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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 17 juin 1999, n° 8341/96

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Logebail (SA)

Défendeur :

Compagnie Financière du Valois (SC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Keime-Guttin, Me Jouas

Avocats :

Me Tandeau de Marsac, Me Salama

T. com. Nanterre, du 28 juin 1996

28 juin 1996

FAITS ET PROCEDURE

La société LOGEBAIL, agissant comme chef de file d'un pool bancaire, a financé par crédit-bail, l'acquisition par la société AFFINERIES DE PICARDIE d'un four de fusion d'aluminium rotatif d'une valeur de près de 15 millions de francs.

Le 1er mars 1991, la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS a signé par l'intermédiaire de son président directeur général, Monsieur Michel COENCAS, une lettre d'intention pour conforter sa filiale, la SA AFFINERIES DE PICARDIE, auprès de la société LOGEBAIL.

Le 21 décembre 1992, la société ETABLISSEMENTS MAURICE Z.., appartenant aussi au groupe VALOIS, a absorbé la société AFFINERIES DE PICARDIE ayant désormais pour dénomination sociale AFFIVAL.

Le 27 avril 1994, la société AFFIVAL s'est substituée à la société AFFINERIES DE PICARDIE dans tous ses droits et obligations envers la société LOGEBAIL, selon avenant signé en présence de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS.

La société AFFINAL connaissant des difficultés financières importantes, la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS a apporté en compte courant à sa filiale une somme globale de 62.500.000 francs.

Le 13 avril 1995, le tribunal de commerce de NANTERRE a prononcé le redressement judiciaire d'AFFINAL, nouvelle dénomination d'AFFIVAL pour laquelle la société LOGEBAIL a déclaré sa créance pour une somme de 11.808.130,30 francs.

Le 11 juillet 1995, Maître A.., administrateur judiciaire, a informé la société LOGEBAIL qu'elle n'entendait pas poursuivre le contrat de crédit-bail et que le four aluminium se trouvait, en conséquence, à sa disposition dans les locaux d'AFFINAL sis à BETHISY-SAINT-PIERRE.

La société LOGEBAIL a alors demandé à la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS d'exécuter les engagements souscrits dans la lettre d'intention du 1er mars 1991.

Mais la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS a considéré comme lui étant inopposable la lettre d'intention, son signataire, Monsieur Michel COENCAS, n'ayant pas obtenu d'autorisation préalable du conseil d'administration avant de signer la lettre du 1er mars 1991.

C'est dans ces conditions que la société LOGEBAIL a poursuivi la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS en réparation du préjudice que lui aurait causé le non-respect de la lettre d'intention souscrite le 1er mars 1991 par Monsieur Michel COENCAS en sa qualité de président directeur général de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS, au bénéfice de sa filiale.

Le tribunal de commerce de NANTERRE a, le 28 juin 1996, jugé que la lettre d'intention litigieuse en date du 1er mars 1991 était inopposable à la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS, faute d'avoir été autorisée par le conseil d'administration, et a en conséquence débouté la société LOGEBAIL de sa demande en paiement de la somme de 11.808.130,30 francs et ordonné la mainlevée des mesures conservatoires. Mais constatant que la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS n'avait pas informé la société LOGEBAIL de certaines cessions de titres, le tribunal l'a condamnée à lui verser une somme de 100.000 francs de dommages et intérêts.

Appelante de cette décision, la société LOGEBAIL fait valoir en premier lieu que la lettre d'intention en date du 1er mars 1991 est opposable à la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS.

En effet, si la lettre d'intention contenant une obligation de résultat est assimilable à une garantie et doit faire l'objet d'une autorisation dans les conditions prévues par l'article 98 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966, il n'en est pas de même d'une lettre comportant une obligation de moyens. Or l'engagement résultant de la lettre du 1er mars 1991 constitue une simple obligation de moyen. Dès lors, la lettre lui est parfaitement opposable sans qu'aucune autorisation du conseil d'administration ne soit nécessaire.

