (appelée aussi divorce a mensa et thoro). Pareille décision ne touche pas à lexistence juridique du mariage. Elle ne peut intervenir que si le demandeur prouve lun des trois manquements suivants: adultère, cruauté ou pratiques contre nature. Les parties citent et interrogent des témoins sur ce point.

Daprès larticle 120 par. 2 de la loi de 1965 sur les successions, celui aux torts duquel est prononcée la séparation de corps perd certains droits successoraux à légard de son conjoint.

11. Seule la High Court a compétence pour rendre un tel jugement. Les parties peuvent plaider en personne. Toutefois, les réponses duGouvernement aux questions de la Cour (paragraphe 7 ci-dessus) révèlent que dans chacune des 255 instances en séparation de corps introduites en Irlande de janvier 1972 à décembre 1978, sans exception, un homme de loi représentait le demandeur.

Dans son rapport du 9 mars 1978, la Commission notait que les frais encourus par un demandeur ainsi représenté se situaient en gros entre 500 et 700 £ si laction ne donnait pas lieu à contestation, entre 800 et 1200 £ dans le cas contraire; le montant exact dépend de plusieurs facteurs comme le nombre des témoins et la complexité des problèmes à trancher. Si une femme gagne le procès, on ordonne en règle générale au mari dacquitter tous les frais normaux et raisonnables exposés par elle; un juge taxateur (Taxing Master) en arrête le décompte.

LIrlande ne connaît pas à lheure actuelle daide judiciaire pour les affaires de séparation de corps, ni dailleurs pour les affaires civiles en général. En 1974 a été créée, sous la présidence du juge Pringle, une commission sur laide judiciaire et les consultations juridiques en matière civile. Dans son rapport de décembre 1977 au gouvernement, elle préconise dinstituer un système global daide judiciaire et de consultations juridiques en ce domaine. A laudience du 22 février 1979, le conseil du Gouvernement a informé la Cour que ce dernier a décidé en principe dinstaurer laide judiciaire pour les litiges ressortissant au droit de la famille et quil espère voir prendre avant la fin de lannée les mesuresnécessaires.

12. Depuis que Mme Airey a saisi la Commission est entrée en vigueurla loi de 1976 sur les pensions alimentaires des conjoints et enfants (FamilyLaw (Maintenance of Spouses and Children) Act). Aux termes de son article 22 par. 1,

"A la demande de lun ou lautre conjoint le tribunal peut, sil lui semble y avoir des motifs sérieux de penser que la sécurité ou le bien-être de ce conjoint ou dun enfant à la charge du couple lexige, ordonner à lautre conjoint, sil réside au même lieu que le demandeur ou lenfant, de quitter ce lieu et, quil y réside ou non, lui en interdire laccès jusquà nouvel ordre ou jusquà une date fixée par le tribunal."

Pareille ordonnance, communément appelée barring order, nest pas permanente et lon peut en demander à tout moment la révocation (article 22 par. 2). En outre, si elle émane dun tribunal darrondissement - et non dune Circuit Court ou de la High Court - elle ne vaut que pour trois mois au maximum, sauf renouvellement.

Une femme à qui son mari a infligé des sévices peut aussi intenter une procédure pénale sommaire.

PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION

13. Dans sa requête du 14 juin 1973 à la Commission, Mme Airey formulait différents griefs concernant le procès de 1972 contre son époux, des brutalités policières quelle aurait endurées en 1973 et une privation illégale de liberté quelle aurait subie la même année. Elle reprochait surtout à lÉtat de ne pas lavoir protégée contre la cruauté physique et mentale dun mari violent et alcoolique selon elle

- en ne linternant pas pour le désintoxiquer;

- en ne veillant pas à ce quil lui versât régulièrement sa pension;

- en se quelle ne pouvait, en raison des frais prohibitifs à supporter, obtenir une séparation judiciaire.

Sur ce dernier point elle alléguait la violation:

- de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, parce quon lui déniait en pratique le droit daccès à un tribunal;

- de larticle 8 (art. 8), parce que lÉtat noffrait pas une procédure judiciaire accessible pour les décisions relatives aux droits et obligations découlant de la législation en matière familiale;

- de larticle 13 (art. 13), en ce que nul recours effectif devant une instance nationale ne souvrait à elle contre les violations incriminées;

- de larticle 14, combiné avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1), en ce que lon pouvait plus aisément aboutir à une séparation judiciaire si lon avait les moyens de payer que dans le cas contraire.

14. Le 7 juillet 1977, la Commission a retenu la requête dans la mesure où lintéressée se plaignait de linaccessibilité de la procédure de séparation judiciaire; elle la déclarée irrecevable pour le surplus.

Dans son rapport du 9 mars 1978, elle formule lavis:

- à lunanimité, que lÉtat viole larticle 6 par. 1 (art. 6-1) en nassurant pas laccès effectif de la requérante à un tribunal pour lui permettre dobtenir une séparation de corps;

- que cette conclusion la dispense dexaminer laffaire sous langle des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14) (unanimité), ou de larticle 8 (art. 8) (douze voix contre une, avec une abstention).

CONCLUSIONS ET OBSERVATIONS FINALES PRESENTEES A LA COUR

15. À laudience du 22 février 1979 le Gouvernement a confirmé lesconclusions figurant dans son mémoire:

"Plaise à la Cour de dire que la Commission naurait pas dû déclarer la requête recevable.

Plaise à la Cour de dire que même si la Commission a eu raison de retenir la requête, elle aurait dû la rejeter au fond.

Le gouvernement défendeur na pas enfreint les obligations lui incombant en vertu de la Convention européenne des Droits de lHomme."

Le même jour, le conseil de Mme Airey a résumé ainsi la thèse de sa cliente:

"Aux yeux de la requérante, le caractère totalement inaccessible et exclusif de la demande en séparation de corps devant la High Court méconnaît son droit daccès aux tribunaux civils, que daprès larticle 6 par. 1 (art. 6-1) le gouvernement irlandais doit lui assurer; labsence en droit irlandais dun recours moderne, effectif et accessible en cas déchec du mariage constitue un manque de respect pour sa vie familiale au sens de larticle 8 (art. 8); les dépenses exorbitantes à supporter pour obtenir une séparation de corps, et qui se traduisent par moins dune douzaine de jugements par an,sanalysent en une discrimination fondée sur la fortune et contraire à larticle 14 (art. 14); le droit irlandais ne lui ouvre pas de recours effectif face à léchec de son mariage, ce qui en soi viole larticle 13 (art. 13)."

