Cass. com., 10 février 2015, n° 14-11.760
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Piwnica et Molinié
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société civile immobilière Somopi (la SCI) était une filiale de la société René Villeminot (la société Villeminot) qui était-elle même membre du Groupe Accessoires déco, ayant à sa tête la société Accessoires déco et qui comprenait, en outre, les sociétés Murtra France et PM industries ; que par jugements du 5 novembre 2007, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard des sociétés Accessoires déco, Villeminot, Murtra France et PM industries ; que le 30 janvier 2008, ces sociétés ont conclu avec la société Industrias Murtra (la société Murtra), actionnaire minoritaire de la société Acessoires déco, avec laquelle elles étaient en relation d'affaires, un protocole d'accord prévoyant que la société Murtra réglerait, à hauteur d'un certain montant, les créances détenues par les fournisseurs chinois du groupe Acessoires déco et que, pour garantir le remboursement de la créance née de ces règlements, la SCI se constituerait « garant solidaire hypothécaire à première demande » ; que l'engagement de la SCI a été autorisé par tous ses associés réunis en assemblée le 30 janvier 2008 ; que par jugements des 29 avril et 19 juin 2009, le tribunal de commerce a prononcé le redressement, puis la liquidation judiciaires des sociétés Accessoires déco, Villeminot, Murtra France et PM industries ; que l'intégralité de leurs actifs, ainsi que les parts de la SCI ont été cédés à la société Guitel-Point M ; que la SCI a assigné la société Murtra aux fins, notamment, d'annulation du protocole d'accord du 30 janvier 2008 et de l'acte subséquent contenant l'affectation hypothécaire ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen, que la garantie hypothécaire consentie par une société civile immobilière sur son unique bien immobilier doit, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à son intérêt social ; que l'intérêt social ne se déduit ni de l'assentiment unanime des associés, ni de l'existence d'une communauté d'intérêts entre la société garante et la société garantie ; qu'en l'espèce, la SCI Somopi faisait valoir que son engagement hypothécaire au profit d'une société d'une même groupe était contraire à son intérêt social dès lors qu'il engageait son entier patrimoine ; que pour retenir la validité de cet engagement, la cour d'appel s'est bornée à relever l'unanimité des associés et l'existence d'une communauté d'intérêts entre la société garante et la société garantie, éléments dont elle a déduit la conformité de l'engagement à l'intérêt social de la SCI Somopi ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1849 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que les associés de la SCI, réunis en assemblée le 30 janvier 2008, ont rappelé que le protocole d'accord à intervenir entre la SCI et les sociétés Accessoires déco, Villeminot, Murtra France et Murtra avait notamment pour objet d'organiser pour le compte des sociétés Villeminot et Murtra France, appartenant au même groupe que la SCI, le paiement par la société Murtra des créances de leurs fournisseurs chinois afin de permettre leur réapprovisionnement rapide, qu'il prévoyait les modalités de remboursement de la société Murtra et l'octroi à celle-ci d'une garantie sous la forme d'une affectation hypothécaire par la SCI, laquelle se voyait consentir un prêt de 300 000 euros d'une durée de trente-six mois par la société Murtra ; qu'il précise que les associés de la SCI ont pris acte de ce que les accords ainsi prévus, autorisés par le juge-commissaire, s'inscrivaient dans le processus de sauvegarde des autres sociétés du groupe ; que l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'en l'absence de la garantie accordée par la SCI, la procédure de sauvegarde de la société Villeminot aurait été vouée à l'échec ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que l'acte litigieux n'était pas contraire à l'intérêt de la SCI, la cour d'appel a statué à bon droit ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la SCI fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que la sûreté réelle, fût-elle accordée à première demande de son bénéficiaire, consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui ; qu'en l'espèce, la société Somopi soutenait, ainsi que l'a relevé la cour d'appel, que « ses associés n'ont donné leur accord que pour la constitution d'une garantie hypothécaire à première demande et non pas pour un cautionnement ou tout autre engagement à titre personnel » ; qu'après avoir constaté que « lors de l'assemblée générale ordinaire du 30 janvier 2008 les associés de la société Somopi l'avaient autorisée « à consentir une garantie à première demande avec affectation hypothécaire (¿) » », la cour d'appel a retenu « qu'une garantie à première demande constitue une garantie autonome », ce dont elle a déduit que « la garantie accordée par la société Somopi avait donc été autorisée par l'assemblée générale ordinaire de ses associés » ; qu'en statuant par un tel motif d'ordre général, impropre à établir la nature réelle ou personnelle de l'engagement autonome litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2321 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève, d'un côté, que l'assemblée des associés de la SCI du 30 janvier 2008 a autorisé celle-ci à consentir une garantie à première demande avec affectation hypothécaire pour garantir les engagements financiers des sociétés Villeminot et Murtra France envers la société Murtra à concurrence, en principal, de la somme de 1 025 438,83 dollars et, de l'autre, que l'article 2 du protocole d'accord du même jour stipule que la SCI déclare se constituer garant hypothécaire à première demande des engagements financiers souscrits par les sociétés Villeminot et Murtra France à concurrence de la somme effectivement réglée par la société Murtra ; qu'il précise que celle-ci a été admise au passif des procédures collectives pour la somme de 1 025 438,83 dollars ; qu'en l'état de ces constatations, desquelles il résulte que la sûreté consentie à la société Murtra est celle-là même qui avait été autorisée par les associés de la SCI, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour condamner la SCI à payer des dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 19 juin 2009 indique que l'offre présentée par la société Guitel Point M prévoit l'acquisition des parts de la SCI pour 1 euro et qu'il sera proposé un remboursement sur dix ans de la créance hypothécaire due à la société Murtra ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'abus de droit imputé à la SCI, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Somopi à payer à la société Industrias Murtra la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 19 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée.