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Décisions

CA Metz, ch. com., 9 février 2012, n° 09/02773

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jetta (SCI)

Défendeur :

Placeo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebrou

Conseillers :

Mme Soulard, Mme Knaff

Avocats :

Me Bettenfeld, Me Sebban, Me Poudenx

T. com. Avignon, du 5 juill. 2004

5 juillet 2004

La SCI JETTA a consenti à la SA LORSOL TMB aux droits de laquelle est venue la société SILIDUR ROCLAND un bail commercial signé le 31 janvier 1995 et ayant pour objet la location de locaux sis 60, route de Metz à Jouy-aux-Arches pour une durée de 12 ans.

Par jugement du 5 juillet 2004 le tribunal de commerce d'Avignon a ordonné la cession des actifs de la société SILIDUR ROCLAND dont le bail du 31 janvier 1995 à la SA PLACEO et celle-ci a délivré congé à la SCI JETTA le 28 juillet 2006 pour le 30 janvier 2007.

Après avoir obtenu la désignation d'un expert pour vérifier l'état des lieux et à la suite du dépôt du rapport d'expertise, la SCI JETTA a assigné, le 7 avril 2008, la SA PLACEO devant la chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Metz à l'effet de la voir condamner à lui payer les sommes de :

• 14 550 € au titre de la remise en état des locaux loués,

4 057,93 € au titre de l'arriéré locatif,

5 000 € au titre du préjudice locatif subi,

2 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La société PLACEO a conclu à l'irrecevabilité de ces demandes, subsidiairement au débouté de la SCI JETTA et plus subsidiairement à la réduction des sommes mises à sa charge à de plus justes proportions et ce dans la limite maximum de 9 425 €, et à la condamnation de cette dernière à lui payer les sommes de 1 980 € au titre du dépôt de garantie, de 491,96 € au titre des frais d'huissier engagés et de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Par jugement du 2 juin 2009 le tribunal a débouté la SCI JETTA de l'ensemble de ses demandes, débouté la société PLACEO de sa demande en paiement de la somme de 1 980 € et condamné la SCI JETTA aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Pour statuer ainsi le tribunal a retenu que la société PLACEO venait aux droits et obligations de la société SILIDUR ROCLAND dont elle avait repris les engagements dans les termes du bail par l'effet du plan de cession et qu'en outre il convenait de se placer à la date de fin du contrat pour apprécier l'état des locaux, lors de leur restitution, si bien qu'il ne pouvait être opposé à la SCI JETTA le fait qu'elle aurait dû déclarer sa créance au motif qu'elle était antérieure au redressement judiciaire de la société SILIDUR ROCLAND qui avait occupé les lieux pendant 10 ans lors de la cession.

Le tribunal a ensuite considéré que l'imputabilité des dommages n'était pas établie car certains préexistaient à l'entrée dans les lieux de la société PLACEO et d'autres avaient pu intervenir postérieurement à la prise d'effet du congé dès lors que l'expert avait relevé qu'une partie des locaux avait été vandalisée et que la société PLACEO n'avait plus leur garde depuis le 30 janvier 2007 tandis que la SCI JETTA qui avait refusé la restitution des clés avait conservé la responsabilité des désordres.

S'agissant de l'arriéré locatif, le tribunal a, après rappel des dispositions de l'article L.622-24 alinéa 1 et 3 du Code de Commerce, relevé que les loyers dont le paiement était réclamé correspondaient aux mois de février à avril 2004 et qu'ils étaient dûs par la société LORSOL TMB en redressement judiciaire et non par la société PLACEO.

Enfin le tribunal a constaté que le jugement ayant arrêté le plan de cession avait prévu le remboursement des dépôts de garantie à la société PLACEO mais que celle-ci ne justifiait pas avoir elle-même réglé le dépôt de garantie à la SCI JETTA ainsi que le prévoyait ledit jugement.

La SCI JETTA a interjeté appel de ce jugement, le 27 juillet 2009, et elle conclut au rejet de l'appel incident, à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la société PLACEO à lui payer les sommes de :

14 550 € indexée sur l'indice du coût à la construction (valeur novembre 2007), actualisée au jour de l'indice en vigueur au jour de l'arrêt et avec les intérêts légaux à compter de l'arrêt,

4 057,93 € avec intérêts légaux à compter du 17 mai 2004,

4 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, et à supporter les dépens des deux instances y compris ceux de la procédure de référé 07-0049 et les frais d'expertise.

La SA PLACEO conclut, au visa des articles 1315 du Code Civil et L.622-15, L.622-21, L.622-24 et L.626-10 alinéa 3 du Code de Commerce, à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de la SCI JETTA et à l'irrecevabilité des dites demandes, subsidiairement à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la SCI JETTA de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, et à son infirmation en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 1 980 € et limité à 1 000 € la somme allouée sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et, statuant à nouveau :

à la condamnation de la SCI JETTA à lui payer la somme de 1 980 € au titre du dépôt de garantie ainsi que la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

subsidiairement, à la réduction des sommes mises à sa charge à de plus justes proportions et en toute hypothèse à une somme non supérieure à 9 425 € compte tenu d'un coefficient de vétusté.

Sur ce,

Vu les conclusions récapitulatives de la SCI JETTA du 15 septembre 2010 et celles de la SA PLACEO du 8 novembre 2010,

Sur les réparations locatives.

Aux termes de l'article 1732 du Code Civil le preneur 'répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute'.