EN DROIT

I. QUESTIONS PRELIMINAIRES

16. Selon le Gouvernement, la requête de Mme Airey était irrecevable pour défaut manifeste de fondement et non-épuisement des voies de recours internes.

Daprès la Commission, la Cour a certes compétence pour se prononcer sur tout point de fait ou de droit qui surgit pendant linstance, mais non pour juger que la Commission a versé dans lerreur en déclarant une requête recevable; à laudience, le délégué principal a exprimé lopinion quelle aborde sur le terrain du fond, et non comme juge dappel, les problèmes concernant la décision de recevabilité.

17. La Cour a établi deux principes en la matière. Dune part, lesdécisions par lesquelles la Commission retient les requêtes sont sansrecours; dautre part, une fois saisie la Cour, investie de la plénitude de juridiction, peut trancher des questions de recevabilité soulevées antérieurement devant la Commission (voir notamment larrêt Klass et autres, du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 17, par. 32). De la combinaison de ces principes, il ressort que la Cour ne connaît pas de telles questions en qualité de juridiction dappel: elle se borne à rechercher si les conditions lhabilitant à traiter le fond du litige se trouvent remplies.

18. En invoquant devant la Cour le défaut manifeste de fondement dune requête, un gouvernement ne lui défère pas en réalité un problème relatif à ces conditions; il plaide en somme quil ny a pas même lapparence dun grief justifié contre lÉtat défendeur. Il sagit là dune exception dont la Commission doit connaître avant de statuer sur la recevabilité (article 27 par. 2 de la Convention) (art. 27-2); quand elle lécarte, il lui incombe normalement, à lissue dun examen du fond de laffaire, de formuler un avis sur lexistence ou labsence dune violation (article 31) (art. 31). En revanche, la distinction entre défaut manifeste de fondement et absence de violation est dénuée dintérêt pour la Cour, chargée de constater par un arrêt définitif que lÉtat en cause a respecté ou au contraire enfreint la Convention (articles 50, 52 et 53) (art. 50, art. 52, art. 53).

Il nen va pas de même du moyen de non-épuisement des voies de recours internes. La règle consacrée par larticle 26 (art. 26) "dispense lesÉtats de répondre de leurs actes devant un organe international avantdavoir eu loccasion dy remédier dans leur ordre juridique interne" (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 29, par. 50); elle a trait à la faculté de mettre en jeu leur responsabilité sur le plan de la Convention. Dès lors, pareil moyen peut sans conteste poser des questions distinctes de celle du bien-fondé de lallégation de manquement.

Partant, la Cour na pas à statuer sur le premier argument préliminaire du Gouvernement mais elle le doit sur le second, du reste déjà présenté à la Commission de sorte quil ny a pas forclusion (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp, précité, p. 30, par. 54).

19. Le Gouvernement estime que la requérante a négligé à plusieurs égards dépuiser les voies de recours internes.

a) Tout dabord, elle aurait pu selon lui contracter avec son mari un accord de séparation ou réclamer, en vertu de la loi de 1976, une"ordonnance dinterdiction" (barring order) ou une pension alimentaire(paragraphes 10 et 12 ci-dessus).

La Cour souligne que larticle 26 (art. 26) de la Convention exige lexercice des seuls recours se rapportant à la violation incriminée. Celle dont se plaint Mme Airey découle de ce que lÉtat ne lui aurait pas donné accès à la justice pour demander une séparation de corps. Or ni une séparation amiable, ni une "ordonnance dinterdiction" ni loctroi dune pension alimentaire nassurent un tel accès. La Cour ne saurait donc accueillir la première branche du moyen.

b) En second lieu, le Gouvernement insiste sur la circonstance que la requérante aurait pu comparaître devant la High Court sans lassistance dun homme de loi. Il soutient en outre quelle na rien à gagner à une séparation judiciaire.

La Cour rappelle que le droit international, auquel larticle 26 (art. 26) renvoie en termes exprès, impose uniquement lutilisation des recours à la fois "accessibles aux intéressés et adéquats, cest-à-dire de nature à porter remède à leurs griefs" (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp, précité, p. 33, par. 60). Or elle ne pourrait apprécier si la faculté, pour Mme Airey, de défendre sa cause en personne sanalyse en une "voie de recours interne", ainsientendue, sans se prononcer du même coup sur la valeur du grief concernant larticle 6 par. 1 (art. 6-1): labsence alléguée daccès effectif à la HighCourt. Quant à la thèse daprès laquelle une séparation judiciaire ne procurerait aucun avantage à la requérante, elle se révèle étroitement liée à un autre aspect de ce grief: la réalité du préjudice subi. En conséquence, la Cour joint au fond le restant du moyen.

II. SUR LARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) CONSIDERE ISOLEMENT

20. Larticle 6 par. 1 (art. 6-1) se lit ainsi:

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais laccès de la salle daudience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans lintérêt de la moralité, de lordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès lexigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice."

Mme Airey se réfère à larrêt Golder du 21 février 1975 (série A no 18), dans lequel la Cour a interprété ce texte comme consacrant le droit daccès à un tribunal en vue dune décision sur des droits et obligations de caractère civil; parce que les frais prohibitifs dun procès lauraient empêchée de saisir la High Court pour demander une séparation judiciaire, il y aurait eu violation de la clause précitée.

La Commission unanime souscrit en substance à cette thèse que combat le Gouvernement.

21. La requérante désire obtenir un jugement de séparation de corps.Lissue dune instance engagée à cette fin étant sans nul doute"déterminante pour des droits et obligations de caractère privé", donc a fortiori "de caractère civil" au sens de larticle 6 par. 1 (art. 6-1), ce dernier sapplique en lespèce (arrêt König du 28 juin 1978, série A no 27, pp. 30 et 32, paras. 90 et 95); la question na dailleurs pas prêté à controverse devant la Cour.

22. "Larticle 6 par. 1 (art. 6-1) garantit à chacun le droit à ce quun tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil" (arrêt Golder précité, p. 18, par. 36). Il comprend donc le droit, pour Mme Airey, davoir accès à la High Court pour réclamer une séparation judiciaire.