Si néanmoins, une autorisation était requise, d'une part, elle concernerait le seul engagement de prendre toutes les mesures nécessaires afin que la filiale soit en mesure d'honorer ses engagements. D'autre part, la lettre d'intention a bien fait l'objet d'une autorisation expresse et préalable au sens des dispositions de l'article 98 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966. La société LOGEBAIL en veut pour preuve en fait que le procès-verbal du conseil d'administration du 29 janvier 1992 fasse expressément référence à une précédente autorisation donnée à Monsieur COENCAS pour signer la lettre de confort. Le dernier paragraphe de ladite lettre précisait en outre qu'il avait les pouvoirs nécessaires pour prendre un tel engagement.

La société LOGEBAIL ajoute en second lieu que la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS n'a pas respecté les engagements distincts souscrits dans la lettre d'intention. Si elle a pris les dispositions nécessaires au cours de l'exercice 1994, la rupture brutale de tout concours financier à sa filiale au début de l'année 1995 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la société mère, d'autant que le rapport de l'administrateur judiciaire indique clairement que les difficultés rencontrées par la société AFFINAL sont dues essentiellement à la dépendance financière, administrative et juridique vis à vis de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS. D'autre part, en vendant 25 % du capital d'AFFINAL le 31 décembre 1993, elle a violé son engagement irrévocable de ne pas céder tout ou partie de sa participation sans l'avoir préalablement informée. Or la méconnaissance des engagements souscrits dans la lettre d'intention est directement à l'origine de sa déclaration de créance au passif de la société AFFINAL.

Elle demande, en conséquence, que la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS soit condamnée à lui payer la somme en principal de 11.808.130,30 francs, plus des intérêts de retard calculés conformément aux stipulations du contrat de crédit-bail ainsi que leur capitalisation sur le fondement de l'article 1154 du code civil. Elle réclame également le paiement d'une indemnité de 100.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS fait valoir en réplique que la lettre de confort est soumise en tout état de cause aux dispositions d'ordre public de l'article 98 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966. En effet, la lettre de confort constitue une garantie sans qu'il y ait lieu de distinguer entre obligation de moyen et obligation de résultat. Si cette distinction devait néanmoins opérer, l'obligation consistant à alimenter indéfiniment la trésorerie défaillante d'une filiale déficitaire ne peut être qualifiée que d'obligation de résultat soumise à l'approbation du conseil d'administration.

Elle rappelle que la sanction de l'absence d'approbation préalable du conseil d'administration d'une société d'un engagement soumis à l'article 98 consiste en l'inopposabilité de l'engagement à la société. Dès lors, elle rend impossible toute confirmation ou ratification ultérieure de la lettre d'intention. Aussi, la société LOGEBAIL ne saurait-elle se prévaloir de la délibération postérieure du conseil d'administration en date du 29 janvier 1992 pour valider l'opposabilité de l'engagement litigieux, et ce, d'autant que cette délibération ne contient aucunement l'autorisation de consentir la garantie litigieuse.

Elle ajoute qu'il appartient au bénéficiaire d'une garantie soumise à l'article 98 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966 de vérifier que le signataire de cette garantie a bien été préalablement autorisé par son conseil d'administration à prendre cet engagement. Cette exigence est accrue lorsque le bénéficiaire est un établissement financier dont l'activité est de dispenser des crédits et de les garantir par des sûretés. Or, le document a été rédigé sur papier libre par la société LOGEBAIL, sans que celle-ci ne procède à la vérification des pouvoirs de Monsieur COENCAS, lequel n'avait pas eu le temps matériel de solliciter et d'obtenir l'autorisation de son conseil d'administration avant d'engager sa société.

Si néanmoins la lettre d'intention était opposable à la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS, elle estime, à titre subsidiaire, que l'engagement résultant de la lettre ne concernait que la seule société AFFINERIE DE PICARDIE et qu'il a disparu avec la société concernée, lors de l'absorption dont elle a fait l'objet.