Il découle de ces dispositions que le fait générateur de la créance du bailleur de remise en état des lieux est la date de commission des dégradations survenues pendant sa jouissance.

En l'espèce, les locaux objet du bail consenti par la SCI JETTA le 31 janvier 1995 ont été occupés par la société LORSOL TMB et la société SILIDUR ROCLAND pendant neuf ans et demi puis par la société PLACEO du 5 juillet 2004 au 30 janvier 2007 soit pendant 19 mois de sorte que, au regard du texte précité, cette dernière ne peut être tenue des dégradations commises avant son entrée en jouissance.

Certes le bail du 31 janvier 1995 cédé à la société PLACEO stipule en 14°/ que 'tous ceux qui seront devenus successivement cessionnaires du bail demeureront tenus envers le bailleur, solidairement entre eux et avec le preneur, au paiement des loyers et à l'exécution des conditions du bail pendant toute la durée de celui-ci (...)'.

Cependant, la cession du bail étant intervenue dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte le 31 mars 2004 à l'égard de la société SILIDUR ROCLAND et en exécution du plan de cession arrêté par le jugement du 5 juillet 2004, une telle clause de solidarité ne peut trouver application dans la mesure où elle a pour effet de contredire les dispositions de l'article L.626-10 du Code de Commerce en vertu desquelles 'les personnes qui exécuteront le plan (...) ne peuvent pas se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrit au cours de sa préparation (...).

Dès lors, la société PLACEO ne s'étant pas engagée à supporter la charge de la remise en état des dégradations commises au cours de la jouissance du cédant, la SCI JETTA ne peut lui opposer la clause de solidarité stipulée dans le bail du 31 janvier 1995.

En revanche il incombe à la société PLACEO de démontrer que les dégradations constatées par Me A..., le 13 mars 2007, et par l'expert judiciaire, le 11 juillet 2007, ont eu lieu sans sa faute dès lors que, à défaut d'état des lieux établi lors de son entrée en jouissance, elle est présumée les avoir reçus en bon état en vertu de l'article 1731 du Code Civil. Or, le fait qu'elle a occupé les lieux pendant 19 mois seulement alors que la société SILIDUR ROCLAND en avait eu la jouissance pendant 9 ans et demi suffit à démontrer que l'ensemble des dégradations constatées ne peut lui être imputé. Par suite, dans la mesure où aucun élément objectif ne permet de déterminer avec précision ce qui est imputable à chacun des locataires successifs, il y a lieu de considérer, compte tenu des durées d'occupation respectives, que la société PLACEO doit supporter 1/7 des frais de remise en état des lieux soit une somme de 2 078,57 € avec, s'agissant d'une créance indemnitaire, les intérêts légaux à compter de ce jour et sans indexation.

Sur l'arriéré locatif.

La demande de la SCI JETTA a pour objet les loyers des mois de février à avril 2004 antérieurs à la cession du bail décidée par le jugement du 5 juillet 2004. Or, ce jugement qui a fixé le prix de la cession à la somme de 607 512 € n'a pas mis à la charge du cessionnaire, la société PLACEO, le paiement d'une dette particulière de la débitrice en sus du prix de cession et il ne peut lui être imposé d'autres charges que les engagements qu'elles a souscrits au cours de la préparation du plan en vertu de l'article L.626-10 du Code de Commerce. En conséquence la SCI JETTA ne peut se prévaloir de la clause de solidarité stipulée dans le bail et sa demande de paiement dirigée contre la société PLACEO doit être rejetée.

Sur le dépôt de garantie.

La société PLACEO n'a pas versé à la SCI JETTA un dépôt de garantie à l'occasion de la cession du bail et sa demande à pour objet le remboursement de la somme de 9 000 F soit 1 372 € versée par la société LORSOL TMB à ce titre lors de la conclusion du bail, le 31 janvier 1995.

Certes, le jugement du 5 juillet 2004 arrêtant le plan de cession a statué en ces termes :

"Dit que sont utiles et nécessaires au redressement des branches d'activité cédées les contrats de location assortie du remboursement des dépôts de garantie pour les locaux suivants : 60 route de Metz - 57130 Jouy-aux-Arches."

Cependant, la société SILIDUR ROCLAND, cédante, devant normalement supporter le coût des réparations afférents à sa jouissance des lieux qui est nettement supérieur au montant du dépôt de garantie, la SCI JETTA est fondée à conserver la somme correspondante en compensation partielle de sa créance de réparations.

En conséquence, la SCI JETTA doit également être déboutée de ce chef de demande.

Sur les frais et dépens.

La demande de la SCI JETTA étant partiellement fondée, il y a lieu de condamner la société PLACEO aux dépens des deux instances y compris les frais d'expertise et de la procédure de référé RG n°07/00049 et à payer à la SCI JETTA la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a statué sur les demandes de la SCI JETTA,

Statuant à nouveau dans cette limite :

Condamne la SA PLACEO à payer à la SCI JETTA la somme de 2 078,57 € au titre des réparations avec les intérêts légaux à compter de ce jour,

Condamne la SA PLACEO aux dépens de première instance et d'appel y compris ceux de la procédure de référé RG 07/00049 et les frais d'expertise et à payer à la SCI JETTA la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Rejette l'appel incident de la SA PLACEO,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de la SCI JETTA en paiement de la somme de 4 057,93 € au titre de l'arriéré locatif et la demande de la SA PLACEO en paiement de la somme de 1 980 € au titre du dépôt de garantie.