23. Il convient dexaminer à ce stade la thèse du Gouvernement daprès laquelle lintéressée na rien à gagner à pareille séparation (paragraphe 19 b) ci-dessus).

La Cour rejette cette manière de raisonner. La séparation judiciaire constitue un remède prévu par la législation irlandaise et doit, à ce titre, soffrir à quiconque remplit les conditions fixées par celle-ci. Le choix de la voie de droit à utiliser dépend de lindividu; partant, même sil était exact que Mme Airey ait opté pour un recours moins approprié que dautres à sa situation personnelle, cela demeurerait sans conséquence.

24. Selon le Gouvernement, la requérante a bien accès à la High Court puisquil lui est loisible de sadresser à elle sans lassistance dun homme de loi.

La Cour ne considère pas cette ressource comme décisive en soi. La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ouillusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, larrêt du 23 juillet 1968 en laffaire "linguistique belge", série A no 6, p. 31, paras. 3 in fine et 4; larrêt Golder précité, p. 18, par. 35 in fine; larrêt Luedicke, Belkacem et Koç, du 28 novembre 1978, série A no 29, pp. 17-18, par. 42; larrêt Marckx du 13 juin 1979, série A no 31, p. 15, par. 31). La remarque vaut en particulier pour le droit daccès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (cf., mutatis mutandis, larrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 14-15, par. 25). Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lassistance dun conseil serait efficace, en ce sens que Mme Airey pourrait présenter ses arguments de manière adéquate et satisfaisante.

Gouvernement et Commission ont exposé à ce sujet des vues contradictoires lors des audiences. La Cour estime certain que la requérante se trouverait désavantagée si son époux était représenté par un homme de loi et elle non. En dehors même de cette hypothèse, elle ne croit pas réaliste de penser que lintéressée pourrait défendre utilement sa cause dans un tel litige, malgré laide que le juge - le Gouvernement le souligne - prête aux parties agissant en personne.

En Irlande un jugement de séparation de corps ne sobtient pas devant un tribunal darrondissement, où la procédure est relativement simple, mais devant la High Court. Un spécialiste du droit irlandais de la famille, M. Alan J. Shatter, voit dans cette juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort élevé des honoraires à verser pour sy faire représenter, mais aussi de la complexité de la procédure à suivre pour introduire une action, en particulier sur requête (petition) comme ici (Family Law in the Republic of Ireland, Dublin 1977, p. 21).

En outre pareil procès, indépendamment des problèmes juridiques délicats quil comporte, exige la preuve dun adultère, de pratiques contre nature ou, comme en loccurrence, de cruauté; pour établir les faits, il peu y avoir lieu de recueillir la déposition dexperts, de rechercher des témoins, de les citer et de les interroger. De surcroît, les différends entre conjoints suscitent souvent une passion peu compatible avec le degré dobjectivité indispensable pour plaider en justice.

Pour ces motifs, la Cour estime très improbable quune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus) puisse défendre utilement sa propre cause. Les réponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion: elles révèlent que dans chacune des 255 instances en séparation de corps engagées en Irlande de janvier 1972 à décembre 1978, sans exception, un homme de loi représentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus).

La Cour en déduit que la possibilité de comparaître en personne devant la High Court noffre pas à la requérante un droit effectif daccès et, partant, ne constitue pas non plus un recours interne dont larticle 26 (art. 26) exige lépuisement (paragraphe 19 b) ci-dessus).

25. Le Gouvernement essaie de différencier la présente espèce de laffaire Golder. Dans cette dernière, souligne-t-il, le requérant avait été empêché de saisir un tribunal par un "obstacle positif" dressé sur son chemin par lÉtat: le ministre de lintérieur lui avait interdit de consulter un avocat. Ici, au contraire, il nexisterait de la part de lÉtat ni "obstacle positif" ni tentative dentrave: le défaut allégué daccès à la justice ne découlerait daucune initiative des autorités, mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey, dont on ne saurait tenir lIrlande pourresponsable sur le terrain de la Convention.

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indéniable, mais la Cour napprouve pas la conclusion quen tire leGouvernement. Tout dabord, un obstacle de fait peut enfreindre laConvention à légal dun obstacle juridique (arrêt Golder précité, p. 13, par. 26). En outre, lexécution dun engagement assumé en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives de lÉtat; en pareil cas, celui-ci ne saurait se borner à demeurer passif et "il ny a (...) pas lieu de distinguer entre actes et omissions" (voir, mutatis mutandis, larrêt Marckx précité, p. 15, par. 31, et larrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 10 mars 1972, série A no 14, p. 10, par. 22). Or lobligation dassurer un droit effectif daccès à la justice se range dans cette catégorie dengagements.

26. Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce quil considère comme les conséquences de lavis de la Commission: danschaque contestation relative à un "droit de caractère civil", lÉtat devrait fournir une aide judiciaire gratuite. Or la seule clause de la Convention qui régisse expressément cette dernière question, larticle 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), concerne les procédures pénales et saccompagne elle-même de restrictions; au surplus, daprès la jurisprudence constante de la Commission nul droit à une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par larticle 6 par. 1(art. 6-1). En ratifiant la Convention, ajoute le Gouvernement, lIrlande a formulé une réserve à larticle 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) pour réduire ses obligations dans le domaine de laide judiciaire en matière pénale; a fortiori, on ne saurait selon lui prétendre quelle ait tacitement accepté doctroyer une aide judiciaire illimitée dans les litiges civils. Enfin, il ne faut pas daprès lui interpréter la Convention de manière à réaliser dans un Étatcontractant des progrès économiques et sociaux; ils ne peuvent être que graduels.

La Cour nignore pas que le développement des droits économiques et sociaux dépend beaucoup de la situation des États et notamment de leurs finances. Dun autre côté, la Convention doit se lire à la lumière des conditions de vie daujourdhui (arrêt Marckx précité, p. 19, par. 41), et à lintérieur de son champ dapplication elle tend à une protection réelle et concrète de lindividu (paragraphe 24 ci-dessus). Or si elle énonce pour lessentiel des droits civils et politiques, nombre dentre eux ont des prolongements dordre économique ou social. Avec la Commission, la Cour nestime donc pas devoir écarter telle ou telle interprétation pour le simple motif quà ladopter on risquerait dempiéter sur la sphère des droitséconomiques et sociaux; nulle cloison étanche ne sépare celle-ci dudomaine de la Convention.

La Cour ne partage pas davantage lopinion du Gouvernement sur les conséquences de lavis de la Commission.

On aurait tort de généraliser la conclusion selon laquelle la possibilité de comparaître en personne devant la High Court noffre pas à Mme Airey un droit effectif daccès; elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des "droits et obligations de caractère civil", ni pour tous les intéressés. Dans certaines hypothèses, la faculté de se présenter devant une juridiction, fût-ce sans lassistance dun conseil, répond aux exigences de larticle 6 par. 1 (art. 6-1); il se peut quelle assure parfois un accès réel même à la High Court.En vérité, les circonstances jouent ici un rôle important.

En outre larticle 6 par. 1 (art. 6-1), sil garantit aux plaideurs un droit effectif daccès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs "droits et obligations de caractère civil", laisse à lÉtat le choix des moyens à employer à cette fin. Linstauration dun système daide judiciaire - envisagée à présent par lIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-dessus) - en constitue un, mais il y en a dautres, par exemple une simplification de la procédure. Quoi quil en soit, ilnappartient pas à la Cour de dicter les mesures à prendre, ni même de les indiquer; la Convention se borne à exiger que lindividu jouisse de son droit effectif daccès à la justice selon des modalités non contraires à larticle 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, mutatis mutandis, larrêt Syndicat national de la police belge, du 27 octobre 1975, série A no 19, p. 18, par. 39, et larrêt Marckx précité, p. 15, par. 31).

La conclusion figurant à la fin du paragraphe 24 ci-dessus nimplique donc pas que lÉtat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un "droit de caractère civil".

Affirmer lexistence dune obligation aussi étendue, la Cour ladmet, se concilierait mal avec la circonstance que la Convention ne renferme aucune clause sur laide judiciaire pour ces dernières contestations, son article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) ne traitant que de la matière pénale. Cependant, malgré labsence dun texte analogue pour les procès civils larticle 6 par. 1 (art. 6-1) peut parfois astreindre lÉtat à pourvoir à lassistance dun membre du barreau quand elle se révèle indispensable à un accès effectif au juge soit parce que la loi prescrit la représentation par un avocat, comme la législation nationale de certains États contractants le fait pour diverses catégories de litiges, soit en raison de la complexité de la procédure ou de lacause.

Quant à la réserve irlandaise à larticle 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), on ne saurait linterpréter de telle sorte quelle influerait sur les engagements résultant de larticle 6 par. 1 (art. 6-1); partant, elle nentre pas ici en ligne de compte.

27. La requérante na pas réussi à trouver un solicitor qui voulût bien agir pour elle dans une instance en séparation de corps. Si les hommes de loi consultés par elle ny ont pas consenti, présume la Commission, cest quelle naurait pu supporter les frais nécessaires. Le Gouvernement conteste cette opinion, mais la Cour la trouve plausible et elle ne dispose daucun élément de preuve de nature à la contredire.

28. La Cour constate ainsi, à la lumière de lensemble des circonstances de la cause, que Mme Airey na pas bénéficié dun droit daccès effectif à la High Court pour demander un jugement de séparation de corps. Partant, il y a eu violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1).

III. SUR LARTICLE 14 COMBINE AVEC LARTICLE 6 PAR. 1 (art. 14+6-1)

29. Soutenant que le recours à la séparation judiciaire souvre plus aisément aux riches quaux pauvres, la requérante se prétend victime dune discrimination fondée sur "la fortune" et contraire à larticle 14 combiné avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1).

La Commission a considéré que son avis concernant larticle 6 par. 1 (art. 6-1) la dispensait détudier le litige au regard de larticle 14 (art. 14).Quant au Gouvernement, il na pas présenté dobservations à ce sujet.

30. Larticle 14 (art. 14) na pas dexistence indépendante; il représente un élément particulier (non-discrimination) de chacun des droits protégés par la Convention (voir notamment larrêt Marckx précité, pp. 15-16, par. 32). Les articles les consacrant peuvent se trouver méconnus isolément ou/et en combinaison avec larticle 14 (art. 14). Si la Cour ne constate pas de violation séparée de lun dentre eux, invoqué à la fois en soi et conjointement avec larticle 14 (art. 14), il lui faut examiner aussi la cause sous langle de ce dernier. En revanche, pareil examen ne simpose pas engénéral quand elle aperçoit un manquement aux exigences du premierarticle pris en lui-même. Il en va autrement si une nette inégalité detraitement dans la jouissance du droit en question constitue un aspectfondamental de laffaire, mais tel nest pas le cas de linfraction à larticle 6 par. 1 (art. 6-1) relevée en lespèce; partant, la Cour nestime pas nécessaire de se placer de surcroît sur le terrain de larticle 14 (art. 14).

IV. SUR LARTICLE 8 (art. 8)

31. Mme Airey allègue que lIrlande, faute doffrir une procédure judiciaire accessible en matière de droit de la famille, ne respecte pas sa vie familiale, et, par là, méconnaît larticle 8 (art. 8) ainsi libellé:

"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence dune autorité publique dans lexercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et quelle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de lordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés dautrui."

Dans son rapport, la Commission exprimait lopinion que son avis concernant larticle 6 par. 1 (art. 6-1) la dispensait détudier le litige au regard de larticle 8 (art. 8). Son délégué principal a cependant soutenu à laudience quil y avait eu également violation de cet article, thèse combattue par le Gouvernement.

32. Aux yeux de la Cour, Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lIrlande une "ingérence" dans sa vie privée ou familiale: elle se plaint en substance non dun acte, mais de linaction de lÉtat. Toutefois, si larticle 8 (art. 8) a essentiellement pour objet de prémunir lindividu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pasdastreindre lÉtat à sabstenir de pareilles ingérences: à cet engagement plutôt négatif peuvent sajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale (arrêt Marckx précité, p. 15, par. 31).

33. Le droit irlandais règle cette dernière sous beaucoup daspects. Au sujet de mariage, il prescrit en principe aux époux de cohabiter, mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de séparation de corps. Par là même, il reconnaît que la protection de leur vie privée ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir.

Un respect effectif de la vie privée ou familiale impose à lIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible, quand il y a lieu, à quiconque désire lemployer. Or la requérante ny a pas eu effectivement accès: nayant pas été mise en mesure de saisir la High Court (paragraphes 20 à 28 ci-dessus), elle na pu réclamer la consécration juridique de sa séparation de fait davec son mari. Elle a donc été victime dune violation de larticle 8 (art. 8).