A titre encore plus subsidiaire, elle fait valoir qu'elle a pleinement souscrit aux obligations litigieuses et que le préjudice allégué n'a aucune réalité et ne résulte que de l'application d'une clause pénale, au demeurant inapplicable faute de résiliation régulière.

Elle demande, en conséquence, la confirmation partielle du jugement déféré en ce qu'il lui a jugé inopposable la lettre d'intention du 1er mars 1991 et en conséquence débouter la société LOGEBAIL de l'ensemble de ses demandes.

Elle demande, en outre, à la cour l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à la société LOGEBAIL une somme de 100.000 francs, et qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts à l'encontre de la société LOGEBAIL (à hauteur de 500.000 francs) à raison du caractère manifestement abusif de la procédure engagée. Elle demande enfin 100.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

*

SUR CE LA COUR

Attendu que la lettre d'intention qu'une société mère adresse à un établissement financier pour conforter sa filiale lors de l'obtention d'un financement, peut selon ses termes, constituer, à la charge de la société qui l'a souscrite, une simple obligation naturelle ou un véritable engagement, juridiquement sanctionnable, de faire ou de ne pas faire pour garantir l'exécution des obligations de la filiale.

Attendu que la lettre adressée le 1er mars 1991 par Monsieur COENCAS, président directeur général de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS à la société LOGEBAIL est ainsi rédigée :

"Vous avez bien voulu consentir à notre filiale la SA AFFINERIES DE PICARDIE, domiciliée ... SAINT PIERRE (60320), le financement en crédit-bail d'un montant de 14.875.000 francs HT pour la construction d'un four de fusion aluminium rotatif de 25 tonnes.

Nous vous confirmons que nous sommes au courant de cette opération, que nous avons parfaite connaissance des termes de ce contrat et notamment des conditions juridiques et financières.

Nous vous confirmons également que nous ne nous désintéresserons pas de la bonne fin de cette opération. Nous prenons dès maintenant toutes les dispositions nécessaires pour que notre filiale la SA AFFINERIES DE PICARDIE soit en mesure de remplir toutes ses obligations à votre égard.

Nous prenons, en outre, l'engagement irrévocable de ne pas céder tout ou partie de notre participation, sauf à avoir reçu votre agrément préalable sur l'identité du Groupe qui nous succéderait dans cette situation.

Nous vous certifions, également, par la présente, que le signataire de ce courrier dispose des pouvoirs nécessaires pour prendre de tels engagements de résultat vis à vis de votre organisme".

Attendu que la lettre du 1er mars 1991 signée par Monsieur COENCAS, alors président directeur général de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS, comporte, tout à la fois "l'obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que notre filiale, la SA RAFFINERIES DE PICARDIE, soit en mesure de remplir toutes ses obligations" à l'égard de la société LOGEBAIL, et "l'engagement irrévocable de ne pas céder tout ou partie de notre participation, sauf à avoir reçu votre agrément préalable sur l'identité du groupe qui nous succèderait dans cette situation"; que, contrairement, aux allégations de LOGEBAIL, les engagements de faire et de ne pas faire pris dans la lettre d'intention, loin d'être distincts, constituent un tout indivisible et indissociable, destiné à conforter la bonne fin du crédit-bail, consenti à sa filiale.

Attendu, en effet, que le premier paragraphe cité est relatif aux modalités de mise en oeuvre de la garantie au moment de la signature de la lettre de confort et que le second assure leur permanence.

