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Décisions

Cass. com., 9 décembre 1997, n° 96-17.916

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Grimaldi

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

Me Le Prado, SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, SCP Rouvière et Boutet, SCP Vincent et Ohl

Versailles, du 23 mai 1996

23 mai 1996

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Banque internationale pour l'Afrique occidentale ;

Attendu, selon l'arrêt déféré, partiellement confirmatif, qu'ayant appris la cession à un tiers, par la société Colas, de la totalité des actions de la Société camerounaise de grands travaux de l'Est (SCGTE), la Banque internationale pour l'Afrique occidentale Cameroun (BIAO Cameroun), filiale de la Banque internationale pour l'Afrique occidentale (BIAO Paris), a fait sommation à la SCGTE, le 12 juillet 1990, de lui régler sans délai le montant du solde de son compte courant ; qu'en outre, le 10 août 1990, elle a, d'un côté, demandé à la société Colas, en se fondant sur des lettres d'intention des 12 février 1982, 7 décembre 1983 et 26 juin 1985, ce que celle-ci entendait faire concernant le remboursement du solde du compte courant de son ancienne filiale et, d'un autre côté, écrit au Comptoir central de matériel d'entreprise (CCME) pour mettre en jeu la contre-garantie de 20 % du crédit à court terme, qu'il avait consentie le 19 février 1982 ; que, le 2 janvier 1991, la SCGTE a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal de Yaoundé ;

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et sixième branches, du pourvoi formé par la société Colas :

Attendu que la société Colas reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la BIAO Cameroun la somme principale de 21 121 246 francs, montant sous déduction de la contre-garantie du CCME de la dette à court terme de la SCGTE envers cette banque alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'obligation assumée par la société Colas d'étudier les mesures à prendre pour permettre à sa filiale de faire face à ses engagements était, comme la cour d'appel l'a constaté elle-même, une simple obligation de moyens, limitée dans le temps ; que la cour d'appel l'a pourtant traitée comme une obligation de garantie pure et simple, comme un cautionnement et une obligation de résultat ; qu'en retenant à la charge de la société Colas l'existence d'une obligation de garantie d'un crédit à court terme, qu'aucune des lettres auxquelles la cour d'appel s'est référée, l'arrêt a dénaturé ces trois lettres des 12 février 1982, 7 décembre 1985 et 26 juin 1986, et violé l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel n'a pu retenir l'existence d'un engagement de caution que ses constatations ne caractérisent pas sans violer l'article 2011 du Code civil ; alors, ensuite, que chacune des lettres des 12 février 1982, 7 décembre 1983 et 26 juin 1985 visaient des crédits à court terme de la BIAO limités dans le temps ; que la cour d'appel n'a pu nier la caducité des engagements qu'elle a pris en compte, afférents à des périodes passées, sans dénaturer encore les trois lettres auxquelles elle s'est référée, et violer l'article 1134 du Code civil ; alors, encore, que le cautionnement vu par la cour d'appel dans les circonstances de la cause n'étant pas exprès, l'arrêt a violé l'article 2015 du Code civil ; et alors, enfin, que dans la mesure où la cour d'appel a pu dire la société Colas débitrice d'une obligation de moyens, l'arrêt, totalement muet sur la relation de causalité de la méconnaissance de cette obligation et du préjudice consistant en le défaut de paiement par la SCGTE de la dette litigieuse, est entaché d'un défaut de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la société Colas écrivait, les 12 février 1982 et 7 décembre 1983, dans ses lettres d'intention adressées à la BIAO Cameroun, au sujet des crédits à court terme : " Nous vous précisons que le capital de la SCGTE est détenu en totalité par notre groupe... Nous vous précisons également qu'au cas où la SCGTE ne serait pas en mesure de faire face au remboursement de ses engagements précités, nous étudierons avec vous les mesures à prendre pour lui permettre de disposer des fonds nécessaires pour assumer la bonne fin de ses crédits ", l'arrêt retient, hors toute dénaturation, que la société Colas a failli à l'obligation, qu'elle reconnaît avoir prise, " tendant à faciliter la solvabilité de la filiale SCGTE, en cas de défaillance financière de celle-ci " ; qu'il retient encore que la société Colas, " pour échapper aux réclamations du prêteur ", invoque la caducité de ses engagements, faisant ainsi ressortir que, cette caducité ayant été écartée, la responsabilité de la société Colas se trouve établie ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt ne dit pas que l'engagement de la société Colas constitue un cautionnement ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en ses deuxième et quatrième branches, est mal fondé pour le surplus ;

Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches, du pourvoi formé par le CCME : (sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi formé par la société Colas :

Vu l'article 98 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Attendu que, pour condamner la société Colas à payer à la BIAO Cameroun la somme principale de 21 121 246 francs, l'arrêt retient que, " s'agissant de garantir des engagements d'une filiale qui dépend directement et exclusivement de ses intérêts propres et non de garantir les engagements d'un tiers, l'article 98 de la loi du 24 juillet 1966 n'avait pas à s'appliquer " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la filiale a une personnalité morale distincte de celle de la société mère, ce dont il résulte que les cautions, avals et garanties donnés par la seconde au profit de la première, sans autorisation préalable du conseil d'administration de la société mère, sont inopposables à cette dernière, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le premier moyen, pris en sa septième branche, du même pourvoi :

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner la société Colas à payer à la BIAO Cameroun la somme principale de 21 121 246 francs, l'arrêt retient que la société Colas, contrairement à son obligation " tendant à informer le prêteur des changements déterminants dans la structure du capital de la SCGTE, a failli à son engagement en cédant la totalité du capital de celle-ci le 7 juin 1990, sans en informer la BIAO Cameroun " ;

Attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans préciser le lien de causalité entre le manquement de la société Colas et le préjudice subi par la BIAO Cameroun, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche, du pourvoi formé par le CCME :

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'après avoir relevé que la contre-garantie avait été appelée le 10 août 1990, l'arrêt condamne le CCME à payer à la BIAO Cameroun la somme de 4 243 015 francs ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du CCME faisant valoir que, dès lors que la banque avait cessé de payer les commissions contractuellement dues à compter du 30 juin 1990, il était fondé à dire que sa contre-garantie avait cessé à cette date, de telle sorte que l'appel du 10 août 1990 portait sur une obligation éteinte, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi formé par la société Colas :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mai 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.