V. SUR LARTICLE 13 (art. 13)

34. Mme Airey, saffirmant privée de tout recours effectif devant une instance nationale contre les violations quelle dénonce, invoque enfin larticle 13 (art. 13) aux termes duquel

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à loctroi dun recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans lexercice de leurs fonctions officielles."

La Commission a considéré que son avis concernant larticle 6 par. 1 (art. 6-1) la dispensait dexaminer laffaire sous langle de larticle 13 (art. 13). Quant au Gouvernement, il na pas présenté dobservations sur ce point.

35. La requérante désire exercer son droit dengager une action en séparation de corps en vertu de la législation irlandaise. La Cour a déjà jugé que pareille action a trait à un "droit de caractère civil", au sens de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphe 21 ci-dessus), et que larticle 8 (art. 8) oblige lIrlande à offrir à Mme Airey la possibilité effective de lintenter pour organiser sa vie privée (paragraphe 33 ci-dessus). Les articles 13 et 6 par. 1 (art. 13, art. 6-1) se chevauchant en loccurrence, la Cour ne croit pas avoirà déterminer sil y a eu manquement aux exigences du premier, moinsstrictes que celles du second et entièrement absorbées par elles en lespèce (voir, mutatis mutandis, larrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, précité, p. 46, par. 95).

VI. SUR LARTICLE 50 (art. 50)

36. A laudience, le conseil de la requérante a déclaré que si la Cour constatait une violation de la Convention, sa cliente demanderait au titre de larticle 50 (art. 50) une satisfaction équitable sous trois formes: accès effectif à un moyen de remédier à la situation née de léchec de son mariage; compensation pécuniaire pour la douleur, la souffrance et langoisse morale subies par elle; remboursement des frais supportés, surtout des frais annexes, honoraires davocat et autres dépenses spéciales.Les prétentions émises sur les deux derniers points nont pas été chiffrées.

Le Gouvernement na pas présenté dobservations sur lapplication de larticle 50 (art. 50).

37. Bien que soulevée en vertu de larticle 47 bis du règlement, ladite question ne se trouve dès lors pas en état. En conséquence, la Cour doit la réserver et déterminer la procédure ultérieure, en tenant compte de lhypothèse dun accord entre État défendeur et requérante (article 50 paras. 3 et 5 du règlement).

PAR CES MOTIFS, LA COUR

I. SUR LES MOYENS PRELIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

1. Rejette, à lunanimité, le moyen tiré par le Gouvernement du défaut manifeste de fondement de la requête;

 

2. Rejette, par six voix contre une, la première branche du moyen de non-épuisement des voies de recours internes soulevé par lui (paragraphe 19 a) des motifs);

 

3. Joint au fond, à lunanimité, la seconde branche du même moyen (paragraphe 19 b) des motifs), mais la rejette par six voix contre uneaprès examen au fond;

II. SUR LE FOND DE LAFFAIRE

4. Dit, par cinq voix contre deux, quil y a eu violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, considéré isolément;

 

5. Dit, par quatre voix contre trois, quil ne simpose pas dexaminer aussi laffaire sous langle de larticle 14 combiné avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1);

 

6. Dit, par quatre voix contre trois, quil y a eu violation de larticle 8 (art. 8);

 

7. Dit, par quatre voix contre trois, quil ne simpose pas dexaminer aussi laffaire sous langle de larticle 13 (art. 13);

 

8. Dit, à lunanimité, que la question de lapplication de larticle 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;

 

en conséquence,

 

a) la réserve en entier;

 

b) invite la Commission à lui présenter, dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt, ses observations sur cettequestion et notamment à lui donner connaissance de tout règlementauquel Gouvernement et requérante auront pu aboutir;

 

c) réserve la procédure ultérieure.

 

Rendu en français et en anglais, les deux textes faisant foi, au Palais des Droits de lHomme à Strasbourg, le neuf octobre mil neuf cent soixante-dix-neuf.

 

Gérard J. Wiarda

Président

 

Marc-André Eissen

Greffier

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément à larticle 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et à larticle 50 par. 2 du règlement, lexposé des opinions séparées suivantes:

- opinion dissidente de M. ODonoghue;

- opinion dissidente de M. Thór Vilhjálmsson;

- opinion dissidente de M. Evrigenis.

 

G. J. W.

M.-A. E.

 

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ODONOGHUE

(Traduction)

Ne pouvant suivre la ligne dominante et les principales conclusions de larrêt, jestime opportun de commencer par indiquer les données générales du problème, puis de traiter brièvement des décisions de la Cour sous les différents articles invoqués au titre de la Convention.

A. Observations dordre général

Nul ne conteste que la Convention ne garantit aucun droit à une aide judiciaire gratuite en matière civile. La chose peut se déduire de plusieurs affaires et de lhistorique des événements qui ont conduit le Comité des Ministres à adopter, en mars 1978, sa résolution (78) 8. Celle-ci résultait de maintes discussions et de lexamen bienveillant de lopportunité de prévoir en ce domaine une assistance et des conseils. Elle recommandait aux gouvernements des États membres "de prendre ou de renforcer, selon le cas, toutes les mesures quils estiment nécessaires afin de donner progressivement effet aux principes qui figurent à lannexe" à la résolution.Ces principes englobaient une aide judiciaire et des consultations juridiquesgratuites en faveur des indigents. En parlant de leur donner progressivement effet, on reconnaissait que la situation variait selon les États parties à la Convention. Le gouvernement défendeur a signalé à la Cour quavant la fin de 1979 il introduira un projet de loi instituant une aide judiciaire pour les questions de droit de la famille. Si je songe à la lenteur dont les États témoignent en général pour promouvoir une législation de réforme sociale, je ne pense pas que lengagement assumé en lespèce accuse un retard déraisonnable à déférer aux recommandations du Comité des Ministres.