Attendu que l'emploi des termes "nous prenons dès maintenant toutes les dispositions nécessaires pour que notre filiale... soit en mesure de remplir toutes ses obligations à votre égard", "nous prenons... l'engagement irrévocable de ne pas céder tout ou partie de notre participation sauf à avoir reçu votre agrément préalable sur l'identité du groupe qui nous succèderait dans cette situation" et "le signataire de ce courrier dispose des pouvoirs nécessaires pour prendre de tels engagements de résultat vis à vis de votre organisme" montre que la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS assurait la société

LOGEBAIL par le truchement de son président directeur général qu'elle entendait faire le nécessaire pour que sa filiale AFFINERIES DE PICARDIE puisse respecter ses obligations issues de la convention de crédit-bail du 1er mars 1991, notamment de paiement des loyers contractuellement prévus ; que la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS donnait ainsi une garantie pour le présent et l'avenir, à la société LOGEBAIL.

Attendu que selon l'article 98 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966, les cautions, avals et autres garanties assimilables données au profit de tiers par les sociétés anonymes autres que celles exploitant des établissements bancaires ou financiers font l'objet d'une autorisation du conseil d'administration.

Attendu que l'autorisation n'est valablement accordée que par une délibération expresse du conseil d'administration.

Attendu que la lettre d'intention a été souscrite par la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS au profit de sa filiale, la SA AFFINERIES DE PICARDIE le 1er mars 1991 ; qu'aucune copie ou extrait du procès-verbal de délibération du conseil d'administration concernant l'opération de financement en crédit-bail de la construction du four de fusion d'aluminium antérieur à l'émission du courrier n'a été produite nonobstant la consultation du registre des délibérations de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS qui a été faite par huissier de justice ; que les seuls documents fournis relatifs à l'étendue des pouvoirs du président directeur général, Monsieur COENCAS, sont la lettre d'intention du 1er mars 1991 et le procès-verbal d'une réunion du conseil d'administration du 29 janvier 1992 ;

Attendu que le premier document est, sur l'étendue des pouvoirs du président directeur général de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS, rédigé comme suit :

"Nous vous certifions que le signataire de ce courrier dispose des pouvoirs nécessaires pour prendre de tels engagements de résultat vis à vis de votre organisme".

Attendu que cette simple affirmation ne justifie nullement de l'existence d'une autorisation du conseil d'administration ;

Attendu que le second document est rédigé comme suit :

"Le conseil prend note de la lettre de non-désintéressement signée le 1er mars 1991 par Monsieur COENCAS, dans le cadre des pouvoirs qui lui ont été conférés au nom de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS. Cette lettre de non-désintéressement concerne l'opération de financement en crédit-bail mobilier réalisé par sa filiale SA AFFINERIES DE PICARDIE à BETHISY SAINT PIERRE (60320) pour la construction d'un four de fusion d'aluminium de 25 tonnes".

Attendu que si le conseil d'administration a la possibilité d'autoriser spécialement un engagement de garantie, même déjà pris par le président directeur général, tel n'est pas le cas de la délibération ci-dessus rapportée qui se borne à "prendre note" de cette lettre en lui donnant, d'ailleurs, une portée moindre que celle qui en résulte puisqu'elle mentionne que cette lettre aurait été signée "dans le cadre des pouvoirs qui.... Ont été conférés" au président directeur général.

Attendu qu'il en résulte que la garantie donnée, sans autorisation du conseil d'administration, par le président directeur général de la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS ne saurait, par application de l'article 98 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1966, être opposée à cette société.

Attendu, dans ces conditions, que la demande de la société LOGEBAIL n'est fondée par aucun de ces chefs.

Attendu que, pour non fondée qu'elle soit, la procédure engagée par la société LOGEBAIL n'est nullement abusive.

Attendu que l'équité commande condamnation de la société LOGEBAIL à payer à la COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS la somme de 60.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

- INFIRME la décision déférée et statuant plus avant,

- DEBOUTE la SA LOGEBAIL de toutes ses demandes, DEBOUTE la SA COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS de sa demande de dommages et intérêts, - CONDAMNE la SA LOGEBAIL à payer à la SA COMPAGNIE FINANCIERE DU VALOIS la somme de 60.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- LA CONDAMNE aux dépens,

- ADMET Maître Y.., avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.