Sachant que la Convention ne renferme aucun droit à une aide judiciaire, la requérante allègue que labsence de pareille aide a entravé lexercice de son droit daccès à la High Court. A lappui de sa thèse, elle cite larrêt Golder de notre Cour. Il faut toutefois souligner quune interdiction effective empêchait Golder de saisir un tribunal, tandis que Mme Airey ne se heurte à aucun barrage ou obstacle pour sadresser à la High Court.Indépendamment du droit et de la liberté, pour tout profane, dintenter et poursuivre au civil une action devant les tribunaux irlandais sans laide ou intervention dun homme de loi, rien ne prouve que Mme Airey ait essayéou tenté, officiellement ou non, dentrer en contact ou communiquer avec la High Court. En revanche, les pièces produites par elle montrent quelle alibrement communiqué avec la Commission des Droits de lHomme etentretenu une longue correspondance avec les autorités ecclésiastiques sur la question de la nullité.

Dans laffaire "de vagabondage", notre Cour a jugé contraire à la Convention que lÉtat neût pas prévu dans sa législation un tribunalcompétent pour examiner les plaintes relevant de larticle 5 par. 4 (art. 5-4).Pareille omission nexiste pas en lespèce. Le recours centenaire que constitue laction en séparation de corps devant la High Court demeure ouvert à Mme Airey. Son ancienneté et le soulagement modéré quil apporte à un demandeur victorieux peuvent avoir contribué à la rareté croissante de son emploi, mais il y a une autre explication. Le dénommer demande en divorce a mensa et thoro prête à confusion car le remède offert consiste en une simple séparation des époux et non en un divorce au sens habituel du terme, cest-à-dire un divorce a vinculis. Le consentement mutuel des parties fournit un moyen plus commode daboutir à la séparation et si lunedelles cherche à se protéger contre des menaces ou voies de fait, elle peut obtenir du tribunal local un barring order. La séparation judiciaire prononcée à la suite dune demande en divorce a mensa et thoro ne change rien à la qualité de conjoints des parties et ne dissout point le mariage. Je reconnais cependant que le choix de la voie de droit à utiliser dépend de Mme Airey.

Peut-être convient-il de renvoyer aux faits et à lavertissement, figurant au paragraphe 14 du rapport, selon lequel la Commission ne formule aucune conclusion sur la conduite de Timothy Airey ni sur les allégations de la requérante contre lui. Léchec du mariage Airey ressort de preuves suffisantes. On peut comprendre que le conseil de sa femme décrive Timothy Airey comme un mari violent et alcoolique terrorisant constamment celle-ci, mais quels sont les faits? Mme Airey na poursuivi quune fois son mari en justice pour voies de fait. En janvier 1972, le tribunal a condamné le défendeur à 25 pence damende et a refusé de lui ordonner de prendre un engagement quant à son comportement futur. Cette décision, a-t-on estimé, se révèle justifiée car depuis 1972 sa femme na jamais porté plainte contre Timothy Airey pour lavoir approchée ou menacée ni pour avoir tenté de réintégrer le domicile conjugal. En outre, jusquau moment où il sest trouvé en chômage, en décembre 1978, il a payé la pension alimentaire allouée par le tribunal. Les événements ont en fait opéré une séparation complète entre les époux. Il me semble étonnant que lon nait pas essayé dobtenir de Timothy Airey une déclaration àlappui de lassertion daprès laquelle il a refusé de se rendre au cabinet des solicitors de sa femme pour signer un acte de séparation. Je regrette que la Cour nait pas cru devoir observer, elle, la réserve dont la Commission avait témoigné en se gardant de commenter la conduite de M. Airey.

Une autre raison pour laquelle on recourt si peu à la séparation judiciaire est, bien entendu, quun jugement ne dissoudrait pas le mariage. Il est assez simpliste de dire que le divorce a vinculis soffrait aux Irlandais de 1857 à 1922 au Royaume-Uni: il supposait un procès préalable devant les juridictions irlandaises puis lexercice, par la Chambre des Lords, de sa souveraineté législative pour rompre le lien. En réalité, on donne une fausse idée des choses en affirmant que le citoyen irlandais moyen disposait là dune possibilité de dissoudre juridiquement un mariage: de 1857 à 1922, ilny eut guère plus de vingt cas de pareil recours.

La situation qui résulte à lheure actuelle de la Constitution irlandaise ne suscite aucun doute. Sa rigueur peut paraître un peu étrange à certains membres de la Cour, mais il faut comprendre que depuis plus dun siècle le droit irlandais dresse de nombreux obstacles sur la voie menant à la rupture du mariage.

La Cour a toujours eu soin déviter de recommander ou suggérer des schémas de réformes constitutionnelles ou législatives dans les Étatscontractants.

En matière de dissolution du mariage, le droit des différents États contractants a beaucoup changé récemment. A ma connaissance, nul najamais prétendu que tel article de la Convention exige ou prohibe des lois sur le divorce. Les règles autorisant la dissolution du mariage présentent une grande diversité; on conçoit sans peine que les ressortissants de pays où le divorce sobtient très vite et aisément éprouvent quelque difficulté à comprendre et saisir pleinement la situation rigoureuse existant aujourdhui en Irlande en raison de linterdiction qui figure dans la Constitution.

B. Observations particulières sur larrêt

Paragraphe 11

Sur les 255 instances, 30 ont abouti à un jugement de séparation; cela étaye mon opinion selon laquelle cette procédure archaïque nexerce guère dattrait sur les nombreuses personnes impliquées dans des litiges matrimoniaux et sert surtout quand surgissent des questions relatives à la garde des enfants ou à lattribution des biens du ménage. On na pas indiqué à la Cour si Timothy Airey se défendrait ou combattrait une demande en séparation de corps; on ne nous a signalé que son comportement depuis 1972: paiement de la pension alimentaire et reconnaissance de fait de létat de séparation. Chercher dans des statistiques un guide valable pour tous les cas de litiges matrimoniaux risque de décevoir; par leur subtilité et leurdiversité, les relations intimes entre mari et femme ne se prêtent souvent pas à une mise sur ordinateur.

Paragraphe 13

Rien ne prouve que lon ait jamais suggéré de désintoxiquer Timothy Airey; il a occupé un emploi jusquen 1978 et payé la pension durant cette période. Tout arrêt de la Cour devrait reconnaître ces faits. Je ne sache pas que dans aucun pays on ait imaginé un moyen efficace ou rentable de recouvrer de largent auprès dun mari défaillant et sans le sou.

Paragraphe 18

Dans laffaire "de vagabondage" le manquement tenait, si je comprends bien, à ce que la législation belge ne prévoyait pas un tribunal indépendant compétent pour examiner les plaintes relevant de larticle 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention et pour statuer sur elles. En lespèce il ny a pas de manquement ni domission de ce genre: le tribunal, à savoir la High Court, existe depuis longtemps. La référence à ladite affaire est donc hors de propos.

Paragraphe 19

On admet que le droit irlandais, contrairement à celui dautres pays, autorise une personne non assistée par un homme de loi à demander aide à la High Court et à la saisir. Il eût été particulièrement intéressant et utile pour moi dobtenir de la High Court une déclaration précisant si les indications fournies à la Commission par Mme Airey pouvaient ou non donner matière à une demande en séparation de corps. En labsence du moindre élément sur cette question capitale, un doute surgit nécessairement et je ne réussis pas à trouver la preuve requise pour établir une violation de larticle 6 (art. 6).

Paragraphe 20

La différence entre la présente cause et laffaire Golder me paraît manifeste. Mme Airey ne sest heurtée à aucune interdiction, aucunobstacle. Sans la preuve que la High Court neût pas traité sa demande, on ne peut et ne doit pas, selon moi, ériger en violation le défaut dune aide judiciaire à laquelle la Convention ne donne pas droit en matière civile.

Paragraphe 24

Je crois moi aussi que les droits protégés par la Convention doivent être concrets et effectifs, mais en lespèce la question serait simple: y avait-il des preuves de cruauté? Constater une violation de larticle 6 (art. 6) sur la base des données dont nous disposons équivaudrait à sécarter dun principe fondamental à mes yeux: il faut démontrer les violations de la Convention de manière positive, et non les présumer en labsence de toute preuve que la High Court nentendrait pas Mme Airey en personne. Jai déjà commenté, au sujet du paragraphe 11, la rareté des cas où des demandes ont abouti à unjugement. Jaimerais renvoyer aussi à mes observations générales sur la spécificité du droit irlandais du mariage et sur les difficultés rencontrées par qui nen connaît pas bien lhistoire et les caractéristiques.

Paragraphe 25

Je dois marquer mon désaccord avec la conclusion de la Cour sur ce point. Un obstacle peut certes enfreindre la Convention sil se trouve établi, mais pareille preuve manque en lespèce, je le répète; nous restons dans le domaine de la conjecture et de lhypothèse "plausible".

Paragraphe 26

La Cour a dû reconnaître quaux fins de larticle 6 (art. 6) laccès à la High Court nexige pas dans chaque cas lassistance ou intervention dun homme de loi. Les demandes dhabeas corpus sont fréquemment adressées à lun quelconque des membres de la High Court sans aucun formalisme et sans aide judiciaire; or elles peuvent concerner toute détention susceptible de recours, même si elle résulte dun litige civil. Nonobstant cette reconnaissance, larrêt ne semble pas considérer la situation de Mme Airey comme semblable à celle où elle se trouverait si elle se plaignait de la détention illégale dun de ses enfants en bas âge ou delle-même.

Paragraphe 27

Rien dans le dossier nindique que lun des divers solicitors consultés par Mme Airey ait formulé une déclaration ou explication, ni quon lui en ait demandé une. Là encore, larrêt fournit un exemple de déductions faites sans preuve positive. Je ne saurais conclure à une violation de la Convention en me fondant sur des présomptions "plausibles".

Paragraphe 28

Pour les raisons énoncées dans la présente opinion, je naperçois pas dinfraction à larticle 6 par. 1 (art. 6-1).

Paragraphes 29 et 30

Je naperçois aucune preuve de discrimination contraire aux articles 6 et 14 (art. 6, art. 14).

Paragraphes 31 à 33

Pour les raisons exposées plus haut, je ne puis estimer quune violation de larticle 8 (art. 8) se trouve établie.

Paragraphes 34 et 35

Il résulte de mon opinion ci-dessus que nulle violation de larticle 13 (art. 13) ne se trouve établie.

Paragraphes 36 et 37

Il faut, bien entendu, réserver la question de la satisfaction au sens de larticle 50 (art. 50).

 

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON

(Traduction)

Il nest pas contesté que la requérante, Mme Johanna Airey, ne peut supporter en entier les frais de sa représentation juridique dans une action en séparation de corps dont elle saisirait la High Court dIrlande. Elle allègue une violation des articles 6, 8, 13 et 14 (art. 6, art. 8, art. 13, art. 14) de la Convention. Les thèses juridiques relatives aux faits de la cause ont été compliquées par le moyen, repris devant la Cour par le gouvernement défendeur, selon lequel la Commission aurait dû déclarer la requête irrecevable.

Il me paraît loisible de commencer lexamen du fond de laffaire en recherchant si la Convention astreint le gouvernement défendeur à octroyer à la requérante une aide judiciaire et à lui donner ainsi les moyens de demander la séparation de corps à la High Court.

Nul ne conteste que la requérante a en théorie accès à la High Court: aucune norme légale ou décision dun ministre ou fonctionnaire nelempêche de se prévaloir des recours que peut offrir la High Court.

Les difficultés qui, selon la requérante, la privent du recours dont elle dispose en théorie daprès le droit irlandais sont donc dordre matériel. Elles ne se rapportent pas - ou alors dans une très faible mesure seulement - à des sommes quil lui faudrait payer au Trésor irlandais; il sagirait principalement dhonoraires à verser aux hommes de loi qui la représenteraient devant la High Court.

Cela étant jai abouti, sans grande hésitation mais en vérité avec regret, à la conclusion que la requérante ne peut sappuyer sur larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. A mon sens, il noblige point les États contractants à accorder une aide judiciaire gratuite en matière civile, ce qui constitue la véritable question en lespèce. La capacité ou incapacité de revendiquer les droits que vous garantit la Convention tient à plusieurs causes, dont votre situation financière. On doit évidemment le déplorer. Pour y remédier, les États contractants ont pris et prennent dinnombrables mesures, favorisantainsi le progrès économique et social dans notre partie du globe. Les idées de base de la Convention, tout comme son libellé, montrent clairement quelle traite dautres problèmes que celui dont il sagit ici. On ne peut gagner la guerre contre la pauvreté en interprétant largement la Convention de sauvegarde des Droits de lHomme et des Libertés fondamentales.Quand la Convention juge la capacité financière de se prévaloir dun droit protégé par elle si importante quon doit y voir un élément de ce droit, elle le précise ainsi que le confirme larticle 6 par. 3 (art. 6-3). Lorsque tel nest pas le cas, elle na pas à soccuper de savoir si, quand et comment les moyens financiers doivent être fournis. Toute autre interprétation de sesclauses, du moins à ce stade particulier de lévolution des droits delhomme, soulèverait des problèmes dont on ne peut prévoir lampleur et la complexité mais qui déborderaient sans nul doute le cadre de la Convention et les compétences des institutions créées par elle.

Quant à la violation alléguée de larticle 8 (art. 8), elle concerne manifestement les mêmes faits que le grief relatif à larticle 6 par. 1 (art. 6-1). Je trouve bien hasardeuse linterprétation de larticle 8 (art. 8) daprès laquelle le devoir de respecter la vie privée et familiale de Mme Airey inclut celui daider celle-ci à demander la séparation de corps devant la HighCourt. Il me semble suffisant à ce propos de renvoyer à ce que jai dit plus haut sur labsence, dans la Convention, de lobligation daccorder un soutien financier. Pour moi, cela vaut autant pour larticle 8 (art. 8) que pourlarticle 6 par. 1 (art. 6-1).

Tout en napercevant dinfraction ni à larticle 6 par. 1 (art. 6-1) ni à larticle 8 (art. 8), je ne puis nier que leur champ dapplication englobe les faits de la cause. La possibilité existe donc en droit de constater une violation de lun dentre eux, ou des deux, combinés avec larticle 14 (art. 14+6-1, art. 14+8). Ce dernier dispose notamment que la jouissance des droits reconnus dans la Convention doit être assurée sans distinction fondée sur la fortune. Or aucun obstacle juridique nempêche la requérante davoir accès à la High Court. Les difficultés quelle allègue sont dordre matériel.En outre, elles ont trait à ses rapports avec les hommes de loi plutôt quavec le gouvernement irlandais. Pour cette raison et pour celles que jai énoncées ci-dessus, je ne découvre pas de manquement aux exigences de larticle 14 (art. 14).

La requérante a invoqué larticle 13 (art. 13) de la Convention: elle naurait pas eu de "recours effectif devant une instance nationale" quand elle a recherché la protection offerte par les articles 6 par. 1, 8 et 14 (art. 6-1, art. 8, art. 14). Ni le Gouvernement ni la Commission ne se sont étendus dans leurs mémoires et plaidoiries sur les arguments concernant larticle 13 (art. 13). Il paraît ressortir du rapport de la Commission quaux yeux de la requérante une violation a découlé de labsence dune solution de rechange propre à remplacer un système daide judiciaire. Pareille thèse présuppose une violation des articles 6 par. 1, 8 et/ou 14 (art. 6-1, art. 8, art. 14); elle nest donc pas valable de mon point de vue. Un autre argument, probablement plus solide, aurait consisté à dire que comme la requérante seplaignait de la méconnaissance de droits garantis par la Convention, un recours effectif devait souvrir à elle pour déterminer si elle avait ou non droit à une aide judiciaire. Un tel argument aurait cadré avec larrêt de la Cour dans laffaire Klass et autres. Il na toutefois pas été soulevé devant la Cour et rien ne prouve que la requérante naurait pu se servir des moyens ordinaires dont disposent tous les citoyens pour sadresser en la matière à son gouvernement ou aux tribunaux sans frais prohibitifs. Pour ces motifs, je ne constate aucune violation de larticle 13 (art. 13).

 

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE EVRIGENIS

Je nai pas pu, à mon vif regret, me rallier à la majorité de la Cour sur trois points. Voici les réflexions qui ont motivé mon dissentiment:

1. La requérante allègue une violation de larticle 14 combiné avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1) de la Convention. Elle se plaint, notamment, dêtre victime dun traitement discriminatoire fondé sur la fortune: vu sa situation patrimoniale, le coût élevé de la procédure en séparation de corps judiciaire lui barre, en fait, la voie daccès à la justice.

Le grief aurait dû être examiné par la Cour. Pour rester, tout dabord, sur le terrain de larrêt et pour reprendre ses propres termes (paragraphe 30), il est hors de doute que par le grief en question la requérante dénonçait une "nette inégalité" de traitement fondée sur la fortune et constituant un "aspect fondamental" de laffaire. Par ailleurs, le fait que la Cour avait retenu uneviolation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) considéré isolément ne la dispensait pas dexaminer laffaire également sous langle de larticle 14 (art. 14). La distinction adoptée par larrêt (paragraphe 30) quant à la prise en considération de larticle 14 (art. 14) suivant quil y a ou non violation dune disposition de la Convention consacrant un droit particulier, ne me paraît pas fondée. Une discrimination dans la jouissance dun droit protégé par la Convention se heurte à larticle 14 (art. 14) quelle se situe dans lazone de la violation de ce droit ou en dehors de cette zone. Au sens de larticle 14 (art. 14), le terme "jouissance" devrait comprendre toutes les situations possibles entre le refus pur et simple dun droit protégé par la Convention et sa pleine consécration par lordre national. Cest pour ces motifs que jai répondu par laffirmative à la question de savoir sil fallait statuer sur la violation éventuelle de larticle 14 combiné avec larticle 6 par. 1 (art. 14+6-1) (point 5 du dispositif de larrêt).

2. Jai voté pour labsence dune violation de larticle 8 (art. 8) (arrêt, paragraphes 31-33, point 6 du dispositif). En effet, je nai pas pu constater la violation dun droit protégé directement ou indirectement par cette disposition. Les faits portés à la connaissance de la Cour révèlent, à mon sens, une violation qui se manifeste non dans le fond mais sur le terrain de la superstructure procédurale dun droit, donc une violation couverte et absorbée par larticle 6 par. 1 (art. 6-1).

3. La Cour aurait dû, à mon avis, entrer dans lexamen du grief fondé sur la violation de larticle 13 (art. 13) (arrêt, paragraphes 34 et 35, point 7 du dispositif). La voie judiciaire prévue par larticle 6 par. 1 (art. 6-1) concerne les droits civils, en lespèce le droit de séparation de corps judiciaire. Par contre, le recours visé à larticle 13 (art. 13) se réfère aux droits fondamentaux protégés par la Convention, en lespèce le droit daccès à la justice, tel quil découle de larticle 6 par. 1 (art. 6-1). Il ny avait donc deffet ni de chevauchement, ni dabsorption entre les deux dispositions.